Préambule n°2

  • Sans remède n’est pas pathologiquement sérieux.
  • Sans remède est un journal sur le système psychiatrique, alimenté par des vécus, des confrontations et des points de vue, dans une perspective critique.
  • Sans remède ne voit pas de victimes dans les hôpitaux, mais des psychiatrisé-e-s. Nous sommes des individus avec leurs histoires, leurs aliénations, leurs souffrances, leurs plaisirs, leurs combats, jamais de symptômes.
  • Sans remède parle d’enfermements, du pouvoir psychiatrique et de ses effets, autant dans les murs qu’en dehors. Ce pouvoir n’est pas que le fait des médecins, il nous implique tous et toutes. Il requiert notre acceptation, de manière douce ou violente.
  • Sans remède ne propose pas de critiques constructives pour penser l’enfermement psychiatrique. N’importe quel soutien apporté à l’autre devient critique dès qu’il s’institutionnalise. Il ne s’agit pas de réinventer un quelconque lieu de soin.
  • Sans remède ne laisse pas de tribune aux membres de l’institution psychiatrique car d’autres moyens d’expression sont à leur disposition, au service de ce pouvoir.

Face à la psychiatrie, et au monde qui va avec, il s’agit de travailler à sa destruction. Dans l’intervalle, il s’avérer nécessaire de se défendre et de s’organiser.

Sans solution.

Esquisse d’un voyage en psychiatrie

«J’arrive! Et en guise de frustration, éclairé par la lumière des toilettes, j’essaie de rester tolérant.»

Quelques tribulations en guise de témoignage, écrites en 2001 à l’hôpital psychiatrique de Caen. Quelques instantanés donc, lorsque mes pensées étaient trop rapides pour ma conscience, lorsqu’on les fit ralentir pour mon bien-être et par de bien mauvaises méthodes. Voici donc un léger guide absurde d’une expérience psychiatrique. Absurdité qui m’a aidé à ne pas trop sombrer, et surtout à résister pour continuer à faire des choix dans ce milieu où il n’y en a plus d’humains.

esquissevoyage«Esquirol, centre psychiatrique carré de blockhaus encastrés.
J’arrive ! deuxième étage, service Jackson. J’observe ! ce monde clos, psys et fous, alliés et résistants, marche dans un ralenti visuelle- ment explosif. Des murs aux couleurs fades. Quelques tableaux. Ce que j’en pense ? De la merde en boîte encadrée ! Ho ! Pardon ! ici culpabilité oblige…

« Où en étais-je ? Ah oui, revenons dans notre sympathique petite prison. Je vous parlais de son décor artistique. Et oui, s’il vous plaît, l’État est généreux pour ce qui traite de l’évasion spirituelle des déchets de sa société. Alors merci ! je ne le pense pas mais un grand merci encore.

« Donc à part quelques tableaux trouvés je ne sais où, je repère finalement un Kandinsky. Ce devait être un sacré farceur celui-là car je n’ai pas vu grandes traces de notre civilisation carcérale dans son abstraction de la réalité. Et en guise de frustration, je ne peux vous donner le titre de son œuvre car il n’était point prescrit au bas du tableau. Et tout ceci avec la cohérence de mon âme dérobée dans la blancheur infinie des murs de la guérison.
« Et ben couillon, ce n’est que le début de mon épopée psychiatrique et après avoir visualisé l’ambiance des couloirs, je fais ma première rencontre. Un air de zombie, il frôle mon épaule, le regard vide, les lèvres desséchées, laissant une lenteur invisible derrière lui…

« Samedi. J’y suis depuis lundi et je vous jure, j’comprends plus. Avec tous les médicaments qu’ils m’engrangent, je n’arrive pas à dormir et le pire, c’est que j’comprends plus.
Assis au coin fumeur, d’où je vous écris, éclairé (et c’est un bien grand mot) par la lumière des toilettes, je regarde par la fenêtre la nuit, du noir en quelque sorte, ou le néant comme je préfère penser. Mais ce qui m’attriste le plus, ce sont les fenêtres. On peut les ouvrir mais surprise, que dix centimètres. D’accord, c’est d’abord une question de sécurité dans cette métaphore rétrécie du monde qui nous entoure mais moi, rêveur malade, cela m’empêche de me jeter en l’air.

equisse2« Sous la couverture, en train de faire ma sieste quotidienne, on me réveille pour le goûter. Je dis que je n’ai pas faim et c’est vrai à ce moment-là. Peu de temps après, je vais pointer à l’office des infirmiers pour prendre un sachet de café car il restait de l’eau chaude sur la table. On m’engueule en me disant que le temps est écoulé, que le règlement, c’est le règlement. Face à tant de pouvoir inutile, furieux, je leur vomis : « Moi le prophète schizophrène pour tous les abrutis du système, je serai le maître d’une secte où tous me lécheront les couilles comme Annie et ses sucettes. » Et vlan ! malgré toute la splendeur que j’éprouvais pour ce coup de génie poétique, « fais attention à ton épopée » me dis-je. Elle pourrait se finir en isolement comme celle de cette pauvre fille qui frappa sur la porte blindée en gueulant une après-midi entière. Je sus par la suite qu’elle voulait juste fumer une cigarette. Et je voyais bien dans les yeux plissés des blouses blanches, derrière leurs lunettes de marbre, qu’ils jouissaient en la regardant embuer le petit hublot de la porte à sept verrous.

Et après tout ça j’essaie de rester tolérant. Pourtant, c’est moi le malade. Je vous jure, j’comprends plus ! eux, ils me diront que je ne veux pas comprendre mais bon, l’eau coule dans les rivières et les pierres au fond, donc tout est normal.
« Je suis fatigué, fatigué d’être fatigué et par-dessus tout, j’en ai assez de cette atmosphère inexacte, maladive et abrutissante. Assez des médecins avec leurs styles de prophète à la mords-moi le nœud et t’auras le paradis dans l’os.
Je n’ai plus rien à vivre ici. J’ai fait le tour des couloirs qui tournent en rond et de tout le monde aussi.
Il faut que je parte. Même si dehors, c’est pareil. Même si l’inquisition empêche aux livres de tourner la page, la page de fin, la fin de mon monde.
C’est fini. Je coupe le cordon et le lien qui nous unissent. Mais blottissez quand même dans un doux coin de votre esprit ces quelques pensées. Je m’en sentirai moins seul. Allez ! après tout, je ne suis qu’idiot.

T.

Du bancal dans nos rapports

Soin : ensemble des moyens par lesquels on s’efforce de rendre la santé à un malade moyennant rétribution.
(déf. du Larousse 1930)
Aider : porter secours, seconder, assister. Prêter son concours en prenant soi-même une partie de la peine. (ibid.)

