Mon panache

bloodletting-2J’ai perdu 10 ans de ma vie à l’école, je me suis pas vue grandir, je me verrai pas vieillir non plus. Mes potes verront bien que mes cheveux blanchissent et que mon corps flétrit. Je verrai bien que j’ai des trous de mémoire et un fatras de souvenirs. Mais je n’aurai pas le temps de m’y appesantir, occupée chaque jour par l’écrasante nécessité de vivre.

Parfois je me réveille la nuit, je me dresse dans le plumard, en disant d’une voix endormie: « J’ai encore fait un cauchemar« .
Combien de personnes qui partagent mes nuits ont pu voir cette scène, et entendre ce récit…
« J’ai rêvé que je tentais d’échapper à mon père mais qu’il finissait par m’attraper et me mettre en HP. »
Et toujours je constate la présence d’un(e) ami(e) ou d’un lieu sûr, et me rendors, ou alors je me blottis contre mon compagnon, comme pour élargir les parois de la nuit en diluant, dans sa chaleur, l’impact.
C’est un rituel étrange et bref, une mort et une renaissance, un passage de la terreur à la tendresse qui m’échoit parfois par surprise, et que j’accomplis de bonne grâce. Il est doux d’avoir du temps et des amis auprès desquels panser ses plaies. C’est le sens premier que je donne à ma vie, c’est pour ça que je me réveille chaque matin : pour constater que je suis loin des lieux de mes cauchemars, entourée d’êtres qui m’ouvrent un présent plus supportable.
Et puis le temps passe, la nuit s’en va, le jour se lève et j’essaie d’y graver autre chose.
Le rêve revient pourtant, et ma peur inquiète parfois ceux qui en sont témoins.

C’est que moi, l’HP, je suis pas sûre d’en sortir vivante : je tombe déjà dans les pommes si je tire sur un joint, comment pourrais-je tenir le coup sous neuroleptiques ?
Et si je vivais, dans quel état ? Que resterait-il de moi, moi qui fonds en larmes si on me colle une baffe, moi qui me débats et me sauve dès qu’on prétend me séparer trop longtemps des gens que j’aime ? Que resterait-il de moi si je ne pouvais plus dessiner, serrer ma peluche contre moi la nuit, si je ne pouvais plus lire, ni avoir sous mes yeux les quelques objets auxquels je tiens ?
Que vivrais-je, lorsque mes amis me verraient en pyjama hideux, défoncée et impuissante, moi qui aime tant
être super sapée et faire mon intéressante ? Et s’ils ne peuvent me sauver, que leur laisserais-je, que resterait-il de nous ?
Comme si je n’étais pas déjà assez pauvre, assez frustrée, qu’il faille tout me retirer.
Car ce n’est pas juste moi qu’on retirerait du monde. C’est le monde qu’on me confisquerait. C’est moi-même qu’on me retirerait. C’est toute mon histoire, mes rêves, mes espérances, et la façon dont je m’accommode
de moi. C’est les petites cachotteries que j’ai mis en place pour supporter le monde, comme le rêve, la poésie, l’humour.
C’est le mot de la fin, celui que je dois prononcer avec mon dernier souffle, et qui dit : « Mon panache ».
C’est tout ça dont je peux être privée un jour, si j’ai escaladé un mur de trop, si j’ai eu le malheur de tomber à genoux en larmes devant un cheval roué de coups, si j’ai mordu un flic, si j’ai trop souri, trop pleuré, trop ri, si j’ai eu du mal à contenir des choses qui n’auraient pas à l’être.
Je vis sous cette menace, en apnée sous la tranquillité des autres, chaque seconde m’est sursis.
Mes projets tiennent du luxe fantasque.
Il me semble plus réaliste de m’imaginer des épitaphes.
J’en veux des splendides! Quand j’en trouve des bien, je rêve de me les faire tatouer sur la peau.
Ainsi, quand ils m’auront chopée, je pourrai, dans l’interminable corridor du néant, faire faire les cent pas à mon enveloppe charnelle, comme on exhibe obstinément une œuvre à jamais incomprise du public.
Elle sera ma propre sépulture, dernière demeure chimiquement vidée de ma présence.
Mon père me l’a promis, ce dénouement. Il a passé des années à m’apprendre des choses et me donner à manger, pour ça.
Pour l’examen final où je refuse de rentrer dans l’ordre.
Jean-Marie, prends ta fille, ta fille unique, et si elle veut pas bosser pour le système, porte-la sur l’autel de la science.

Et cette fois, on mettra pas un mouton à sa place, ça rigole plus, c’est pour de bon. On a des médicaments qui font passer l’envie de rire.
Je rêve de m’écrire sur les fesses un poème indiquant à quel point j’en ai fait bon usage.
Pour quand ils y planteront l’aiguille.
Mais finalement je n’écris rien sur mon corps. Je ne veux pas porter sur ma vie l’ombre de ma mort.
Je pense des fois à la perplexité des brebis qu’on couche sous une lame. À leurs questions.
« Ne suis-je qu’une viande ? Qu’une fille ? Qu’une main d’œuvre ?
Comment ai-je pu faire taire mes doutes, ne rien dire, ne rien faire, ne tuer personne, jusqu’à ce moment où il est trop tard ?
Comment n’ai-je pas mis le monde en branle, pour donner le change à une telle mesure d’horreur inexplicable, comment ai-je pu laisser mon destin entre ces mains intéressées, et croire à leur bienveillance, pour qu’en ce jour tant de haine nous incombe et me réduise au silence ? Ne suis-je pas un peu jeune, encore, après tout ? » L’amour des parents pour les jeunes, tout ça… Ces concepts que je n’ai jamais vraiment dépassés… Ces concepts que j’ai mis toute une vie à remettre en question envers et contre tout, par amour de la logique…
Ces barrières mentales qu’on appelait des roses et sur lesquelles je me suis déchirée…
Dans quelle faille spatio-temporelle s’évanouissent-elles dans le crâne de mon père, dès lors qu’une autorité prétend se charger de mon cas ?
Je fuis l’imaginaire de cette fin tragique, qui me visite pourtant dans mon sommeil, sous ses formes les plus baroques.
En attendant, j’aménage ma peine. Je sème ma vie de points de suspension, consciente que chaque mot peut
être le dernier. C’est ennuyeux car la vie, pour moi, c’est pas ça, c’est un grand brouillon, un perpétuel réajustement.
Ça devrait être: prendre le temps d’être tout (en passant s’il le faut par n’importe quoi). Pas craindre sans cesse de n’être plus rien.
Je suis l’aboutissement de plusieurs millénaires de civilisation. Je suis la possibilité d’éliminer discrètement de la progéniture qui ne correspond pas aux besoins de son corps social, sans avoir à se donner la peine d’en penser quelque chose.
Quel épilogue apporter à 25 ans d’existence ? Et que dire aux personnes auprès desquelles j’essayais compulsivement de me rendre irremplaçable ?
Dans cette vie au futur conditionnel, j’aurai aimé.
Dans l’hypothèse où mon père ne m’attrape jamais (ou se décide à se faire oublier, seule chose saine dont il soit encore capable), je pense vraiment que je pourrais, moi, faire des trucs géniaux.
Je sais pas encore quoi.
Un truc qui me distingue, un machin merveilleux qui dépasse du couvercle de l’absurde, comme un pantin joyeux qui surgit de sa boîte.
Un truc évident.

