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Sans Remède

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Critique et témoignages contre la psychiatrie et l'emprise médicale

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Publié le avril 1, 2014juin 9, 2020 par Sans remède

« Affreux, sales et méchants »

« Le psychiatre est un flic, le prof est un flic, le travailleur social est un flic. » Vrai ou faux ? En tout cas, même des psychiatres, des profs et des travailleurs sociaux le disent… Et on conviendra facilement que les institutions n’ont jamais payé quelqu’un sans attendre de lui qu’il contribue au maintien de l’ordre, que ce soit en maniant la matraque, les principes de la morale bourgeoise ou des méthodes plus subtiles de séduction. La classe dominante – qui se fait pudiquement appeler « la société » – exige de tout à chacun qu’il se comporte en flic, surtout lorsqu’il s’agit des fonctionnaires ou assimilés, chargés d’empêcher le scandale.

Gilbert Mury, Notes sur l’évolution du travail social, revue Esprit, 1972.

L’assistance sociale est la première forme connue de ce qui se nommera par la suite le travail social.
Se pencher sur la genèse de cette assistance sociale, saisir à qui elle s’adresse, qui sont les personnes qui l’exercent et dans quel contexte elle émerge, peut permettre d’éclairer la fonction et le rôle du travail social aujourd’hui.

Avant d’aller plus loin, un petit détour semble nécessaire pour dire qui sont les professionnels qui sont considérés comme participant du travail social lorsque ce terme apparaît. Il y a donc, par ordre d’apparition, les assistantes sociales, les éducateurs spécialisés et les animateurs. Les deuxièmes proviennent dans leur ensemble des lieux de relégation, de punition et de gestion des mineurs (colonies pénitentiaires agricoles, institutions du Bon Pasteur…) du lumpenprolétariat (sous-prolétariat). Les animateurs, dans un premier temps, occupent, par le biais de saines activités de plein air, les gosses du prolétariat hors des temps scolaires.
Quant aux assistantes sociales… elles se penchent – de très près – sur la sacro-sainte famille afin d’y prodiguer les conseils nécessaires pour améliorer le quotidien, tant au niveau de la gestion du ménage (entendu dans son acception économique) que sur l’éducation des enfants. C’est du moins ce que l’on peut lire dans les manuels les plus complaisants à destination des assistantes sociales en formation.

vaselineAu début du 19ème siècle, l’accroissement sans précédent de l’urbanisation liée au développement du capitalisme inquiète la bourgeoisie. Les villes deviennent les lieux d’émergence de la peur des troubles sociaux et des épidémies. Au cours de ce siècle, la médecine urbaine – et son pendant l’hygiène publique – s’installe et tente de contrôler l’état de santé des populations. Très vite, elle s’astreint à opérer une distinction entre les bons et les mauvais pauvres et ainsi, à normaliser la force de travail. Le développement des contrôles médicaux et sanitaires au domicile même des populations les plus paupérisées nécessite l’émergence de nouveaux agents qui vont se professionnaliser et par là même se formater. Ou se normaliser, à l’instar des premiers médecins de la médecine sociale.
Encore nommées « infirmières visiteuses », les premières assistantes sociales voient le jour et s’illustrent dans la lutte contre la propagation de la tuberculose et la lutte contre les fléaux sociaux. Les dames de la paroisse ou dames patronnesses se font plus rares quand les premières mesures d’assistance publique ou assistance d’État sont votées. Les premières assistantes sociales, clairement issues de la bourgeoisie et du courant hygiéniste, prennent leurs distances avec ces deux formes d’assistance. Elles reprochent à la charité de n’avoir servi à rien et à l’assistance publique sa nocivité basée sur la reconnaissance des droits sociaux. Reconnaître ces droits sociaux serait reconnaître le caractère socio-économique des inégalités et engendrerait une systématisation de l’aide sociale, ce à quoi elles opposent la singularité des situations d’inégalité et la nécessité de relever, voire rééduquer la classe ouvrière. Il s’agit – bien – pour elles d’empêcher que cette classe productive et génératrice de profit perde des éléments au profit du sous-prolétariat improductif. Elles se forment et à cette fin organisent des conférences mondaines où elles invitent les quelques penseurs de l’hygiénisme social. Elles construisent tout un corpus idéologique qui sera ensuite dispensé dans les premières écoles de l’assistance sociale. Plus encore que cette prétention crasseuse à vouloir relever les classes populaires, il s’agit bien de lutter contre les idées et l’organisation politique qui se diffusent au sein du prolétariat. Le souvenir de la Commune, la peur du Grand Soir, l’antagonisme de classe et le syndicalisme naissant concourent à préciser que le prolétariat – et la menace qu’il fait peser sur les classes dirigeantes – est bien la cible des assistantes sociales.
La lutte contre l’épidémie de tuberculose, donc, et l’aide matérielle associée, leur permettent de forcer la porte des familles ouvrières et d’y inoculer (ou tenter d’y inoculer), en passant par les femmes, leurs bonnes mœurs et leurs normes. Elles y mettent d’autant plus d’engagement qu’elles ont la conviction « qui existe spontanément dans l’ensemble des milieux sociaux dominants », que « ma norme, celle de mon groupe est la norme. Comme ma famille est la famille. Comme ma vision de l’homme au travail définit le bon ouvrier.1 » Cette conviction s’appuie sur les représentations de la classe ouvrière et du lumpen que se forgent les classes dominantes. Elles sont persuadées que l’état de nature serait l’état dans lequel seraient restées les classes dominées. Une nature où dominerait le vice au détriment de la Raison et du Progrès.