Dans ce témoignage, il est question de la difficulté énorme de construire une relation attentive à ne pas reproduire des mécanismes de domination et de pouvoir avec quelqu’un-e qui est psychiatrisé-e. (1)
Si les souffrances psychiques ont tout l’air de difficultés intimes, voilà (encore) un lieu où « l’intime est politique ». Et les rapports que nous entretenons avec celles et ceux qui font face à ces difficultés sont sans cesse contaminés par le mode opératoire des institutions qui les « prennent en charge » : on en vient vite à prendre une place de soignant-e, à infantiliser l’autre ; à la-le culpabiliser ; à la-le réduire à une seule identité, celle de malade ; à lui interdire un certain nombre de pensées et d’actes ; à la-le contenir physiquement et-ou psychiquement. Même quand on veut « aider »..

bancalrapportsJ’ai rencontré il y a plus d’un an V., psychiatrisée en HDT (2). Je travaillais comme intervenante artistique à l’hôpital, cette femme participait aux ateliers que j’animais. J’avais pas mal de présupposés bienveillants et pourris, des questions aussi. Quelque chose comme : les pauvres, ils ont pas de bol (comme si tous les participants de l’atelier allaient être hypersympas et un peu neuneus), et puis aussi, est-ce qu’on va réussir à se comprendre ? (tiens, je ne me pose même pas la question avec d’autres gens). Les médocs, ça fait dormir, ils vont être mous sûrement. Et s’il y a une crise ?
J’arrive avec un projet de poésie. Elle prend la parole pour dire que mon truc est à côté de la plaque parce qu’elle n’arrive plus à lire avec les médocs. C’est une jeune nana, plu- sieurs fois elle est absente aux séances parce qu’elle est « en gayole (3) », ou privée d’activités. Elle pourrait être ma petite sœur. Je crois que le premier truc que j’aime chez elle, c’est son côté direct sans politesse, sa mauvaise humeur, et son rire qui cascade ; rare, et fort.
Ce lieu et tous ses agents me débectent. On a beau m’expliquer, je ne me rends pas à l’évidence des blouses, des mesures d’enfermement, d’hygiène et de distance. Dans cet endroit sensé être conçu pour des gens qui ne se sentent pas bien, je n’arrive pas à tenir plus d’une de- mi-journée sans avoir envie de faire un truc violent ou spectaculairement débile pour habiter le vide tonitruant des pièces-couloirs à la mode morgue. J’ai la rage de voir ce qu’on fait vivre à ces gens. Il faut que je fasse quelque chose, je ne sais foutrement pas quoi. J’ai un peu de temps libre, je décide d’aller rendre visite à V. au pavillon « mimosas » (évidemment, il n’y a à peu près aucun mimosa, mais beau- coup de gens traités comme des plantes vertes). Le parloir ressemble à une salle d’attente, magazines de droite en moins, interphone et surveillance en plus. Elle me raconte son histoire. Peut-être comme elle le ferait à une blouse blanche. Noire de noire depuis la naissance. Je n’arrive pas à penser, j’entends les horreurs de son passé, puis de son « ordinaire ». Je suis touchée par cette avalanche, encore plus par la lutte que ça suppose de vivre avec. On a une violence en commun. Désir très fort de la sauver de cet endroit mortel. Je cherche un moyen d’ouvrir une brèche dans sa fatalité, convaincue qu’elle est que s’il y a une suite à sa vie elle sera de la même couleur merdique. Bleu flic, blanc hosto, rouge pompier et gris partout même dans l’alcool. Qu’est-ce que je peux lui dire ? Je lui tchatche dans le temps trop court qu’on a une suite en vrac de conneries pleines d’espoir, que la vie n’est pas si moche, que les gens ne sont pas tous atroces. Je mélange tout, je lui parle à elle et à moi, puisque c’est à moi que c’est insupportable qu’elle ait envie de mourir. Et puis ça me concerne aussi de chercher des raisons de continuer. De colère en tristesse, mon impuissance se retourne souvent contre moi. Qu’est-ce que c’est que cette histoire que je me raconte que je pourrais la sauver des merdes dans lesquelles je vis aussi, ou la sauver d’elle-même ? L’empathie, j’en ai, et j’ai une idée de mes désespoirs mais je n’ai pas vécu d’être psychiatrisée. Pour sûr je ne peux pas me mettre à sa place, mais la mienne, c’est quoi en fait ?

On vit ensemble d’autres moments à l’atelier, et je repars chez moi, à des kilomètres, amère. Trop tard, je la connais, et sans lui faire de promesses je lui en fais plein. Elle me demande de croire en cette autre partie d’elle, « capable de se tirer et de vivre ».

Des semaines plus tard, je l’appelle, j’ai promis. Elle n’essaye plus de mourir tout le temps, et j’entends des sourires, des bouts d’envies fragiles dans sa voix. Elle a fracassé la gueule d’un gars qui l’a insultée, sa main est en vrac. J’ai envie de la féliciter, et aussi de lui dire de faire gaffe… Finalement, je ne dis pas grand chose, pour n’être ni sa mère, ni celle qui l’encourage à tout faire pour se faire virer, vu qu’à part la rue y’a pas d’endroit où elle peut aller. Et personne d’autre à appeler. On se téléphone.
La plupart du temps, comme on ne se connaît pas bien, on n’a pas grand chose à se dire. Moi, je lui raconte ce que je fais… Souvent je ne suis pas là quand elle appelle, parce que j’ai le droit de me balader.
Elle, enfermée, se fait chier terriblement. On l’a mis dans un « foyer vers l’autonomie ». Je pense que c’est une blague, mais je suis contente pour elle, c’est plus petit, j’ai l’impression, moins pire. Une promesse d’institution vers un appart, une vie un peu plus à elle, elle veut ça et elle veut y croire. Sauf que… Quand je réussis à lui obtenir une perm de trois jours pour son anniversaire, je vois la gueule de la promesse. Ce foyer est pire que l’HP. Au moins, dans le nombre à l’HP, il arrive que t’échappes au flicage cinq minutes ; là, impossible : ils sont juste une dizaine d’adultes pour quatre surveillants. Rien n’est fait pour leur « autonomie » : les relations sexuelles sont interdites, on ne peut inviter personne dans sa chambre, il y a un système de punition, et un travail obligatoire payé à la pièce, les activités sont dans le style « hygiène de vie », sans parler des caméras et autres matons-éducs.
On passe trois jours ensemble. On se marre. Je redécouvre par sa présence ce que c’est de prendre le métro, aller à des concerts, manger des fallafels, aller boire des verres, passer chez des potes… Et elle, à 22 ans, elle n’a jamais fait ça de sa vie. Je jongle entre ne pas me censurer, ni en faire trop, ni devenir une éduc. Elle me raconte un projet dont je ne sais pas si c’est le sien, de travailler avec des enfants ou des animaux. J’ai envie de lui dire que le travail, c’est de la merde. N’importe quoi, je me prends pour la grande initiatrice depuis qu’elle a appris à prendre le métro avec moi.
Et puis je la ramène. J’ai l’estomac troué de la remettre là-dedans.
D’un coup de fil quelque temps plus tard, j’apprends qu’elle a foutu le feu, ce qui la rend tricard de tous les foyers de la région. Pour avoir allumé une boule de PQ dans les chiottes du foyer. Elle est à la rue. A mille bornes, je fais quoi ? Elle me demande de venir la chercher, avec une urgence énorme. Je lui dis que je ne peux rien faire, j’ai pas de thunes, je n’arrête pas ma vie pour aller chercher quelqu’un, et surtout, je flippe. Moi, seule, vivre avec elle ? Pas moyen. La laisser dehors ? Pas moyen non plus. Je fais le lien avec la seule personne de sa famille. Je me retrouve à faire le taf d’une pétasse d’assistante sociale (celle qui a décidé de ne plus la supporter et de la « punir » en lui empêchant un placement) : je joins tout le monde, je récupère l’ordonnance… Ça marche un temps, mais V. se sent trop fragile, et ne veut pas rester chez sa tante, elle décide de retourner à l’HP. Un des seuls « choix » qui lui appartienne. Aujourd’hui, elle est encore à l’HP, vu qu’elle a passé sa vie en foyer, et qu’elle n’est pas assez « autonome », le seul projet qui lui reste est de trouver une place en famille d’accueil. En attendant, depuis six mois, elle demande à aller souvent en isolement, tellement elle pète les plombs de subir le collectif obligatoire (inter- diction d’aller dans sa chambre la journée en HP), et du coup, bizarrement, son traitement a ré-augmenté. Mais attention, ce n’est pas l’absence d’avenir ou la surenchère de « soins » qui y est pour quoi que ce soit, non, tout ça c’est sa « maladie ». Comme dirait l’infirmière.
Je ramène V. après une perm, l’infirmière se tourne vers moi : « ça s’est bien passé ? », sans regarder V. une seconde.
J’ai comme l’envie de lui démolir sa gueule et celle de ses collègues, mais je ne le fais pas.

