Marge

Dans les années 60 et 70, ont existé en Europe plusieurs mouvements différents pouvant être qualifiés d’anti-psychiatriques. En France la thérapie institutionnelle, développée par François Tosquelles et Jean Oury, semble avoir occupé le terrain de la contestation de la psychiatrie traditionnelle et empêché le mouvement antipsychiatrique de pleinement se développer, comme par exemple en Grande-Bretagne, avec David Cooper.

Un mouvement radical contre la psychiatrie a tout de même existé dans l’effervescence post 68, avec entre autres le Groupe Information Asiles (GIA), et son journal Psychiatrisés en lutte, et Marge. Dans ce dernier, se sont retrouvés « délinquants », psychiatrisé-e-s, « toxicomanes », « prostituées », féminist-e-s, homosexuel-le-s… « On y a vu aussi des intellectuels, psychiatres, psychanalystes, psychologues, sociologues, journalistes, philosophes et écrivains. C’est une auberge espagnole et un melting-pot in- vraisemblable. » (J. Lesage de La Haye, La mort de l’asile). Les idées étaient libertaires, la critique de l’asile radicale et les actions nombreuses. Marge a publié un journal qui a eu seize numéros. La plupart étaient centrés sur un thème : prison, « délinquance », « toxicomanie », homosexualité, féminisme, psychiatrie, littérature, musique… La psychiatrie était un des objets investis par un combat politique exaltant la révolte des « marginaux ».

Le n°6 (avril-mai 1975) s’appelait Pourriture de Psychiatrie, nous avons choisi d’en reprendre un texte intitulé « Le désir de psychiatrie ». Pour autant, cela ne signifie pas que nous sommes d’accord avec tout ce qu’il contient. Mais il nous semble incontournable de se confronter à l’histoire des différents mouvements ayant existé, aux ouvrages et publications, afin d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : quelles étaient les composantes liées spécifiquement à cette époque, à son contexte politique ? Quelles idées, réflexions et formes d’action pourrions-nous reprendre, partiellement ou totalement ?

orthopedie-andry.2Le désir de psychiatrie

Assez de mensonges, messieurs les spécialistes et que cela soit bien clair dans l’esprit de tous, à savoir que nos objectifs sont :

  • la destruction de la psychiatrie,
  • la libération de tous les « malades mentaux »,
  • la suppression de tous les asiles.

Il faut crier, hurler qu’il n’y a pas d’autre alternative à la psychiatrie que celle de sa destruction.
C’est pourquoi il est nécessaire de dénoncer le discours anti-psychiatrique qui n’est que le retour du même. L’anti-psychiatrie, c’est encore et toujours la psychiatrie et son discours, la répétition sans la différence. Le temps n’est plus à dire mais à faire, non pas l’action pour l’action, mais bien l’intervention généralisée sur les lieux mêmes de la répression sauvage et aveugle qui demain peut tous nous frapper, car nous sommes tous des malades mentaux en puissance et nous savons trop ce qui nous attend si nous ne faisons rien. Là est le seul discours qui peut fonder notre pratique contre l’institution psychiatrique.

Nous affirmons tranquillement que la maladie mentale, ça n’existe pas et que ce n’est qu’une invention de psychiatres. De plus nous sommes persuadés qu’il s’agit bien là d’un phénomène racial, d’une négation de l’autre qui passe par le refus de cette différence qu’est le comportement du « malade mental ».

Il n’est plus nécessaire de démontrer qu’en plus de son caractère profondément répressif, la machine psychiatrique est un immense instrument (et de premier ordre S. V. P. !) aux mains de la bourgeoisie, de qui les psychiatres, libéraux, gauchisants, pseudo- révolutionnaires ne sont que des alliés objectifs qui norment, encadrent, codent, gardent, emprisonnent, lobotomisent, normalisent, neuroleptisent, classifient, électrochoquisent, analysent ces dits « malades mentaux ».

La vérité, c’est qu’on appelle la folie maladie mentale, parce que la folie fait peur, qu’elle dérange, qu’elle décode et court-circuite tout le système. C’est ça l’investissement politique inconscient ou conscient du champ social. Ce que nous disons, c’est que la folie est politique, que ses origines sont politiques et que, comme la délinquance, elle est une fantastique révolte de l’homme contre le pouvoir de cette société de misère, que tous les « malades mentaux » sont des prisonniers politiques et que c’est pour des raisons fondamentalement politiques qu’on les enferme, que la folie ça existe bel et bien et que ça fonctionne très bien, mais que ça n’a rien à voir avec une maladie et qu’il s’agit de tout autre chose que ce que les spécialistes en question voudraient bien y voir.

Alors voilà, on peut se demander ce que ça veut dire, ce désir de psychiatrie ? Qu’est-ce que ça signifie et à quoi ça sert un psychiatre ? Coureur de vacations, de chimères ou de fantasmes ?

L’extraordinaire, c’est que nous avons même rencontré des psychiatres heureux, qui aiment leur travail, en sont fiers et défendent l’institution. Ils ont bonne conscience, ils répondent à la demande, on peut d’ailleurs se demander laquelle puisque c’est eux qui la créent, ils aident et soulagent. On croit rêver, eux les complices des flics, des juges, des patrons, eux qui utilisent leur pouvoir à enfermer, eux qui se déchargent du sale travail sur ces larbins, les leurs, que sont les infirmiers psychiatriques. Que dire ? Que faire ? Chaque année de brillants médiocres petits cons d’étudiants en médecine font leur entrée en psychiatrie. Ce qu’ils veulent, c’est voir les fous de près, les étudier, comprendre pourquoi ils sont fous et comment ils ont pu en arriver là, ces malheureux… Ça ne risque pas de leur arriver. Qu’on se souvienne de ces mots de Cooper qui, parlant des psychiatres, disait « qu’ils ne sont en fait que des médecins médiocres, des gens qui n’ont pas pu « réussir » en médecine générale ».

Mais après tout qu’importe, « la violence qui crève les yeux, continue Cooper, c’est cette violence subtile et masquée que les autres, les hommes normaux, exercent sur ceux qu’on a baptisés fous ».
Ce qu’il se passe, c’est qu’il existe une catégorie d’hommes qui n’acceptent pas la différence, c’est alors que leur soif de rationnel les conduit au sadisme.

Gérald Dittmar