Célie.

Pour toi toubib

Ce texte a été écrit en 2004, soit trois ans après un internement d’office sur la demande d’un tiers et sur les conseils d’un médecin des urgences. Pour faire court, un soir de profond malaise je me suis mis minable pour ne plus rien ressentir et je me suis endormi… pour me réveiller je ne sais combien de temps après dans un lieu inconnu : une chambre blanche, attaché à un lit. C’est sûrement l’expérience la plus angoissante que j’ai connue. J’ai vécu cela comme une véritable injustice, j’étais simplement triste, malheureux et profondément déprimé et la seule solution qu’on m’ait apportée a été de m’enfermer. C’est ainsi que j’ai découvert le monde merveilleux des hôpitaux psychiatriques. Le premier dans lequel j’ai été interné d’office et duquel j’ai pu sortir à la seule condition d’accepter d’être envoyé dans une clinique privée. Et c’est dans cet établissement que j’ai fait la rencontre de ce psychiatre qui m’a pourri la vie en me déclarant schizophrène. Ce texte s’adresse à lui.

Un jour quelqu’un m’a dit :
« Tu dois entendre ce que j’ai à te dire : tu as une maladie qui touche un jeune sur cent. »
Je l’interrompis :
« Ah bon ? Non mais ça va mieux maintenant, je parle avec tout le monde, je connais l’histoire de chacun ici. Je crois même que je commence à aimer les gens, c’est dire ! »
Et cet homme, indigne individu, continua son discours, sans prêter la moindre attention à ce que je pouvais lui dire, sans savoir que ce qu’il allait dire me tourmenterait durant des années.
« Tu es schizophrène ! »
Trou noir… J’étais anéanti. Je ne connaissais pas la définition exacte de ce terme mais je savais que cela n’augurait rien de bon. Tandis que je restais immobile et silencieux, il quitta la pièce sans plus d’explications.
Qui es-tu, sombre individu, pour que briser la vie de tes semblables soit pour toi un moyen de gagner la tienne ?
Ainsi, par ce diagnostic, cette sentence, tu m’as fait entendre que j’étais en dehors de la réalité.
Tu m’as ainsi signifié que ma façon de voir et de comprendre les choses et les événements était erronée par un quelconque défaut psychologique. Alors que je t’expliquais que c’était cette société pourrissante et avilissante qui gâtait nos âmes, tu me disais qu’il fallait que je me rase et que je retire mes piercings pour pouvoir trouver du travail, et alors, alors à moi les joies d’une vie sociale épanouie.
As-tu seulement écouté ce que j’avais à dire ou attendais-tu simplement que ça soit à ton tour de parler et de me gerber à la face tes cours de psychologie et ton amour de ce système qui fait ta richesse et moi ma misère ?
Car finalement, que connais-tu de la misère humaine, laquelle pour toi se soigne à coups d’injections de neuroleptiques et autres stupéfiants, qui, soit dit en passant, n’arrangent en rien notre mal-être ? Au contraire, cela nous sépare de notre souffrance, nous la rendant étrangère et ainsi encore moins compréhensible. Tu prépares simplement nos cerveaux, les rendant malléables et réceptifs à tes propos abêtissants.
serresJe dis « nos cerveaux », car si je suis en dehors de la réalité, c’est de la tienne mais certainement pas de celle de toutes ces personnes que j’ai côtoyées dans les couloirs de ton établissement. Je suis certain de mieux les comprendre que toi toubib.
Là où tu vois des pathologies, je vois simplement des personnes brisées, souffrantes d’être victimes d’un système que tu défends et postules comme base de toute guérison.
Alors, il faudrait nous adapter à une vie non choisie et inhumaine, subir ses coups sans faillir plutôt qu’essayer d’adopter un mode de vie plus proche de ce que nous sommes, c’est-à-dire des femmes et des hommes, et non des bêtes de somme servant uniquement à enrichir une minorité dont tu fais partie.
Toi tu as de la chance toubib, car ta bêtise te protège de toute souffrance. Tu es bête au point de ne pas saisir le monde qui t’entoure. Car comprendre ce monde, c’est souffrir. Le décrire, c’est le haïr. Tu prouves ton manque d’intelligence en te faisant son défenseur, et par là-même tu plonges dans un désarroi encore plus profond quantité d’âmes perdues qui passent entre tes mains et à qui tu fais subir ta psychologie de bas-étage. D’ailleurs, n’est-ce pas plus de l’idéologie que de la psychologie ?
Je te retourne une question que tu m’as posée cent fois toubib, comme si la réponse que je te fournissais ne te convenait pas !
– Te sens-tu différent ?
Ce à quoi tu répondrais sans doute, comme je l’ai fait :
– Différent de quoi ?
Et là, je préciserais :
– Différent de nous, tes patients, tes cobayes ? Pour mieux dire.
Mais quelle question idiote que celle-ci. Comment toi, un homme respectable, bardé de diplômes, avec ta culture, pourrait-il se comparer avec des êtres tels que nous, misérables et incultes ?
Que je suis bien candide de te poser cette question.
Nous ne sommes que les faire-valoir de ta supposée intelligence, que tu sais très bien placer au-dessus de la nôtre, nous rappelant sans cesse que nous sommes incapables de nous comprendre par nous-mêmes.
Mais sais-tu que la plupart de tes victimes reconnaissent que la seule thérapie efficace dans ta clinique venait des discussions que nous avions les uns avec les autres ? Et sais-tu pourquoi ?
Parce que nous nous parlions d’égal à égal. Aucun de nous ne se sentait supérieur à un autre. Nous partagions simplement notre souffrance sans émettre de jugement.
Penses-tu vraiment que c’était en faisant de la poterie, du vélo, des puzzles ou autre activité de ce genre, et en parlant une fois par semaine avec toi, pendant un quart d’heure, que tu nous « guérissais » ?
Ah oui ! J’oubliais nos rassemblements du mardi, dignes de réunions d’entreprise, avec tes fameuses séances de résolution de problèmes. Tu veux que je te dise toubib, c’était toi, notre plus gros problème. Je te laisse imaginer comment moi je l’aurais résolu…
Tu es encore plus stupide que ces curés ou autres gourous qui promettent un paradis à leurs dupes s’ils se plient à leur morale. Mais il est vrai, et je le conçois fort bien, qu’il est plus gratifiant pour toi de penser que c’est tes explications, tes conseils et ton jargon de psychiatre qui apaisent nos pauvres petites psychés si durement malmenées par la vie.
Entre parenthèses, ton manque de modestie affecte ton jugement. Car tu devrais reconnaître qu’il t’est bien facile d’épater avec ton verbiage, et de convaincre du bien-fondé de tes propos un patient sous Valium ou autres drogues que tu prescris. Remarque, maintenant que j’y pense, tu en es peut-être conscient. Cela expliquerait la colère que tu as manifestée à mon égard lorsque je t’ai expliqué que je refusais de prendre ma dose, pour cause de pulsions suicidaires exacerbées, et là pour le coup, de réelles pertes de contact avec la réalité.