Pour V., je suis la personne « alternative » à l’institution, car je ne suis ni de sa famille, ni du métier, et j’ai la possibilité sur simple courrier de lui obtenir des permissions de sortie. Du coup, c’est compliqué, parce que je suis un bricolage de tout ça et c’est surtout pas ce que je souhaite, parce que je me sens égoïste quand je ne peux ou ne veux pas. Pourtant le pire serait que je me sacrifie, que je lui offre un mensonge en amitié.
En tous cas, c’est là, toujours : elle est enfermée. De mon côté, je lutte contre ma volonté de me changer pour elle (autocensure et surveillance de mes paroles surtout) de la porter, de la considérer avant tout comme fragile, d’anticiper ses comportements, d’avoir peur d’une crise, de la sortir des médicaments, de lui im- poser mon rapport au monde…
De son côté, elle a tendance à se fliquer quand elle est avec moi, parce qu’on lui a appris que si elle veut obtenir quelque chose, elle doit « bien se comporter », c’est-à-dire se soumettre aux propositions d’activités, ne pas se mettre en colère, ne pas causer de problèmes…
Bref, on joue nos putains de rôles.

Pourtant, aucune identité ne peut tout-à-fait nous contenir : elle n’est ni résumable à une psychiatrisée ou une véner, ou une « jeune fille dé- favorisée »… Ni moi résumable à un soutien, ou une calme, ou une éducation bourgeoise… Il n’y a aucune case sociotruc qui raconte ces mélanges qui nous constituent, parfois dictés par l’extérieur, parfois choisis. Je préfèrerais multiplier mes appartenances par affinités, et me choisir des mots à moi. Elle est considérée comme malade, enfermée, c’est son quotidien et elle se vit souvent comme ça (être malade, c’est une affaire de survie de le reconnaître au moins un peu à l’HP), moi je suis considérée comme normale et dehors, et je ne me vis pas vraiment comme ça.
On essaye de construire du commun, et y’en a, dans le refus de la tenue comportementale exigée par exemple. Mais l’asymétrie de nos vies fait du bancal dans nos rapports. Je suis là, parfois, pas toujours. Les potes me prêtent leurs voitures, leurs apparts et leurs oreilles… Sans quoi, se voir serait impossible.
On bricole.
Je ne te sauverai de rien, c’est mon cadeau à nous deux.
Mais si tu veux te battre, on se bat ensemble.

O.

Notes :
(1) Ce terme est issu de l’antipsychiatrie, je l’utilise ici pour nommer autrement que le médical une personne ayant été soumise au pouvoir psychiatrique. (retour au texte)
(2) Hospitalisation à la Demande d’un Tiers (signée par sa tante). (retour au texte)
(3) Les psychiatrisé-e-s de cet HP utilisent ce mot du patois picard qui signifie « geôle ». (retour au texte)

Se faire diagnostiquer

chuteJ’ai un diagnostic
Il me suit partout
Il me colle à la peau
Je ne suis plus n’importe qui
Je suis malade
Je n’ai plus de questions
J’ai des phases
Je n’ai plus de réponses
J’ai des crises
Je n’ai plus d’actes
J’ai des symptômes
Je n’ai plus de nerfs
J’ai un traitement
Je ne suis plus moi-même
Je suis diagnostiquée

A.

 

Effondrements

Un glissement de sens
Emportant avec lui
Des monceaux entiers
De raison

Des certitudes s’affaissent
Des identités s’effondrent

Des wagons d’évidences
Abolis d’un coup de hasard

Des montagnes d’habitudes
Dispersée par une brise

Toute la fatigue d’un jour
Balayé d’un soupir

Ton corps
Redevient
L’espace

A.

Murs en béton, rage en béton armé, désespoir en matière inoxydable

J’ai été hospitalisée le 19 novembre 2007, sous le régime de l’hospitalisation libre. Être libre de s’enfermer, quelle aubaine, c’est une idée géniale. Ce séjour était le deuxième. Un séjour de rêve – une grande bouffée de volupté.

Impossible de choisir où je vais atterrir cette nuit. Ce ne sera pas sur un terrain mou. Certains ont déjà choisi la destination. Le chemin est long, en ambulance. De la nuit et des lumières alarmantes : gyrophares, néons dans la cabine qui me transporte… Je n’avais choisi que l’abandon de mes sens à un long sommeil mais on m’a réveillée en plein rêve d’oubli. Je n’aime pas qu’on me réveille pour ces conneries : s’habituer, s’adapter, vivre comme n’importe qui d’autre.

beton« On va vous envoyer dans un endroit où vous allez pouvoir vous reposer, faire le point. » Tu parles ; le repos mon cul, l’ennui qui dégouline et le point, re-mon cul, explosions, traits malmenés, enragement. Heureusement j’ai parfois rigolé.
Arrivée dans mon pavillon 26 à l’hôpital Paul Guiraud de Villejuif : dans la salle du bas. Une table de ping-pong, un baby-foot, des tables, des plantes merdiques, encore des néons et une infirmière. Je comprends de moins en moins. On m’aurait embarquée dans une colonie de vacances ?

Le bruit que je passerai mon temps à espérer et détester en même temps fait son entrée : les clefs s’entrechoquent, le verrou est débloqué, la porte s’ouvre, la porte claque, la porte est fermée à clefs. Ça tinte, ça claque, ça glisse, ça reclaque, ça t’enferme.
Dans même pas quarante-huit heures je n’essaierai même plus d’ouvrir une porte pour aller d’un endroit à un autre. Devant une porte je ne sors plus les mains de mes poches. Je sais qu’elle est fermée. Tout est fermé ici. Les portes, les fenêtres, les stores, les radiateurs, les chambres, les armoires. Ils ont peur que l’ennui dégouline hors les murs ? Que la folie cadenassée ne se mette à battre le pavé ? Pas de pavé pour les dingues. Des portes verrouillées et des nantis qui ont les clefs. Nous montons – premier étage du pavillon – je suis en larmes, j’ai encore plus envie de crever qu’il y a douze heures. Je quitte ma sœur et son mec, je quitte mes vêtements, mes affaires, mes clopes, mon stylo, mon cahier, mon téléphone. Les revoir sera une entreprise compliquée.
Nous sommes alors le 20 novembre déjà. Je suis habillée en pyjama bleu, dix fois trop grand. J’ai tant pleuré que j’ai encore plus envie de fumer.

