Compte rendu d’un atelier de discussion

Nous avons participé à deux reprises au cours de l’année 2011 à des ateliers de discussion en petits groupes (entre 3 et 6 personnes). Ici le thème choisi par les participant-e-s était Réagir et soutenir, individuellement et/ou en collectif. Nous vous en proposons un compte rendu partiel.

nezparfaitdiscuteNous avons échangé sur nos galères avec nos têtes, entre autres les crises d’angoisses (on est plusieurs à pratiquer), les coups durs où on aurait envie de tout lâcher et les moments délirants pas admis (quelqu’un-e a parlé d’une décision de suivre tout ce qui était vert dans la ville par exemple, ce qui est totalement gratuit et n’a aucun sens apparent, pourtant, ça fait du bien !). Quelqu’un-e a dit que se faire un peu fou-folle, ça rendrait plus poreuses les barrières avec les autres. On s’est dit qu’on avait dans nos gueules notre commun de nager à contre-courant, et qu’être « contre » c’est pas une place facile.
Deux personnes ont témoigné de leurs histoires de soutien à des potes. S’il y a une intervention du collectif, c’est toujours quand il est trop tard, c’est-à- dire que le moment de « pétage de plombs » est un évènement, mais ça fait aussitôt penser qu’il y a eu un avant. Dans un cas, il y a eu une attitude de déni et un avis général du genre que la psy c’est de la merde. L’effet a été : on ne fait rien. Plus généralement il y a une gêne qui individualise complètement les dérapages/acrobaties psychiques. Il est courant de rendre quelqu’un-e responsable de ce qui lui arrive. Le déni dans ce cas a eu pour conséquence l’internement du pote.

Il faut aussi savoir prendre acte d’une réalité ; passer le relais à l’hosto ou la famille doit être dédramatisé si personne ne veut ou ne peut soutenir assez, ou que c’est momentanément trop dur, ce qui ne veut pas dire l’abandon du ou de la pote en l’occurrence, mais multiplier les soutiens (et la famille, et des ami-e-s…), tout en continuant d’avoir une relation avec la personne en se tenant au jus de ce qui se passe pour lui ou elle, en mode méfiance et veille. Expériences : monter un planning de présence en relais, exiger de la ou le voir si il y a enfermement, montrer aux psys qu’il y a du monde autour en venant tous les jours, à plein dans le couloir s’il y a un rendez- vous, parler et se renseigner sur le traitement…

Et puis, on s’est dit aussi que ça serait important d’essayer d’entendre comment la personne qui « pète les plombs » se nomme elle-même ou ce qui lui arrive (ex : « je vis dans une autre dimension »), et utiliser ses mots, peut-être en inventer ; et surtout, chaque fois que c’est possible, l’associer aux décisions qui la-le concerne. Par contre, on va pas commencer à imaginer des diagnostics nous-mêmes.

Il s’est dit que soutenir individuellement était impossible ou pas souhaitable, et que même les soutiens avaient besoin de soutien, ou au moins de parler avec une ou plusieurs autres personnes, et plus généralement, chercher ailleurs, à l’extérieur du groupe ou de la situation, aux plus d’endroits possibles, des infos, des expériences. Penser la médecine et particulièrement la psychiatrie comme un pouvoir sur nos vies nous amène à penser tout rapport avec cette institution comme un rapport de force. Vouloir aider nous oblige à nous poser des questions sans arrêt sur notre place, nos moyens, nos limites, nos intentions, si on ne veut pas reproduire des rapports de domination avec l’autre ou se substituer à un médecin.
On a parlé du danger d’être une béquille, ou de laisser l’autre se noyer… On s’est dit aussi que parfois il n’y a rien à dire, peut-être rien à faire, que voir quelqu’un-e pour ne pas parler, ça peut aussi être utile (on ne le fait jamais).

Quelqu’un a dit que cette expérience de soutien, si c’est dur, c’est aussi enrichissant et pour le collectif et pour lui personnellement.