Je me souviens encore de tes explications vaseuses :
– Je ne comprends pas. On ne te donne pourtant que 15 gouttes de neuroleptique par jour.
Tu oubliais mes antidépresseurs et les antipsychotiques. Oh ! Que c’est joliment choisi ces noms de psychotropes. C’est sûr que ça sonne plus « médical » pour des drogues.
Tu continuais donc en m’expliquant, tout fier de ta métaphore, « qu’un bon traitement, c’est comme une paire de chaussures, il faut qu’il soit bien adapté. » Et là, je revois encore, et non sans un certain plaisir, ta mine déconfite lorsque je t’ai rétorqué qu’à ce moment-là je préférais avancer pieds nus. C’est à partir de cet instant que notre communication est devenue orageuse, car tu as bien compris que, me débarrassant de ma camisole chimique et donc de ton emprise sur moi, j’allais être moins réceptif à tes honteuses manipulations. Mais je m’égare, recentrons-nous sur le sujet.
Je disais donc que c’est entre nous autres, tes patients (car il est vrai qu’il en faut de la patience avec toi), que l’on trouvait le plus de réconfort. Élément que tu réfutais, nous mettant même en garde de croire que cela nous aidait. Évidemment, si on suit ta logique, comment veux-tu qu’un mec malade aide un autre malade ? Forcément qu’ils se trouvent tous les deux normaux, vu qu’ils sont anormaux, tu me suis toubib ?
Enfin bref, toujours est-il que tu as dû faire de bien brillantes études toubib, pour douter autant des bienfaits d’une bonne discussion.
serres2Mais encore une fois, c’est sûr que c’est bien plus gratifiant pour toi de penser que nous faire subir tes monologues (ô combien chiants et démoralisants pour moi) était bien plus salvateur que ce que nous pouvions nous apporter les uns les autres.
De plus, non content de nous abrutir, il te fallait bien asseoir définitivement ton autorité en nous imposant une discipline digne d’un pensionnat, d’une usine, ou d’une prison, au choix. Juste histoire de nous infantiliser encore un peu plus que ce que nous ne l’étions déjà. Voici ce dont je me souviens :
– Interdiction de sortir du bâtiment après 19 h ou 20 h, je ne sais plus précisément, car il arrivait que le surveillant de garde décide de fermer les portes plus tôt. À partir de là, on pouvait se carrer dans le cul notre dernier bol d’air, qui pourtant nous était fort agréable.
– Obligation de se lever tous les jours à 8 h, y compris les week-ends, et gare à celui qui traîne au lit. Ah bah oui gamin, il faut être à l’heure pour prendre ses premières petites pilules de la journée. Et puis si tu traînes au lit tu vas rater les merveilleuses activités qu’on te propose pour la journée : puzzle, poterie, fabrication de collier ou de bracelet, etc… Youpi ! Je sens déjà la joie m’envahir, ah non, autant pour moi ça doit être l’effet de la petite pilule bleue. « Euh toubib ! Excuse-moi de t’importuner, mais là, je me fais un peu chier quand même. » « Ah écoute je n’ai pas le temps là, et puis il y a plein de choses à faire, tu vas bien trouver une activité qui te plaît ! » « Oui, j’ai bien une idée, mais j’aurais besoin d’une corde… »
– J’ai entendu un infirmier psychiatre expliquer que la blouse blanche était là pour nous rappeler notre condition de malade, et qu’il ne fallait pas nous proposer d’activités trop ludiques pour éviter que nous pensions être en vacances. Aucun risque, fais-moi confiance. Car si ça avait été le cas, crois-moi que nous n’aurions pas mis longtemps pour aller trouver le gentil organisateur et lui coller notre pied au cul en lui faisant bouffer ses colliers de nouilles, vilains garnements que nous sommes.
– Autre obligation, celle d’être dans nos chambres respectives à 22 h précises, sans bien sûr oublier au préalable de prendre tes dernières petites pilules de la journée. Et là, attention si tu ne dors pas. Un surveillant passe et te fait bien comprendre qu’il faut que tu fasses un gros somme.
– Dernier point du règlement que j’évoquerai ici : l’interdiction de rentrer dans la chambre d’un autre patient. Bah oui ! Il pourrait y avoir contact charnel. Oh mon dieu ! Surtout pas ! Car les relations entre patients sont strictement interdites, alors si en plus ce sont des relations sexuelles ! Manquerait plus que l’on se comporte en êtres humains. Rappelle-toi, compagnon, que tu es un malade et plus vraiment un individu. Résiste à tes envies que diable ! Enfin ceci dit s’il t’en reste des pulsions, car les médocs que nous ingurgitons ne sont pas connus pour leurs effets aphrodisiaques mais plutôt l’inverse.
Sur ce point de règlement, je tiens tout de même à remercier un des surveillants qui nous laissait circuler librement dans la clinique et même aller dans la chambre d’un autre patient. Ce surveillant avait gagné notre respect car il nous respectait également, et ne nous traitait pas comme de vilains enfants qu’il fallait sermonner en cas de désobéissance.
Alors que toi, méprisable merde, tu ne m’inspires que du dégoût. Pour aider les gens, il faut d’abord les comprendre, mais ça je doute que tu en sois capable. J’ai bien vu comment tu traitais les personnes qui pouvaient encore, l’espace d’un instant, avoir des réactions humaines. Comme cette femme que tu as virée de ta clinique, parce qu’elle avait laissé éclater sa colère. Et pourquoi ? Parce qu’en plus d’être hospitalisée, ce qui n’a déjà rien de réjouissant en soi, elle avait appris qu’on lui retirait la garde de ses deux enfants. (Remarque, dans un autre hôpital que j’ai malheureusement fréquenté, on l’aurait attachée à un plumard et hop une injection.) Mais dis-moi toubib, comment voulais-tu qu’elle réagisse à cette nouvelle ? En l’acceptant calmement et en restant prostrée ? Et toi qui prétends nous aider. Nous ne sommes pas du même monde toubib. Et entre toi et moi, je ne sais pas qui est le plus schizophrène des deux. Mais une chose dont je suis sûr, c’est que tu ne vis pas dans la réalité de tes patients. Et j’espère qu’un jour tu te prendras en pleine face cette réalité sociale qui t’est étrangère.
Il faut quand même que je te remercie pour une chose toubib : maintenant, je touche une pension d’adulte handicapé et on m’a classé en incapacité de travail. Je suis donc libre d’employer mon temps comme bon me semble, échappant ainsi à l’aliénation et la prostitution du travail. Et c’est ainsi grâce à toi que j’ai pu lire tous ces auteurs qui m’ont rassurés sur ma santé mentale, et que tu diagnostiquerais certainement schizophrènes, vu leur vision de la réalité, si éloignée de la tienne.

Caouèt.