« C’est pas possible mademoiselle ». J’apprendrai vite que rien n’est possible ici, ou pas grand chose. « Et c’est possible de vous foutre mon poing dans la gueule ? » je pense déjà. Après une journée entre hôpital, larmes, ambulances, noir compact, dégueulade, je ne peux pas fumer ? J’aurais mieux fait de crever, j’aurais fumé des clopes au goût de nuage et pas senti cette odeur de mépris…

Nuit très courte. Réveil en fanfare. Pour que je me lève, une infirmière arrache ma couverture. Ainsi j’ai froid et je ne reste pas longtemps allongée. Je me cacherais bien sous le matelas mais je ne crois pas qu’on aime les blagues ici. Ça rigole pas quoi !
Je me dirige vers la salle de réfectoire – qui est en fait salle de tout – et là j’hallucine. Appuyée contre un mur, je découvre mes nouveaux potes, prêts à petit-déjeuner. Certains. D’autres font en- core la queue à la station-service.
Station-service : chariot rempli de boîtes, carafes, verres, liquides colorés, piluliers… surveillé de près par une infirmière. Les médocs. Chacun son carburant. Passage obligatoire. Je n’ai encore vu aucun médecin. J’échappe à cette étape. Pas pour longtemps !
J’ai une tête de dessous de bras, une gueule en papier mâché, les pieds nus, les seins presqu’à l’air. Je dois tenir mon futal de pyjama pour pas me retrouver complètement à poil. La veste est tellement grande que le bouton du haut arrive un peu au-dessus du nombril. Joyeux décolleté ! Et sinon, nue. Je vais rester comme cela quatre jours. Sans chaussettes (ils me trouveront des espadrilles dix fois trop grandes elles aussi dans deux jours). Je tiens mon futal. Je cache tant bien que mal ma poitrine. Ça va être pratique de manger !

Personne ne me propose de douche. Personne ne me parle. Je me remets à pleurer. Je me remettrai souvent à pleurer. Ou à gueuler. Cracher sa hyène. Et plus souvent pour des raisons inhérentes au système hospitalier qu’à mon système que je sens fragile et défaillant.
Au-delà de l’angoisse qui m’habite, c’est la douleur du corps qui me détruit le plus ces premiers jours. J’ai froid. Tout le temps. La journée, juste ce putain de pyjama. Quand on peut enfin sortir le premier jour pour fumer une clope, c’est pieds nus que je déboule dehors, flottant dans le XXL réglementaire. Sol en béton froid, murs en béton, rage en béton armé, dé- sespoir en matière inoxydable. Les gardes – euh pardon – les personnels soignants passent leur temps à nous compter et nous fermer les portes au nez. « Vous irez fumer quand on aura pris notre petit-déjeuner [ils n’ont pas de café chez eux ?], fumé nos clopes, fermé les chambres, repris un café, refumé un clope… » La liste est longue. Pendant ce temps c’est le défilé aux chiottes (un seul pour vingt personnes hospitalisées) pour fumer. On y va à deux, trois, pour que tout le monde puisse passer. Mecs, meufs, ensemble dans cet espace qui pue plus la fumée que la pisse au fur et à mesure que l’attente se prolonge. Pour nous dissuader, une affiche représentant une cigarette et tous ses composants poisons est collée sur la porte des toilettes. Morts de rire ! Et ils nous bassinent avec le « c’est interdit de fumer dans les lieux publics, à l’hôpital, c’est pas bon pour la santé… » Et ta sale gueule qui m’impose de prendre des sales médocs, elle n’est pas bonne pour ma santé non plus. Argument suprême : vous n’avez pas le droit de vous enfermer dans les chiottes à plusieurs, encore plus si mecs et meufs se mélangent. Pas de relations sexuelles ici, c’est interdit, c’est aussi mauvais pour la santé ?

Un jour, je sors avec un pote des chiottes, on venait de fumer. Une infirmière nous cueille à la sortie et mon pote devance la réprimande : « Ne vous inquiétez pas, on n’a pas fumé, avec Melle I. c’est purement sexuel ! ». Morts de rire, l’autre fait une tronche de six pieds de long. Elle en réfère. Entretien avec la psychiatre le lendemain pour tous les deux (on a la même) et question : « Quels sont vos rapports avec Monsieur C. ? » et pareil pour mon pote : « Quels rapports entretenez-vous avec Melle I. ? ». Elle y avait cru. Ici le second degré existe très rarement, l’humour je l’ai déjà dit, est banni.
Donc pas de cul. Et comme on est en chambre de trois, pas moyen de se masturber tranquille ! Range ta libido, range tes envies, range ta vie, nettoie-toi de tes idées morbides morveuses et tu te sentiras tellement mieux !

Je reste avec le corps. Pendant trois jours, je réclame au moins une culotte et mon soutien- gorge. Je leur aurais demandé un flingue j’aurais peut-être eu plus de chance. Non pas possible, c’est encore dangereux. Dangereux ? Ah oui je peux me pendre avec mon soutien-gorge (55 kgs au bout d’un morceau de dentelle, ça promet) voire me crever un œil avec une baleine et je vais fumer ma culotte peut-être ? J’en peux déjà plus, j’ai mal aux seins, je me sens moche, vulnérable, j’ai mal au bide, d’angoisse, j’ai froid.
Il me faut attendre que ma mère ait droit à une visite pour que je récupère mes habits. Je dois être présentable tout de même ! Habits du dimanche ! Flonflons ! Une fois la visite terminée, pyjama. Rideau. Le spectacle est fini. Coulisses. La tenue de scène est rangée au pla- card (inaccessible) des infirmiers.

Finalement je vais pouvoir m’habiller en civil. Au bout de ces quelques jours. Récompense, bonne conduite, hasard, décision arbitraire… je ne sais pas mais j’ai pris une douche brûlante et remets des vêtements familiers.
Les petites douleurs du corps se succèdent en s’empilant. Quand la pile est trop conséquente, ça énerve. Pas possible de se laver les dents après le petit-déjeuner, on est parqué dans la salle commune et on attend le Père-Noël ou je ne sais qui d’autre. Pas possible de se reposer sauf recroquevillé sur des vieux sièges encore dans cette salle commune ou (c’est ma place) sur un radiateur qui scie les fesses, comme un gros chat. Cela sera possible jusqu’à ce que la chaudière pète. On avait froid.Maintenant on est transis. Pas de couverture supplémentaire disponible, plus de sieste sur le radiateur, même plus de chaleur qui se dégage, que le froid et le mépris.

L’odeur qui flotte au réveil dans les chambres est insupportable. Sudations médicamenteuses. Nuits agitées. Cris. Les oreilles aussi sont malades de ces cris. Ça me rend malade. Je voudrais libérer tous ces hommes et ces femmes qui crient. Enfermés pour des conneries. Chambre
d’isolement. Des hurlements incessants. Je ne vois pas comment on va faire pour se sentir
vivants et contents de ce qu’on entreprend. La question ne se pose presque plus. L’entreprise et l’action sont impossibles ici. Tu subis, tu fermes ta gueule et tu quémandes. Si tu émets une
idée qui va contre le bien-être train-train des soi- gnants, isolement. Ils vont pas s’emmerder avec les grumeaux.
L’hôpital psychiatrique, c’est ça : cacher les grumeaux avec comme but ultime de les dissoudre, les atomiser et les œufs en neige seront bien battus. Battus comme certains patients ici.
Battus d’avance, par les vents, les détresses. À plate couture.

I.

Sainte‐Anne, hôpital psychiatrique, de Ilan Klipper

Nous avons choisi de revenir sur ce documentaire, sorti en mai 2010, car il présente à nos yeux un très grand intérêt. Filmant pendant plusieurs mois dans les services fermés des secteurs 15 et 17 de l’hôpital Sainte-Anne à Paris, Ilan Klipper a manifestement réussi à se faire oublier dans des murs où, entre blouses blanches, pyjamas bleus et quelques visites de proches, il n’y a personne. Le résultat est là : la réalité quotidienne de l’enfermement blanc. Un premier texte propose une analyse globale du film, tandis qu’un second reprend une « scène » particulièrement significative.

sainte‐Anne, asile du XXéme siècle, ou comment le pouvoir psychiatrique fonctionne intra-muros, comment les médecins-psychiatres et les infirmier- e-s exercent ce pouvoir, comment ils en jouissent. On voit le traitement réservé aux désigné-e-s malades, les neuroleptiques massivement prescrits, les électrochocs, l’isolement et la contention. On voit à quoi est réduite la condition de psychiatrisé-e. On voit ce qui résulte des procédés employés. Mais quelques lumières dans ce sinistre tableau : des résistances se manifestent !