La même idéologie est à l’œuvre au moment où se créent les maisons sociales, second pan à l’origine de l’assistance sociale. Telles des missionnaires dans les colonies françaises, les résidentes investissent des maisons des quartiers populaires afin de délivrer une éducation aux femmes et aux enfants qu’elles accueillent. Cette mission civilisatrice envers la classe ouvrière peut passer par des ateliers de couture ou de cuisine qui ne sont que des supports non pas aux discussions mais à la propagation des bonnes mœurs et de la raison bourgeoise. Il s’agit là encore en passant par les femmes de tenter de contrecarrer ces idées si subversives d’émancipation sociale.
Dans les écrits de ces pionnières, on peut lire : « Aux enfants, on inculque que rien ne peut être possédé sans effort, que toute distraction se mérite, on leur donne une initiation professionnelle, aussi précoce que possible, mettant l’accent sur l’esprit de corps, on les pénètre du respect de l’ordre. Aux adultes, on enseigne une morale fondant l’énergie sur la vertu, apprenant à surmonter par le travail les difficultés de l’existence, conseillant d’être joyeux du devoir rempli : on les conduit à l’effort moral qui les réhabilite. En même temps, la seule présence des résidentes, toutes soigneusement choisies, est un exemple de bon goût, de bonnes manières, de moralité, une suggestion permanente au beau et au bien.2 » N’est-ce pas édifiant ?

Le troisième bloc qui constitue, pour finir, le régiment des assistantes sociales est l’action et l’organisation des surintendantes d’usines lors de la 1ère guerre mondiale. Les hommes crevant sur le front, les femmes sont elles aussi mobilisées pour participer à l’effort de guerre en allant notamment travailler dans les usines d’armement. Le gouvernement est « préoccupé par la protection des ouvrières dans le but de sauvegarder l’avenir de la race ». Le rôle des surintendantes est de veiller à la santé et à la moralité de ces ouvrières. Plus précisément, devant la nécessité portée par le gouvernement d’ouvrir les usines aux femmes, la bourgeoisie envoie ses missionnaires pour éviter que ne soit saboté tout l’effort fourni au préalable. En gros, l’usine étant le terrain privilégié de la confrontation de classe, les surintendantes veillent à ce que les femmes ne soient pas touchées par cette épidémie. Après la guerre, les femmes sont invitées à retourner à leurs occupations familiales et les surintendantes participent à la propagande nataliste qui se répand dans le pays.
On peut ajouter que ces premières assistantes sociales effectuent un tri au sein des classes populaires. Elles se gardent bien de tenter de rééduquer les militantes ou les femmes de militants, autant par peur de la confrontation directe que pour mieux les ostraciser.

Dans l’entre-deux guerres, les infirmières visiteuses, les résidentes des maisons sociales et les surintendantes d’usines termineront leur processus d’uniformisation et de normalisation de leurs pratiques et formeront, donc, l’essentiel du corps des assistantes sociales. Après la courte séquence du front populaire, les éléments les plus bourgeois de l’assistance sociale laisseront place à des professionnelles qui grossiront les rangs d’une classe moyenne en plein essor. L’hygiénisme social se teintera de solidarisme mais conservera bien sa volonté de relever la classe ouvrière.

Au-delà de leur participation active à la gestion du cheptel humain et de cette haine de classe patente, ce qui saute aux yeux ici est le caractère exclusivement féminin des agents de l’assistance sociale. Certaines de ces assistantes sociales pouvaient être féministes et avoir participé aux luttes du début du siècle pour le droit de vote des femmes. La question de la communauté de sort se pose bien évidemment. Mais dans ce schéma de l’assistance sociale, qu’en est-il de l’auto-détermination des femmes des classes populaires et des dominations croisées ?

D.

CatégoriesN°5 Étiquettesanalyses, tout est politique !, travail social, un peu d'histoire

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