On a reçu…

Dans sa vie elle avait eu tant de galères
Elle aurait pu en devenir très amère
Puis elle comprit que cet initial duel
était la cause de tout son fiel

elle a envie, elle rit, elle sait qu’elle va encore se tromper

D’abord maintenus dans la dépendance
par les obscurs liens de son enfance
elle a choisi de tenter sa chance
et sur cette mascarade mettre du sens

elle a envie, elle rit, elle sait qu’elle va encore se tromper

Elle essaye chaque jour d’avancer
vers une vie plus glamour
sans chou cabus ni tablier
et au matin elle recrée son amour

elle a envie, elle rit, elle sait qu’elle va encore se tromper

ça lui donne la force d’avancer
car elle à l’espoir de danser
sans oublis ni pardon
mais de ses souffrances elle fait l’abandon

elle a envie, elle rit, elle sait qu’elle va encore se tromper

S.T.

Ce texte a été écrit lors d’un atelier d’écriture pendant une journée contre les violences faites aux femmes.

« Je vous écris d’une poubelle »

J’aimerais commencer par le plus beau mensonge qu’un garçon ait inventé pour me retenir :
« Je t’aime comme tu es, habitée de mouvement. »
Le mot qui a failli m’envoyer en HP, c’est « instable ».
Et si on observe le verbe s’émouvoir, on voit bien encore qu’il est question de bouger.

Ce mot, instable, est souvent utilisé contre des gens pauvres qui n’ont pas les moyens de s’offrir une apparence de stabilité, comme une maison ou un couple sécure.
Je connais des gens qui sont ensemble depuis vingt ans, le mari a baisé sa fille aînée, il engueule souvent sa femme, mais ils sourient tout le temps et ils ont une grande maison et des terres.
Alors personne ne cherche à savoir s’ils sont instables ou pas.
On ragote un peu sur eux, mais on ne remet pas en question leur droit de vivre comme ils l’entendent.
L’important c’est l’argent, et les relations d’intérêt, le piston, les commérages…
Les gens naissent avec des statuts, parfois ils les obtiennent après des luttes acharnées, et ensuite ils les défendent, ils les investissent.
C’est dans le microcosme des classes sociales que s’inventent des « raisons », concept endémique, relatif, compromis, dont le vase clos contient, emballe, conditionne.

Dans la petite bourgeoisie, d’où je viens, il y a des règles implicites, qu’on appelle l’éducation.
On a voulu m’enfermer parce que j’avais essayé de les transgresser.
On m’a éduquée à perdre mon temps sans broncher mais ça n’a pas marché, je voulais pas.
Pas que j’en sois incapable, mais j’estimais avoir mieux à faire.
Alors je suis partie de l’école, après un an et demi à essayer d’en parler à des parents fermés au dialogue. J’ai pris ma décision sans leur accord.
Et après, je n’ai pas non plus voulu travailler en usine.
Je me souviens d’une avalanche de questions tombant dans le précipice de l’autorité, je me souviens de tous les adultes qui, d’un coup, se mettent à me harceler pour que je retourne à l’école, de ma panique, face à leurs comportements qui changent, et d’une porte que je ferme en protestant que j’ai le droit de vivre, et de mon père qui force la porte, et de son visage chelou avec ses gros yeux fixes et sa bouche crispée, et de ses mots « je vais te mettre en HP », et ensuite j’ai couru toute la nuit, en pyjama, et c’était l’hiver, et les flics me cherchaient avec leurs phares, et je rampais dans la boue en pensant « c’est pas vrai, je rêve ».

Ce n’est même pas que ça coûte cher de chercher à se situer dans le monde.
Pas plus que d’aller en fac ou de végéter sous l’emprise de substances.
Pour moi, l’instabilité ça a été de prendre du recul sur la trajectoire qu’on m’imposait. Envisager l’existence avec un peu plus de pragmatisme que de prétendre se fixer jusqu’à la mort dans une carrière. Esquisser mon premier geste propre.

Ceux qui voulaient m’enfermer, ils me trouvaient surtout déstabilisante, parce qu’eux, ils vivent toute leur vie sans trop changer : ils trouvent des choses stables, un travail, un conjoint, un milieu, des relations de dépendance matérielle, et ensuite, ils veulent plus rien savoir, ils considèrent leur but atteint. À trente ans, fini, ils bougent plus. Un banc de moules serait plus curieux. Ensuite, ils font des enfants qu’ils rendent stables, ils leur font bien comprendre que c’est leur intérêt, de pas trop chercher à comprendre.
Sinon on les aimera plus. Et si ça, ça les persuade pas de se tenir tranquilles, alors très bien, y’a pas d’amour, mais alors qu’est-ce qui nous empêche d’aller puiser dans le répertoire de nos ancêtres…
Arrachage de tétons à la puberté, chasse à l’hilote, coups de règle sur les doigts, fessée cul nu, coups de ceinture, douche froide, fouille et hurlements, retenue, lignes à copier, camp de redressement… Et souviens-toi que l’enfer a été inventé pour les gosses.
Pourquoi pas se poser de question ?
Pour croire à la bienveillance de la civilisation, des lois, des gouvernements. Sans vérifier, de génération en génération.
On a droit à des portions régulières de ressentiment sans issue, à condition de pas dépasser les quotas. C’est penser qui est interdit. C’est vouloir. Et c’est là toute la subtilité de la philosophie adulte : il s’agit de comprendre qu’il est dans notre intérêt de ne pas penser, qu’on se montrera plus malin si on ne réfléchit pas.
Le choix conscient d’occulter certains domaines de réflexion, de s’en remettre arbitrairement à une instance supérieure à soi (Dieu, le roi, Pharaon, la majorité, un psy…) est la condition pour être accepté. Il faut s’affilier à des guides. Ce fanatisme fluctuant fédère, c’est l’enveloppe à protéger à tout prix. À l’intérieur, on trouve des passions mal élucidées, des amertumes vagues de mal baisés, des choses qui remuent sans sortir. Et qu’il s’agit de contenir.
Le citoyen, élément étanche, pierre sur laquelle on bâtit des empires. Matière première du suiveur, viande immobile qui oublie que son sang circule.

Pourtant tout ce qui vit se dirige.
On peut discourir longtemps sur le sens de la vie : le propre de la vie n’est-il pas de s’inventer un sens, de se concevoir voyage ?
Si on change un caillou de place, il ne souffre pas, pas plus que si on le brise en deux. La vie elle-même est une idée fixe. Notre idée qu’on a des choses qui s’appellent racines, vertèbres, poésie, et qu’on ne peut pas nous changer de place, nous briser en deux ou nous blinder de neuroleptiques.
Cet usage spécifique, cette volonté de cheminement propre, lié avec des interactions avec les autres, ça s’appelle aussi l’intelligence.
L’animal accomplit le prodige de bouger tout seul : il est, de l’univers, la danse la plus subtile.

On dit que l’Homme est la seule intelligence sur Terre. Les autres sont des bêtes, on ne les écoute pas, on les enferme et on les câline et après on les mange, sauf celles qui sont dehors, elles, on les appelle gibier ou nuisibles, deux mots, même chevrotine.
La bête est écartée du langage.
Mais la plus humble des bêtes choisit la couleur de son nid, et dans nos cités grises où j’ai failli crever de froid, l’intelligence active est un monopole restreint.
La dynamique de la chasse, de la prédation, c’est la dynamique du système. La société, le collectif, capture et digère les intelligences.
La psychiatrie est le suc qui nous y fond. S’y découvrir gibier s’appelle diagnostic.