 

Chimiothérapie avec usage massif des neuroleptiques

sainte-anneIci la chimie est le seul moyen utilisé, la seule arme. La quasi-totalité des hospitalisé-e-s qui apparaissent dans le documentaire sont sous l’artillerie lourde des neuroleptiques : Tercian, Haldol, Largactil, Risperdal, Loxapac.

L’exemple le plus révélateur est celui de E.. Quand on le voit pour la première fois, il est plutôt excité et tient des propos délirants, il va se retrouver attaché (sauf un bras) sur son lit, avec un traitement supplémentaire, sans avoir apparemment commis la moindre violence. Le diagnostic est « schizophrénie affective ». En réunion de synthèse, on apprend qu’il est là depuis dix jours, avec un traitement lourd : Largactil 200 mg, Haldol 200 mg, avec en plus du Loxapac et du Valium. Le chef de service s’énerve : « Vous ne l’avez pas calmé ! », « Traitez- les, ces patients-là, enfin ! Ça se voit… moi je le vois à la fenêtre, il gueule comme un putois ! » Il reproche à l’équipe médicale de ne pas avoir procédé à des injections et de ne pas avoir utilisé les neuroleptiques les plus sédatifs. Quelque temps après, E., qui a fait des incidents – non-violents – dans la cour de promenade, est enfermé dans sa chambre avec une heure de sortie le matin et une heure l’après-midi. Autre réunion de synthèse (une semaine plus tard ?) : E. est maintenant sous Tercian (600 mg) et Haldol (400 mg) mais toujours pas « sédaté », comme ils disent. Le chef de service s’étonne : « Là où il est quand même très singulier, c’est que avec un traitement injectable correct, sédatif, le mec il est insomniaque complet… ça interroge, quand même… » et il prescrit scanner et EEG (1)… Dernière image du film : E., qui s’est énervé – verbalement – avec d’autres psychiatrisés, est attaché sur son lit, assommé par une injection. Encore une fois, la chimie a mis provisoirement fin à l’excitation et aux propos incohérents. Mais le spectateur ne verra pas l’issue de cet affrontement entre le pouvoir psychiatrique, qui n’a d’autre objectif que de casser le symptôme, et la vie d’un être qui n’a eu d’autre solution que d’emprunter une voie particulière. Le symptôme résiste, semble- t-il, docteur.

Electrochocs

Sur D. nosographié (2) dépression sévère. Être humain réduit à une pathologie. Être humain réduit au symptôme le plus récent « n’a pas mangé depuis plusieurs jours ». Être humain réduit à une signature au bas d’un document autorisant le pouvoir médical psychiatrique à pratiquer des séances d’électrochocs. Être humain réduit à un corps choqué à coups de décharges électriques. Être humain réduit à une réaction cérébrale à une décharge électrique : le médecin ayant pratiqué l’électrochoc commente avec une collègue le tracé de l’électroencéphalogramme sur le ruban de papier… « À chaque fois, il fait de très belles crises ! … – Là elle est pas belle, sa crise… elle démarre… ça va, la phase de recrutement… mais tu vois l’amplitude n’est pas…
– Je vais diminuer un peu…
– Non non non, tu diminues pas… Maintenant elle commence à monter, mais c’est pas très joli… – C’est pas comme au début… je peux vous montrer, au début ça a été trois fois de très belles crises, avec un arrêt brutal.
– Là, tu vois là, ça se termine bien… »
Notons qu’à cette occasion, les collaborateurs du dispositif électrochoquant ne nomment pas ce qu’ils font : l’un parle de « séance », l’autre – infirmier – d’« examen »…

Isolement et contention

Une des réussites de ce documentaire est de montrer que, dans l’asile du XXIème siècle, la contention et la chambre d’isolement sont devenues un soin à part entière ! Non point que, depuis les années 50 et l’invention du premier neuroleptique, elles aient disparu… Pas morte, la camisole ! Mais ces dernières années, les chambres d’isolement se sont multipliées et les prescriptions de la contention ont grimpé en flèche…
Et depuis le début de l’asile, ces pratiques ont été justifiées par un discours médical, y compris lorsqu’elles se situaient clairement dans le registre de la punition. « Sainte-Anne, HP » donne pleinement à entendre la version actuelle de ce discours, un alibi médical que tout le personnel, du plus haut au plus bas de la hiérarchie, peut reprendre en chœur et les « patients » gober avec leur traitement médicamenteux. Bien évidemment ce discours – quelque peu adapté – est proposé à l’extérieur : aux proches et – très rarement – aux « honorables citoyens », usagers potentiels du système de soins. Morceaux choisis : « Mlle A., je pense que ça va vous faire un petit peu de bien d’être contenue, parce que vous allez pouvoir dormir un petit peu et vous reposer… (…) Mlle A., je pense que vous aurez un petit peu de Tercian tout à l’heure, parce que je crois que ça vous calme un peu… » (3).
Mais parfois le punitif parle à ciel ouvert, cherchez bien le médical, il en reste peu : « Ne manquez pas de respect aux gens, sinon on va vous rattacher avec des piqûres aux fesses, c’est ça que vous voulez ? (…) vous n’allez pas rester longtemps détaché… vous voulez mon avis, moi j’vous l’donne ! (…) On vous a déjà attaché à deux reprises, je crois qu’il va y en avoir une troisième et ça va pas être demain ! Vous avez déjà été attaché deux fois, visiblement le problème c’est que vous n’avez pas compris ; en général une fois ça suffit aux gens pour qu’ils comprennent, pour qu’ils se calment… »
Discours téléphonique d’un médecin au père d’un « patient » mis sous contention : « Vous savez, les patients, je vais vous dire… euh… actuellement… et en même temps je crois qu’il est rassuré d’être contenu, comme toujours dans ces cas-là les patients… Nos patients à nous n’aiment pas être violents, n’ont aucun plaisir dans l’agressivité, ils se protègent, ils se défendent mais… donc il est, d’une certaine manière, mécontent évidemment d’être comme ça mais soulagé d’être contenu et d’être protégé de sa propre agressivité (…) C’est pour l’aider, hein, et surtout au niveau de l’équipe pour qu’on puisse mettre en place un traitement efficace et le plus rapidement possible on lèvera cette solution thérapeutique… ». Notons de plus que le pouvoir psychiatrique ne se contente pas de ne pas entendre les paroles des psychiatrisé-e-s – quand ils ou elles ont encore la force de les proférer – il s’autorise à parler à leur place.

Survivance du régime disciplinaire

Ce que met en lumière le film d’Ilan Klipper, et cela a peut-être échappé à la volonté de l’auteur, c’est la survivance du régime disciplinaire asilaire dans certains services fermés de l’hôpital psychiatrique du XXIe siècle. Mise sous neuroleptiques, injections de force, contentions, mise en chambre d’isolement, électrochocs, traitements-punitions : les psychiatrisé-e-s sont réduit-e-s à des symptômes identifiés par la nosographie psychiatrique et soumis-e-s à des traitements destinés à les éradiquer. La désignée maladie doit céder. Foucault parle ainsi des fonctions de l’hôpital psychiatrique du XIXe siècle, de l’asile : « lieu de diagnostic et de classification, (…) mais aussi espace clos pour un affrontement, lieu d’une joute, champ institutionnel où il est question de victoire et de soumission ». (4) N’avons-nous pas affaire au même type d’affrontement, même si les stratégies et les moyens ont changé ?
Le comportement normal doit être rétabli, le « retour des conduites régulières » évoqué par Foucault, ne fût-il qu’un ensemble – provisoire – de signes de normalité. Et cela fonctionne efficacement pour certains « patients » : D., après les électrochocs, a un discours totalement stéréotypé, en accord avec tout ce que peut dire le médecin. Quant à N., il conseille l’intendante à propos des vis de sa fenêtre pour que les « patients » ne s’évadent pas ! Et il téléphone comme s’il était infirmier : « On a un petit problème avec un monsieur qui pète les plombs… » !

Pour finir

On peut lire dans le texte officiel de présentation du docu : « Le manque criant de moyens financiers et humains implique une cadence infernale, un flux permanent de malades, qui ne permettent pas au plus consciencieux des soignants de faire correctement son métier. » Problème, et éventualité d’un commentaire artificiellement plaqué, car rien de tel n’apparaît dans ce film, sauf au niveau de l’entretien : lit cassé que l’on entoure de sparadrap, poignée de porte cassée et jamais réparée (5)…

Qui pourrait prendre l’appel au service voisin demandant quelques hommes en renfort en vue d’une injection à un patient prétendument agité pour une illustration du « manque criant de moyens humains » ? Si un tel manque apparaît de façon flagrante dans le documentaire des « Infiltrés » (6), ce n’est pas le cas dans les services filmés ici. Quant à la fin de cette tirade, elle renvoie à une question qui n’est pas mince : qu’est-ce que faire correctement le métier de « soignant » dans de tels services ? Et si le « plus consciencieux des soignants » était celui qui choisit de ne pas exercer ce métier, ni là, ni ailleurs ?…

J.

Notes :
(1) Electroencéphalogramme. (retour au texte)
(2) Nosographie : description et classification des troubles et maladies. (retour au texte)
(3) Voir aussi le texte, « La bataille du pyjama ». (retour au texte)
(4) Le pouvoir psychiatrique, Seuil/Gallimard, 2003, p. 345. (retour au texte)
(5) Mais pas de problème avec le matériel de contention, toujours présent en abondance… (retour au texte)
(6) « Hôpital psychiatrique : les abandonnés », diffusé le 18 mai 2010 dans le cadre de l’émission les Infiltrés sur France 2. (retour au texte)

La bataille du pyjama

Retour sur une scène du film « Sainte-Anne, hôpital psychiatrique ». Le récit d’une résistance remarquable.

labatailledupyjamaUn infirmier : « A., après le repas tu remets un pyjama, d’accord ? Parce que tu sais que t’as pas le droit d’être habillée en civil, hein ? » A. se remet en bleu, mais elle a gardé son pantalon « civil » sous celui du pyjama. Elle argumente, expliquant qu’elle l’a mis pour sortir fumer une cigarette, parce qu’elle a froid.
L’infirmier : « Ah non, non. Le truc, c’est qu’à l’intérieur il fait bon, t’as pas besoin d’avoir double épaisseur de pantalon et si tu veux sortir fumer, tu te les gèles dehors ! Fumer, c’est pas un dû.
A. : – C’est une punition, c’est ça ? »
Quelques instants plus tard :
A. : « J’aurai froid, je suis sortie déjà comme ça et j’ai eu froid.
L’infirmier : – Ben tu fumeras plus vite et t’au- ras moins froid, mais tu ne gardes pas ton pantalon civil. On ne discute pas, tu l’enlèves !
– Si, on discute !
– Non, non, non. Y en a marre de discuter, d’accord ?
– On m’a demandé de mettre un pyjama, je vous
ai mis un pyjama pour vous faire plaisir.
– Non, non, je t’ai dit d’enlever les habits civils. » L’infirmier et une infirmière commencent à enlever la veste de pyjama, car A. a aussi gardé un pull dessous.
A. : « Je vous ai mis un pyjama pour vous faire plaisir, arrêtez de me faire chier ! Arrêtez de me
faire chier !
L’infirmier : – OK, je vais préparer l’injection, y aura plus de soucis, t’iras pas
fumer, on va te mettre en pyjama nous-mêmes, allez hop ! »

Deux infirmières et un autre infirmier baraqué enlèvent le pantalon « civil » de A. et lui remettent l’uniforme bleu. L’infirmier du début revient avec l’injection, mais ne participe pas.

A. : « J’ai pas compris pourquoi vous faites ça… L’infirmière plus âgée : – Mlle A., y a un règle- ment ici qu’il faut respecter.
– Oui, mais j’ai pas envie d’être ici !
– C’est pas comme ça que vous allez sortir d’ici,
hein ! C’est pas comme ça que vous allez sortir
d’ici, hein ! »
A. ne parle plus. Tournée contre le mur, elle pleure.
L’infirmière plus âgée change de comportement, elle se tourne vers l’infirmier avec l’injection : « Bon écoute, laisse tomber, je crois qu’on va la laisser…
– Ouais, mais j’ai l’air de quoi, moi maintenant ? J’ai plus de crédibilité, moi !
– Non non, ce n’est pas une question de crédibilité…
–Mais si!
– On n’en discute pas devant les patients. Tu la trouves agitée, là ? Là elle n’est pas agitée, monsieur, elle est angoissée. » Fin de la scène.

Notons au passage qu’il n’est pas non plus permis à un individu hospitalisé d’éprouver des émotions « civiles », telle par exemple que la tristesse. Celle-ci devient de l’angoisse, ou alors une humeur dépressive. La peur elle aussi devient de l’angoisse, et la colère de l’agressivité. Quant à la joie, un trouble de l’humeur ? Voilà un indicateur de plus du processus de falsification médicale qui règne intra-muros.
On retrouve la fine équipe en train de préparer un lit de contention pour A..
A. est sur son lit, immobile, elle a enlevé le pyjama bleu. Un peu plus tard elle s’est entièrement rhabillée « en civil ».

Dans la chambre d’isolement, l’infirmière : « Vous n’allez pas bien du tout !
– Si!
– Non, vous n’allez pas bien du tout ! Vous n’allez pas bien du tout, Mlle A. ! »

L’infirmière et un infirmier la déshabillent et lui remettent le pyjama de malade.