Rien n’est moins stable qu’un système intrusif : il lui faut faire preuve de célérité pour asseoir ses dominations. Les bombes nucléaires, les balles de fusil, les multinationales, les planches à billets, c’est stable, peut-être ?
La stabilité est une blague qui ne concerne personne, et l’hybris, un concept vide que l’on peut remplir de tout.
Ça n’est pas sérieux, la propreté conforme du béton pollué. Ça ne tient pas la route, ce n’est pas crédible, on n’en décèle pas l’harmonie.
Alors pourquoi pas creuser ?
Fouiller la terre informe, sale et fertile en rejetons difformes et polymorphes, y chercher l’harmonie à laquelle, obscurément, on aspire.
Atelier déterre ton con : la vérité sort de la bouche enfant, jaillit semence, et va foutre.
Je vous écris d’une poubelle, il faudra qu’on déballe tout, nos amours surgiront en lourdes volutes noires sur les ruines de la honte et du civisme…
Et nous serons malins de nos fringales.

Célie.

On a reçu…

Je voudrais pleurer des larmes de sang
car je reste seule au milieu de cet océan…
mais il n’est pas blanc il est rouge
j’ai en moi trop de violence
elle a un goût de rance
car elle ne veut pas sortir
je voudrais réapprendre à rire
à courir et toutes les fenêtres fleuries.
Sachez braves gens qu’on voudrait m’enfermer
car pour la société
je suis un danger, si jamais je venais à exploser.
M’héberger à leurs frais ils sont prêts
mais pour ne pas sombrer je vais tout essayer,
il faut que j’arrive à m’exprimer
ne plus gêner les individualités
arriver à gérer mes tensions
et si un jour arrivait la révolution
j’aimerais que tout cela se passe sans moi,
que quelqu’un vienne me dire casse-toi.
Tout cela est dangereux pour toi.
T’inquiètes pas on y arrivera.
Si seulement je pouvais pleurer,
arriver à m’extérioriser.
Je suis peut-être folle, mais quelques fois je vole
et même que des fois je parle aux oiseaux
et je m’en vais très très haut.
Pourquoi j’ai l’impression de provoquer des choses
qui ne sont pas toujours roses.
C’est cette putain de religion
que je me suis créée et qui me tourne en rond,
dans ma tête.
Et c’est pas trop la fête.
Je sais pas ce qui me guette
mais ça me fait un peu peur.
Je voudrais pas tomber dans un trou de néant…

S.T.

Je suis une personne qui a dérangé

Nous avons reçu ce texte, qui par ailleurs a été lu sur la radio Canal sud à Toulouse (92.2) le 3 mai 2011.

courrierambulanceIl y a des gens qui attendent pour avoir de l’inspiration. J’aimerais faire partie des gens qui attendent, mais je n’ai plus le temps d’attendre. On m’a volé ma vie. Et certes j’en suis consciente, je ne pourrai plus rattraper ce temps. Et je ne cherche plus à le rattraper. Je ne suis pas non plus dans un délire de science-fiction, je ne cherche donc pas la machine à remonter le temps, je la laisse aux réalisateurs.
La seule chose dont il me reste c’est de m’exprimer face à une société hypocrite, une société schizophrène. On donne des noms de maladie comme schizophrénie mais cette maladie n’est que le reflet de l’incompréhen- sion sur une personne face à cette société. Ces gens dits schizophrènes souffrent d’une réalité évidente mais ils doivent se taire. Ils sont même dits parfois dangereux. Je ne vous dis pas ça parce que je suis schizophrène, non, mon diagnostic a été établi et je suis borderline, en gros le cul entre deux chaises.
Je suis une personne qui a dérangé.
Et Sarkozy au lieu d’établir sa politique de nettoyage au karcher, qui m’aurait franchement amusée, et oui, il n’aurait fait que me mouiller au pire me laver.
Non il a opté pour le lavage de cerveau à base de cami- sole chimique pendant trois ans non stop.
À force de forts dosages, je suis même tombée dans un coma artificiel de huit jours sans qu’aucun membre de ma famille soit au courant. SARKO tu peux m’expliquer ? Sarko je suis désolée pour toi mais j’ai des tas de questions à te poser.
Après trois ans de surmédicamentation, j’ai développé une hépatite médicamenteuse, une stéatose et ça va de soi une obésité.
Tu sais sur les notices de médicaments appelés psycho- tropes, il est mentionné de ne pas ingérer ce produit en cas d’hépatite mais le produit m’était injecté tous les quinze jours. J’aurais préféré que tu me mettes dans un four crématoire. Là ma mort aurait été plus rapide.
Là je vis une mort lente et douloureuse.
Tu ne connais peut-être pas le mot douleur physique. Mon psychisme, il va bien. De plus, plus je parle ou j’écris plus il va bien mais le physique ne suit pas. Co- lique avec un dos irradié, douleur dentaire, énurésie.
Bref je sais que je t’ennuie mais je te demande des ré- ponses afin que mon corps cicatrise.
PS : va donc sur mon casier judiciaire, il est vierge.
Tes agents de la voie publique, je les respecte.
Et puis le personnel soignant des HP ou CMP eux aussi je ne leur ai fait aucun préjudice.
Sache aussi que j’ai connu le viol en HP. Le premier j’ai été à la gendarmerie de Fontainebleau lesquels m’ont dit qu’il fallait d’abord porter plainte contre l’établisse- ment.
Le second en HP à V. Corbeil-Essonnes. Tu sais là où on met les gens en HO d’abord dans le mitard, puis en chambre d’isolement puis enfin en chambre ouverte. Je l’ai signalé au personnel. Je dormais avec mes habits mais le matin j’étais dévêtue. Face à leur incompréhension, j’ai demandé à être enfermée dans ma piaule sans alarme. Il est revenu mais il ne pouvait pas entrer.
Le lendemain, un psy m’a fait sortir de cet HP.
Je suis retournée dans mon foyer F. CHRS mais ils ne m’ont pas laissé rentrer et m’ont demandé de retourner dans cet HP.
J’ai donc pris la fuite chez un ami à Paris 15ème. C’était un sans papier, on s’est d’ailleurs mariés.
Tu sais sur ce mariage il y a eu enquête au commissariat du XVème, métro Charles Michels.
Pendant mon audition, ils m’ont demandé si mon père était incarcéré ?
J’ai répondu que j’étais là pour me marier et non pour les affaires d’inceste. Car comme toi cet homme est trop puissant. Et on peut donc rien contre lui. Donc conséquence, on s’attaque à moi, sale gamine.