A. : « Pourquoi vous faites ça ?
– Parce que, Mlle A., vous vous mettez en danger. Vous vous mettez en danger, Mlle A., parce que vous n’écoutez pas ce qu’on vous dit, et parce que vous faites n’importe quoi.
– J’ai envie de m’habiller, c’est pas n’importe quoi de s’habiller.
– Effectivement, c’est pas n’importe quoi ; seulement je vous ai expliqué, Mlle A., qu’il y avait un règlement et qu’il fallait le respecter. Vous m’avez dit : je vais déchirer le pyjama, prendre l’élastique pour faire vous allez voir quoi… Et on ne peut pas vous laisser vous promener en petite culotte, vous êtes à l’hôpital et il y a des hommes. On ne peut pas vous laisser faire n’importe quoi !
– On va m’étrangler.
– Non, on ne va pas vous étrangler, personne ne va vous étrangler ici.
L’infirmier : – Ça va vous aider la contention, un petit peu, parce que vous êtes dispersée…
– Je ne suis pas dispersée, c’est vous qui êtes dispersés.
L’infirmière : – Et je pense que ça va vous permettre aussi de vous reposer un petit peu…
– Mais qu’est-ce que vous me faites ? Pourquoi vous me faites ça ? Pourquoi vous me faites ça ? Pourquoi ?
– Mlle A., on n’est pas en train de vous faire du mal, on est en train de vous protéger de vous-même là…
– Mais qu’est-ce que j’ai fait ? J’ai rien fait !
– Vous n’allez pas bien, Mlle A., et vous vous mettez en danger. On ne peut pas vous laisser faire n’importe quoi, c’est pas possible.
– Mais j’ai rien fait. Et votre principe de précaution, il est où ?
– Justement, c’est ça, Mlle A..
– Et ben non, il est totalement faux, votre principe de précaution !
– Justement, c’est ça, le principe de précaution.
– Je voulais juste vous montrer c’est quoi votre problème [avec] l’élastique ; l’élastique, c’est votre peur !
– C’est mon cœur ?
– Peur!
– Oui, et alors pourquoi ?
– Pourquoi ? Parce que je peux m’étrangler !
– Ah ben voilà!
– Mais moi j’ai essayé de m’étrangler, je ne re- commencerai jamais.
– Ah bon, quand est-ce que vous avez essayé de vous étrangler ?
– En Bulgarie.
L’infirmier : – Ah, c’est nouveau, ça.
L’infirmière : – Pourquoi ?
– Parce que… C’est une bêtise.
– Et pourquoi vous avez fait ça ?
– Parce que c’était une bêtise… parce que je voulais mourir, je voulais… y fallait que je teste le moyen de bon pour mourir et…
– Et là vous voulez tester quoi ? Vous vouliez tester la solidité de l’élastique, là ? Est-ce que vous voulez boire ? [Mlle A. est maintenant attachée au lit]
– Moi, je veux mourir !
– Ah ben voilà ! Comme en Bulgarie, quand vous avez essayé ?
– Moi, je veux voir mon mari d’abord. Je veux voir mon mari, c’est la première chose.
– Mlle A., vous allez voir le médecin tout à l’heure. Je pense que ça va vous faire un petit peu de bien d’être contenue, parce que vous allez pouvoir dormir un petit peu et vous reposer…
– Je veux pas voir le médecin encore, je veux voir mon mari.
– C’est le médecin qui vous autorisera ou non à voir votre mari, donc il va falloir le voir, le médecin…
– En plus une autorisation de médecin de voir mon mari ? Je suis désolée, c’est…
– Mlle A., je pense que vous aurez un petit peu de Tercian tout à l’heure, parce que je crois que ça vous calme un peu…
– Vous vous croyez tout permis !
–Non!
– Si ! Imaginez-vous à ma place !
– Oui justement, j’imagine. Et je pense que vous n’allez pas bien du tout. Et je pense que juste- ment si vous étiez à la mienne, c’est ce que vous auriez fait !
–Non!
–Si, si!»

Capture d’écran 2014-05-28 à 14.43.00
Très probablement A. vient d’arriver dans ce service. Au commencement, elle est tranquille et son comportement est conforme aux critères de normalité. Survient l’injonction vestimentaire, à laquelle A. répond intelligemment par un compromis : à la fois l’uniforme et le « civil ». Résultat elle est déshabillée et rhabillée de force, moralement blessée. Et a échappé de peu à une injection de neuroleptique. Les choses auraient très bien pu en rester là.
Mais A. s’engage pleinement dans la voie de la résistance en utilisant l’objet pyjama et en le retournant contre ses agresseurs. Elle répond au dispositif médico-disciplinaire qui lui est imposé en investissant le registre médical contre la force disciplinaire qui l’a agressée : je n’en veux pas de votre pyjama car il m’est tout à fait possible d’en prendre l’élastique pour tenter de m’étrangler ! Cette séquence s’est très probablement déroulée, puisque l’infirmière y fait référence par la suite, mais soit elle n’a pas été filmée, soit n’a pas été retenue au montage. Cela redéclenche la mécanique disciplinaire, sous l’alibi du médical cette fois : c’est la chambre d’isolement et la contention qui se préparent… Et A. poursuit dans le même registre : vous invoquez mes soi-disant
symptômes et plus particulièrement ma tendance suicidaire en répétant bêtement « vous vous mettez en danger, vous vous mettez en danger » eh bien je vais vous servir ça en grand sur un plateau ! Je vais vous faire la totale ! Écoutez ça : « Moi, je veux mourir ! »
En fabriquant ainsi – mais au seul niveau du discours – le symptôme demandé, A. donne à voir le mécanisme aberrant de l’intrication médico-disciplinaire qui du côté de la discipline veut faire disparaître les signes d’anormalité et du côté médical tend à fabriquer du symptôme. Mais le plus remarquable est que A., qui là pour l’essentiel maîtrise ce qu’elle fait, révèle le sens de son action en même temps qu’elle agit (!) : « Je voulais juste vous montrer c’est quoi votre problème [avec] l’élastique ; l’élastique, c’est votre peur ! » Autant donner du caviar à un cochon, le pouvoir psychiatrique ne peut l’entendre, d’où le lapsus : « – C’est mon cœur ? » Il ne peut l’entendre, car ce serait reconnaître que cette bataille, il l’a perdue, réduit au seul rôle de manutentionnaire dans une contention orchestrée par la soit-disant patiente! Manutentionnaire manipulé. Mis devant l’évidence que sa pratique médicale, intriquée à celle disciplinaire, marche sur la tête ! Qu’elle est éminemment pathogène ! Magnifique démonstration par l’absurde. Remarquable résistance. Mais la plupart du temps l’affrontement, imposé par un pouvoir qui, à l’intérieur des murs, utilise des armes d’un autre temps, ne tourne pas à l’avantage des psychiatrisé-e-s. Ce pouvoir reste donc inacceptable.

J.

La folie

Pourquoi doit‐on enfermer la folie.
Et pourquoi que les médecins donnent des médicaments.
Mais c’est pour avoir la paix.
Pourquoi doit‐on cacher la folie.
Et pourquoi ils ne peuvent pas vivre comme tous les autres.
Car on préfère les ignorer.
Moi je trouve que ils ont le droit de vivre comme toutes les femmes et tous les hommes dans ce monde.
Car pour moi il n’y a pas de folie.
La folie ça n’existe pas.
C’est mieux de les mettre dans des hôpitaux psychiatriques que de les soigner.
Pour moi c’est les médecins qu’on doit les enfermer.

Philippe Smedts.
La Devinière, Belgique.

Lire attentivement la notice

L’hôpital psychiatrique n’existe pas que par des murs, il y a une porosité entre intérieur et extérieur qui passe, entre autres, par la réappropriation constante de termes diagnostiques comme « dépression, névrose, TS… », par la préparation d’un terrain favorable labouré depuis l’enfance pour l’acceptation, le respect du savoir médical, la peur de la déviance. La psychiatrie est un pouvoir diffus qui transforme notre monde au nom d’un « bien être social » à grands coups de concepts vaseux et de pilules.
Ceci est une tentative d’exposer ce qui alimente ce pouvoir, ses moyens, ses fins. Comme souvent c’est en les comprenant qu’il est possible de se faire un peu moins écraser. En espérant que ce texte puisse servir à celles et ceux qui se retrouvent confronté-e-s à cet enfermement.