Maintenant je vais demander à mon infirmier ici présent de m’injecter ma camisole chimique afin que je te foute la paix. Tu sais la piqûre qui brûle les fesses de plus en plus fort et qui nous plonge dans un profond sommeil. Au fait ton karcher, il est rempli d’eau froide ou d’eau chaude ?
Après si je me réveille je ferai une tentative d’exister. Enfin si tu veux bien me laisser vivre en liberté avec mon pauvre statut handicapé.
Dis toi aussi que ton cerveau fuse aussi vite que le mien à part que moi, je n’essaye pas de la faire à l’envers, tu es un homme de pouvoir, tu ne souhaites que la réussite avec le plus d’entrée d’argent si possible, pour moi tu n’es qu’un malade de pouvoir, moi je suis une malade comme toi mais le pouvoir c’est contre ma nature, c’est pas ma vertu, mais par contre les injustices, je me battrai tout le temps. Toi tu n’hésites pas à tuer, en plus c’est de la torture car tire un bon coup sur moi et au moins je ne verrai plus les aberrations de ta société la plus arriérée en Europe et surtout au niveau de la santé.
La piqûre commence à agir, des éléments schizophréniques vont me passer dans la tête.
Je voudrais que sur mon PC aucune publicité me harcèle, j’écoute une chanson sur youtube for example mais là je me tape cerise de groupama mais qu’est-ce qu’elle fout là elle, dégage, je veux écouter mon son !

OCNI.

L’injection est prête

G. nous raconte le tout premier rapport avec l’institution, le moment de la « prise en charge ». C’était en 2007.

loupJe monte de mon plein gré dans le véhicule de pompier qui vient me chercher. Les pompiers me posent sans cesse les mêmes questions quant à mon identité et à la raison qui m’a poussé à les appeler. L’un me déclare que je suis en pleine forme. Cela ne me rassure qu’un peu. À vrai dire, je me croyais dans un songe, où mon corps accidenté était allongé sans connaissance dans ce camion, et j’avais l’illusion de parler à ces hommes.
Arrivé à destination. Où m’ont-ils amené ? Sans doute les urgences de cette ville qui ne m’est pas familière. Je leur dis que je ne souhaite voir personne, et désire dormir un peu. On m’installe dans un fauteuil dans l’entrée. Pas confortable de dormir assis ! Les idées défilent. Les gens aussi.
Le jour se lève, et on me propose de m’installer dans une salle cubique. Un psychiatre arrive, je discute avec lui. Il me fait penser à un comédien : il parle peu, reste statique pendant dix secondes, puis, change de position. Il quitte les lieux sans m’annoncer ce qui va se passer. Je dois uriner dans un flacon d’urine. Trop intimidé par ce lieu trop vaste, je n’y parviens pas.
Le temps passe, j’aimerais savoir ce qu’il va se passer. Je sors de ma cellule ouverte, pour interroger les infirmiers, mais n’obtiens pas de réponse. Je m’impatiente, et commence à être violent verbalement. Je pousse le vice à aller dans une autre cellule, où je déclare à un blessé léger que dans une autre vie il serait psychiatre.
Tout à coup on vient me chercher. Je les suis jusqu’à l’ambulance. Avant de monter, je demande où l’on m’emmène. Je n’obtiens pas de réponse. Là, je m’énerve et déclare : « c’est à la mort que l’on m’emmène« . Je vois au regard de l’ambulancière que je l’ai choquée. Mon seul refuge est de revenir dans ma cellule, ce que je fais violemment.
À peine installé, plusieurs infirmiers et les deux ambulanciers arrivent avec un brancard. De force, on m’allonge, on me baisse le pantalon. L’injection est prête. Je sens le produit dans mon fessier. Je suis maintenant attaché, seul dans ma cellule. Je me débats en hurlant. J’en arrive même à me faire tomber avec le brancard. La position est très inconfortable, je sens l’endormissement dû au produit. Les infirmiers reviennent pour relever le brancard, et je m’endors.

G.

Il n’a eu de cesse de recevoir brimade sur brimade…

Ce qui fait suite est le récit d’un couple ayant subi plusieurs hospitalisations sous contrainte. Ils nous ont envoyé cette lettre et tiennent à préciser qu’ils étaient sous l’emprise des médicaments lors de sa rédaction, ce qui explique son caractère brouillon, qui ne nous avait pourtant pas heurtés. Ils nous ont aussi fait part de leur grande « souffrance psychique , souffrance due aux traitements reçus pendant leur internement« .

Depuis leur sortie, ils sont tous deux soumis à un « programme de soins sous contrainte », et ce pour une durée d’un an, sur décision de leur psychiatre respectif. J. doit rester chez lui car les infirmiers se pointent trois fois par jour pour l’obliger à prendre ses médicaments. Il doit aussi se rendre au CMP (Centre médico- psychologique) tous les quinze jours pour se faire administrer des neuroleptiques sous forme de piqûre retard. Se rajoute à cela une visite mensuelle, elle aussi obligatoire, chez un psychiatre afin « d’ajuster » son traite- ment. Et bien entendu, si soustraction il y a à l’une de ces astreintes, c’est le retour à la case internement. De son côté, A. doit se rendre chaque mois chez un autre psychiatre et suivre son traitement.
On perçoit quelque peu ce que la nouvelle loi permet, dans son volet « soins sans consentement en ambulatoire »…

Après avoir été moult fois hospitalisés de plusieurs manières à Paris et ayant fait le choix avec mon époux de venir vivre à Soucy, l’enfer recommence avec deux mesures préfectorales d’enfermement psychiatrique d’office. Le 27 janvier 2012, la gendarmerie et la mairesse de Soucy se présentent à notre domicile pour nous séparer et nous éloigner loin l’un de l’autre, afin, j’espère qu’ils n’en sont pas conscients, de nous y faire souffrir pendant un mois et demi. Moi, A. à l’unité Henry Hey et J. au CHSY d’Auxerre. Ces mesures d’enfermement ressemblent plus à une détention dans un univers carcéral qu’à un lieu de soins, si tant est besoin de soins il y ait.
Nous en sommes arrivés là car nous avions cessé nos traitements médicamenteux, tellement heureux d’avoir pu quitter Paris pour vivre à la campagne et enfin donner un sens à notre vie commune.
À l’hôpital, les conditions de vie sont répressives et totalement judiciarisées. C’est pourquoi il est urgent d’agir, pour remettre chaque compétence à sa juste place et ne pas faire de la psychiatrie une médecine toute puissante, comme c’est le cas en ce moment. Certains peuvent penser à ce titre, que la création de l’institution du juge des libertés et de la détention est une avancée considérable. En réalité, cette nouvelle loi est bien hypocrite. Elle ne constitue en rien une avancée des droits et des libertés publiques pour le patient hospitalisé. Par exemple, pour ce qui concerne J., mon époux, lors de sa seconde HO du 8 juin 2012, il s’est vu aller devant les juges des libertés comme la loi le prévoit. Il a demandé une contre-expertise psychiatrique. Elle lui a été accordée,mais a été à sa charge. Depuis et comme au début de son hospitalisation, il n’a eu de cesse de recevoir brimade sur brimade, humiliation sur humiliation. Ceci sans raison car son comportement est irréprochable et sa saisine relève de l’application de la loi.
Pour ce qui me concerne et l’hospitalisation du 27 janvier 2012, j’ai été placée en chambre d’isolement pendant dix jours alors que mon comportement était calme, afin de rater la date de l’audience devant le juge des libertés. Cette audience m’a finalement été accordée ultérieurement.

En ce qui concerne la seconde hospitalisation de mon époux, il faut vous dire que la contre-expertise a permis à la préfecture et l’Agence régionale de santé (ARS) de justifier la prolongation de son hospitalisation d’office le mardi 10 juillet 2012 pour un mois ou plus, alors que tout le monde pensait que l’ARS et la préfecture lèveraient à cette date la mesure d’hospitalisation complète. Les conditions de vie des patients, hospitalisés ou non, dépendants de la médecine psychiatrique sont totalement carcérales et répressives.

Les atteintes à la dignité des patients sont quotidiennes et absurdes et non-fondées. Je crois qu’il serait urgent de déjudiciariser la psychiatrie ce qui n’empêcherait pas -dans certains cas si besoin était- de faire appel à la justice.
Enfin, la charte des patients (hospitalisés ou non) soignés en psychiatrie est violée dans son application chaque jour. Par exemple, dans le cas de mon époux, il se voit interdit de choisir librement son médecin. Cette situation a pour conséquence de mauvaises relations patient-médecin. Ce dernier augmentant la médicamentation de mon époux de façon scandaleuse, dangereuse car inadaptée. Il s’ensuit un rapport de force conflictuel (entre le médecin psychiatre et mon époux) qui est néfaste pour sa santé et son équilibre.
Depuis le 30 juillet (date de sortie de J. de sa seconde HO),mon époux est totalement épuisé par son traitement et souffre de fortes douleurs au dos (dues certainement au mauvais état des lits en chambre d’isolement et en chambres et à l’inactivité durant un mois et trois semaines de HO) qui ont généré un traitement supplémentaire d’anti-inflammatoires et antalgiques.

Quand tous ces abus seront-ils dénoncés et la situation des « malades psychiatriques » améliorée sérieusement ? À voir ?

A. & J.

Quand l’HP assume sa place dans l’arsenal répressif

L’histoire de Ch. révèle comment le pouvoir se sert allègrement de l’enfermement psy comme d’un moyen de réclusion au même titre qu’un autre. Pas même question ici d’une quelconque fonction thérapeutique.
Ch. fut arrêtée et engeolée à plusieurs reprises et entre différents murs. Elle raconte ici, à travers ce tract et ce courrier, comment, suite à deux manifs, la police « traita son cas » à coup d’HO. Mais cela ne s’arrêtera pas là. L’administration n’aime pas les fortes têtes, les médecins encore moins…
Nous ne dénoncerons pas, comme peut le faire en d’autres occasions le Collectif des 39, « l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques », car loin d’être un effet pervers de l’institution, l’internement, mais aussi le traitement par l’ensemble des structures médicalisantes ne sont qu’un des pans de la gestion sociale. Actuellement, Ch. est en prison et peu de chances qu’un maton l’entende dire merci…

Salut !
portebarreauxVoici un an, je découvrais le monde de l’enfermement psy. Pour souvenir, je mets le tract-BD qui avait été sorti par le Laboratoire anar de Valence à l’époque en pièce jointe.
Le 17 janvier 2009, j’ai participé à une manif à Avignon contre la guerre en Palestine. À l’heure de la dissolution, j’ai engagé la discussion avec des manifestants, leur expliquant que si nous acceptions l’autorité et défilions entre les rangs de flics qui nous encadrent, il n’ y a rien d’étonnant à ce que des jeunes militaires israéliens se soumettent également aux ordres de leurs officiers et tuent des civils. Ce discours n’a pas plu aux organisateurs et le ton est monté. On commençait à s’empoigner quand les flics sont venus m’interpeller, soit disant pour me « sauver la vie ». Comme je ne supporte pas le contact avec les forces de l’ordre, je leur ai ordonné de me lâcher immédiatement. Logiquement, ils me plaquent au sol, me mettent les menottes dans le dos, m’emmènent au commissariat. De là, ils décident de me transférer, à plat ventre dans le fourgon, à l’hôpital.
Sur place, j’ai rencontré un premier médecin. J’ai dû insister pour qu’il m’ausculte démenottée et hors de la présence policière, lui rappelant le secret médical et le serment d’Hippocrate. Il a constaté que je n’étais pas alcoolisée et a rempli le papier adéquat. Les policiers ont alors voulu me remenotter pour me ramener au commissariat. J’ai refusé, leur expliquant que je n’étais pas en garde-à-vue et qu’ils n’avaient aucune raison de m’embarquer. Le médecin leur a dit de me tenir fermement et m’a injecté un puissant sédatif. Comme je me débattais, bien que piquée, menottée dans le dos et allongée sur le brancard, le toubib m’a envoyé une baffe. Puis pendant que je dormais, il a rédigé un certificat d’Hospitalisation d’Office où il disait que je mettais ma propre vie en danger de mort.
Plus tard dans la nuit, une autre médecin a elle aussi rédigé un certificat d’HO mensonger parlant de délires, d’hallucinations et de phobie raciste. Puis, j’ai été transférée à l’hôpital psychiatrique de Montfavet.
J’en suis sortie une semaine plus tard, le médecin de l’unité où j’étais enfermée ayant rédigé un certificat médical de levée d’HO dans lequel il dit que je n’ai aucun trouble psychiatrique et donc pas besoin d’hospitalisation.

Quand je suis sortie et que j’ai eu les certificats médicaux, j’ai essayé de joindre les médecins pour savoir pourquoi ils avaient menti. J’ai eu le premier au téléphone et il m’a dit avoir écrit ce que la police lui avait dicté. Je l’ai informé que je portais plainte contre lui pour faux en écriture et violences. Bien que j’ai insisté, je ne suis jamais arrivée à joindre la deuxième. J’ai eu un collègue à elle qui refusait de me la passer et qui m’a menacée d’un dépôt de plainte pour harcèlement téléphonique et d’une mesure d’Hospitalisation à la Demande d’un Tiers.
J’ai réussi à avoir un courrier de la directrice adjointe qui confirme que je n’ai jamais eu de tendance suicidaire, de délire, d’hallucinations ou de phobie raciste.
Le 2 avril dernier, je suis retournée à l’hôpital afin d’avoir des explications sur les menaces de ce médecin (dépôt de plainte pour harcèlement et HDT), la secrétaire de la directrice adjointe m’a proposé de voir le toubib concerné. Dès qu’il est arrivé prés de moi, il m’a saisie avec trois collègues et m’a envoyé une bonne dose de neuroleptiques en intramusculaire. Même la secrétaire présente a été « choquée par la violence du guet-apens ».
Ils m’ont gardée quinze jours à l’HP de Montfavet, constamment à l’isolement et sous injections ou traitements neuroleptiques. Je suis sortie il y dix jours, je continue à faire des cauchemars. J’ai déposé plainte contre le service des urgences de l’hôpital pour agression préméditée en réunion.
Voilà.

Ch.