 

Du problème à l’HP

noticeCe qui amène à l’hôpital c’est, paraît-il, une maladie. Mais une maladie psy n’est pas une sorte de réalité qui préexisterait en dehors des personnes ou qui serait valable à n’importe quelle époque ou dans n’importe quelle culture. Ce qu’on appelle une maladie psy, c’est ce que d’éminents savants occidentaux ont réussi à mettre au point en quelques siècles de dissection de cerveaux humains. De l’hystérie à l’ancienne au borderline moderne, on a vachement avancé. Ce qui ne change pas, c’est qu’il y a toujours un monde social qui fabrique et impose une norme. Mais comme dans tout groupe face à toute norme, il y a toujours une possibilité de dévier du chemin. Ne pas le suivre ou ne pas le comprendre conduit à un comportement incohérent dans un monde qui prétend être cohérent, et cela crée une souffrance ou pas. Mais peu importe la souffrance ; si le comportement ou la perception de la réalité est différente, il y aura toujours des psys avec derrière eux la toute puissance scientifique pour diagnostiquer, enfermer, traiter et enfin stabiliser le « cas ». Leur action est à replacer dans le cadre du maintien de l’ordre social centré sur la norme. Il faut donc isoler chaque « cas » pathologique, agir dessus, en transformer l’identité pour qu’elle soit en cohérence avec le monde qui l’entoure. Le projet derrière ses aspects philanthropiques est bien celui d’une hygiène sociale. Il faut traiter le dysfonctionnement : pour ce faire une batterie de catégories existent, tout un tas de symptômes correspondant à des maladies qui, habillés d’effets et de mots, deviennent de plus en plus réels.

Mais comment la maladie passe-t-elle du savoir médical au malade ? Quand le psy le lui dit, tout simplement. On a l’habitude dans notre rapport à la médecine que les constats des médecins renvoient à une entité réelle. La grippe : un virus. Le cancer : les cellules qui s’emballent. Un rhume : les foins. Enfin bref, tout un tas de choses que l’on a vraiment l’impression de comprendre. Et puis quand on est malade, il est tout à fait normal d’aller voir le docteur – docteur c’est déjà rassurant. Pour le psy c’est pareil : la dépression c’est un dérèglement de la chimie dans le cerveau (d’ailleurs on peut maintenant faire une IRM (1) fonctionnelle et vous le montrer (2). Et même si tout ça vous paraît un peu compliqué « ne vous inquiétez surtout pas on va s’occuper de vous ». Le projet semble séduisant. Lors du premier entretien, première rencontre physique entre une personne prédisposée à croire les concepts médicaux et l’autorité psy incarnée, il s’agira uniquement d’actualiser, de donner son consentement à, l’exercice du pouvoir psy. Le soignant prend le contrôle, le consultant est devenu patient. Dans certains cas ce n’est pas si simple il faut quelques outils souvent violents pour que le dispositif devienne effectif. En effet comme la justice, la psychiatrie est un pouvoir qui a les moyens d’enfermer les gens et par- fois pour longtemps.

Quand le médecin pose un diagnostic, l’effet rassurant qu’il est sensé provoquer doit constituer le début de l’acceptation de l’identité de psychiatrisé-e, « je n’ai pas juste une fracture du tibia, je suis un fracturé du tibia, cela me constitue ». Il ne suffira donc pas de régler juste ce « problème », il s’agira de changer toute sa perception de soi pour sortir du problème, c’est bien là le projet fou de la psychiatrie. L’HP est le meilleur lieu pour y parvenir. On y arrive sans trop savoir comment ça se passe : « Bonjour, donnez moi toutes les affaires avec lesquelles vous êtes arrivé, on va les mettre en sécurité, en échange on va vous donner le même uniforme qu’à tous les soignés et une copie du règlement intérieur. Si vous ne voulez pas, très bien, ce sera dehors ou Hospitalisation d’Office (HO) ou Hospitalisation à la Demande d’un Tiers (HDT) ».

L’appropriation de sa nouvelle identité se passera pacifiquement si le patient est coopérant ou avec violence s’il ne coopère pas. L’obligation d’assistance à personne en danger sera toujours là pour justifier le recours à l’enfermement. Ensuite tout est rodé pour obtenir l’accord du patient : une ribambelle d’enfermements, de médicaments, d’électro- chocs mais « tout cela c’est pour votre bien ». Le but étant que vous quittiez la sale identité qui vous a amené-e ici pour prendre celle que l’on vous propose, elle est toute neuve, certes déjà portée par plein de « soignés » avant vous, mais elle a fait ses preuves, plein de gens la portent dehors et ne s’en plaignent pas. « Vous verrez, bientôt vous vous sentirez beaucoup mieux. Alors vous allez vous soumettre, ava- ler autant de médicaments que l’on jugera bon pour vous. Et surtout vous allez fermer votre gueule sinon on augmentera la dose et vous ne pourrez plus l’ouvrir du tout. »

Hé oui madame ça marche !!!

L’essentiel n’est pas de savoir si le dispositif fonctionne, mais comment il se met en place et quel résultat il recherche. Dès l’entrée dans l’institution, le traitement est administré pour assommer le « patient ». La prescription est ensuite réévaluée pour obtenir un patient calme, n’opposant pas trop de résistance, « stabilisé ». Le but recherché est le lissage du comportement. Quoi qu’il puisse devenir, il faut viser qu’une fois dehors le-la psychiatrisé-e ne dérange pas trop les autres, que personne ne soit obligé de s’occuper de lui-elle en dehors de tous les relais institutionnels. En ce sens les résultats existent, une fois bien traité-e, un-e psychiatrisé-e sera considéré-e comme un-e psychiatrisé-e « stabilisé-e ». Calmer quelqu’un-e en lui donnant à vie un traitement est une sorte de solution. Il n’y a pas de solution possible grâce à l’ HP, le seul choix étant de ressortir différent de comme on y est entré.

Ce constat doit être accepté par le patient lui- même et par son entourage. C’est là un autre travail de l’institution, faire comprendre que le processus est long et violent pour un résultat incertain. Du côté du patient la soumission est facilitée par les médicaments dont les effets sont très vite visibles. Les proches doivent aussi accepter la réalité que quelqu’un qu’ils connaissent, se transforme en patient calme en tenue uniforme. C’est là que le médecin joue son rôle, il « décharge » de la responsabilité de la personne « malade ». Le consentement n’est donc pas très dur à obtenir, même pour des traitements violents. Ce sont donc deux consentements qui sont donnés à l’institution : celui du malade et celui de la famille qui peut aussi servir, si le patient ne se soumet pas, en signant une HDT.

Et alors ?

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de se confronter à l’institution psy. Il y a surtout des manières de s’en méfier. Un problème ou une souffrance quelconque ne peut pas se résoudre par une discussion entre amis. La solution si elle existe, reste une exception, la majeure partie des gens confrontés à ce type de problèmes se retrouve à l’HP. En niant la maladie mentale à proprement parler, nous ne pouvons nier pour autant qu’il existe des souffrances psychiques, des choix particuliers. A mon sens, aucune solution n’existe réellement pour y remédier, il y en a juste de moins pires. Il peut à tous nous arriver d’être confrontés à une personne qui va « mal ». Si le recours à la psychiatrie devient inévitable, il faut que ce rapport soit en conscience de ce qu’est cette institution. Le rôle des proches est primordial, il n’y a pas pire que se retrouver abandonné dans un l’HP rempli de gens seuls qui n’ont pas de visite et qui pourrissent là jusqu’à ce que l’hôpital ait besoin de lits. Le rapport à un enfermement doit toujours être de chercher une possibilité d’en sortir.

K.

Notes :
(1) « Le nom complet de l’IRM est en réalité IRMN, Imagerie par Résonnance Magnétique Nucléaire. (…) Cette omission vise essentiellement à ne pas effrayer les patients ». def. Wikipédia. (retour au texte)
(2) « Les troubles bipolaires : de la recherche à la pratique » émission du 03/02/2010, téléchargeable sur le site de RFI. (retour au texte)