Les clefs de soi

enchainesMon parcours m’a conduit à goûter à de nombreuses institutions, que ce soit d’un côté ou de l’autre de la barrière. Parce qu’une institution, c’est d’abord une barrière. Lorsque je suis entré dans un service de psychiatrie, le premier objet qui m’a été remis était une clef. Parmi les individus qui fréquentaient ce lieu, il y avait ceux qui avaient la clef, et ceux qui ne l’avaient pas ; ceux qui étaient libres d’aller et venir, et ceux qui restaient dépendants du bon vouloir des porteurs de clef.
Lorsqu’est venu le temps de quitter ce service, je ne l’ai pas rendue, cette clef. Je crois que j’avais peur de ne plus l’avoir. M’en donnerait-on encore une si je devais revenir ici ?
Nous passons une large part de notre temps à chercher des clefs, celles qui nous permettraient de sortir de nous-mêmes. Parce qu’on a été enfermé en soi. Comment ? Par qui ? Si je suis toujours à la recherche de ces clefs aux formes multiples, j’en ai trouvé quelques-unes sur ma route que j’aime à partager.

Quand je suis devenu père, ce n’est pas une clef que j’ai reçue, mais un véritable trousseau. Je me suis senti immensément responsable – ce qui voulait dire que j’avais maintenant « à répondre de » quelque chose, d’un résultat attendu. Comme un travail, ou un devoir à rendre. Mille portes se devaient d’être fermement gardées. Je le savais, j’en étais convaincu – me l’avait-on suffisamment enseigné ! – et j’avais largement cédé : j’étais devenu un bon élève.
L’institution psychiatrique est punitive, comme toute institution. L’enfermement est une punition en soi, d’autant plus qu’il est « libre » et se fait « avec le consentement du patient ». Je ne parle pas simplement de l’enfermement des corps, que nous voyons à peine tellement nous y sommes habitués ; comme dans ce service, dans une chambre d’enfant ou dans une cour d’école. C’est aussi, plus subtilement, la construction d’une représentation de soi qui nous modèle, largement induite et conforme aux volontés de l’institution. Et à force, nous obtempérons. Ici un être veut « guérir » dit-on, mais ce sont les soignants qui balisent le parcours et en définissent par avance le résultat à atteindre. Là un autre veut explorer la vie qu’il découvre, mais ce sont les enseignants qui lui fournissent les mots qu’il faut employer pour dire son expérience du monde, les outils à utiliser, les buts à atteindre. « Tu seras à mon image, mon fils ». Au nom de…

Là, les variantes sont multiples et les alternatives nombreuses. Autant de méthodes que de centres d’accueil. La palette reste large et nous donnerait même parfois l’avant-goût d’un choix. Une société libérale, tout de même. « Mais il y a des limites. » Ça, c’est sûr ! Et c’est bien le problème. Toutes les institutions sont là pour nous le rappeler au quotidien, chacune à sa façon et selon son intérêt propre, mais bien coordonnées entre elles.
Le maillage paraît serré, mais il y a une faille : une « institution », ça n’existe pas. Je n’ai jamais rencontré que des porteurs de clefs.

Ma fille et moi, ça a failli nous gâcher la vie, toutes ces clefs ; toutes ces phrases, tous ces gestes répétés à trente ans d’intervalle. Lorsque je me suis entendu être père, j’ai cru entendre parler le mien. Je me suis même demandé s’il n’était pas dans la pièce ! Même pas. Je crois simplement que je commençais à me métamorphoser en père. Les clefs me brûlaient les doigts, et je voyais ma fille s’éloigner derrière les barrières que je lui construisais peu à peu, très appliqué, et avec l’assentiment général. Et cette relation magnifique, l’intense bonheur partagé de sa venue au monde, se décolorait lentement et commençait à ressembler doucement à l’image d’une publicité pour la CAF.

La famille est une institution. Ailleurs sur mon chemin, j’ai rencontré des êtres de tout âge et de toute condition qui s’en passaient très bien et qui rayonnaient de joie de vivre. En leur présence, j’ai appris qu’on vit bien mieux hors de la peur. Alors, j’ai donné ma démission ; mais j’ai gardé les clefs qui me restent pour pouvoir les offrir à ceux qui n’y ont pas droit. Ceux qu’on appelle les « mineurs », entre autres. Ma fille par exemple à qui j’ai ouvert les portes de l’école dans laquelle je l’avais placée sans lui demander son avis. Elle n’aura hésité que quelques semaines avant de choisir de s’en sortir. Il m’arrive de lui rappeler qu’elle peut y aller si elle veut. Et nous éclatons de rire.

Maintenir la barrière de la différence – entre ceux qui prétendent savoir et ceux qui devront admettre ce qui est bon pour eux – implique de la contrainte, donc de la violence. Toute barrière est grosse de répression. Pour le savoir, il suffit simplement d’essayer d’en franchir une sans y être invité par l’autre côté. Le maintien de cette différence prévaut sur notre liberté, autant la tienne que la mienne, de quelque côté que nous soyons. Toute barrière est limitante pour chacun, et les porteurs de clefs y tiennent beaucoup. Parce qu’ils ont peur. Ils se sentent protégés et ils y croient. Ils y croient parce qu’on leur a dit, on leur a inculqué. Par la peur. Puis en leur posant des barrières qu’ils ont cru solution à la peur. Ce qu’ils transmettent. Et ça recommence. Dites, si on arrêtait un peu pour voir ? Qu’est-ce qu’on risque à ne plus propager nos entraves ?
Une institution est une organisation qui produit et distribue des clefs. Leur but est de maintenir les différences qu’elles proclament : adultes enfants, médecins patients, français étrangers, normal pas normal. Et nous dans tout ça ? Et nos amours, nos tendresses, nos bonheurs, nos tristesses, tous ces cris et ces sourires qui surgissent, ces mots que tu m’adresses, mon enfant, mon ami.e, et qu’on me commande de te retenir, ces gestes spontanés que tu voudrais m’offrir pour dire ton affection et qu’il m’est demandé de réprimer avant même leur apparition, avant même qu’ils ne m’atteignent et ne me touchent. Pourquoi avons-nous si peur d’être touchés ?
Au nom de quelle absurdité devrais-je t’orienter vers un avenir commun dont je ne sais rien, qui ne sera ja- mais que celui que j’imagine sous influence, alors que ta créativité me surprend chaque jour, que tu connais encore d’évidence ce que j’ai parfois bien du mal à ne pas oublier de cette intensité de vivre ?
Parce que simplement je suis plus grand que toi, plus fort, mieux armé et largement soutenu par toute une société ?

La violence, comme la punition, ça s’explique, mais ça ne se justifie pas. Ça s’impose. Nous pouvons choisir de faire avec. Nous pouvons tout aussi bien choisir son abolition. Parce qu’alors la peur cesse. À partir de là, on peut respirer, reprendre du souffle, et réfléchir, sereinement. Comment va-t-on faire alors ? Je ne sais pas. Mais nous ne sommes pas seuls. Il y a, ensemble, un monde à réinventer chaque matin. Rien moins que la beauté de la vie qui court et n’en finit pas de venir au monde.

Vi., Marivieille, juin 2012.