Les groupes de paroles sont perçus comme des moments un peu psychologisants de comptoir, « bons pour les bonnes femmes » genre « pathétique ». Sauf que si on le faisait de manière régulière, ça permettrait peut-être d’éviter le trop-plein finissant chez un psy, et ça pourrait éviter que les places auxquelles certain-e-s sont assigné-e-s soient définitives. En même temps, on a pas envie de s’exposer ni à tout le monde, ni tout le temps, ni de se transformer en auto-observateur- trice de nous-mêmes ou des autres. On a aussi besoin de secrets.

Nommer permet de prendre acte, mais en même temps, ce qui fait peur c’est que ça rend réel (si je dis : j’ai des crises d’angoisse, ça peut en déclencher une, maintenant, ou préparer un terrain possible aux autres), les mots peuvent fixer un regard sur soi ou les autres qui fait peur par leur côté apparemment définitif. Alors qu’on est jamais réductible à une seule identité, et qu’on est en mouvement tout le temps, on doit se le rappeler quand quelqun-e aberre, il ou elle n’est pas que ça et ne le sera jamais.

« L’HP n’est jamais loin » a dit l’un-e de nous, on le sent par : ce qu’on s’interdit de faire comme écart public, ce qu’on contient, par la peur, et par la répression immédiate quand on dépasse les bornes.
On n’est pas égaux devant la psychiatrie, que ce soit par le genre, l’entourage, la culture, l’âge, l’origine sociale… Il y a des luttes à mener, différenciées et à inventer sur différents modes.

Note spéciale à l’entourage : c’est horrible que quelqu’un-e soit présenté-e ou parlé-e comme « celle- celui qui a pété les plombs », au risque de fabriquer des taules relationnelles, donc, apprenons activement à fermer nos gueules.

Pour conclure, on s’est dit que parmi ce qui nous donne de la force, il y a cette conviction que comprendre et lutter sont des armes et des nourritures, dans un monde que la norme rend mort. Même si on a la vie dure, au moins elle est vivante et bien à nous, larmes comprises.

Une maladie nommée schizophrénie

Capture d’écran 2014-05-29 à 00.57.08Une maladie nommée schizophrénie
Elle a atteint ma vie
Et elle me détruit
Je ne sais pas quoi pour m’accrocher
Et surtout pour ne plus me mutiler
J’aimerais pouvoir m’aider
Mais dans ma tête tout est bloqué
J’ai peur d’être abandonnée
Une fois de comme lycée
Je buvais de l’alcool tous les matins
Et ce n’était pas pour rien
Alors je me suis sortie hors du monde
Parce que je ne voulais pas entrer dans la ronde
Où il y a tant de peines, de haine
Mais aussi de la joie
Aussi belle qu’une peinture sur soie
Je peux dire que j’ai de la chance
Car pour certaines personnes la vie se joue sur une balance
Même si je ne l’ai pas choisie
J’ai de la chance d’être en vie
Et de plus j’ai envie de m’en sortir
Pour un plus bel avenir
Tous les soucis que j’ai maintenant disparaîtront
Avec le temps avec des efforts j’y crois à fond

J.

Marge

Dans les années 60 et 70, ont existé en Europe plusieurs mouvements différents pouvant être qualifiés d’anti-psychiatriques. En France la thérapie institutionnelle, développée par François Tosquelles et Jean Oury, semble avoir occupé le terrain de la contestation de la psychiatrie traditionnelle et empêché le mouvement antipsychiatrique de pleinement se développer, comme par exemple en Grande-Bretagne, avec David Cooper.

Un mouvement radical contre la psychiatrie a tout de même existé dans l’effervescence post 68, avec entre autres le Groupe Information Asiles (GIA), et son journal Psychiatrisés en lutte, et Marge. Dans ce dernier, se sont retrouvés « délinquants », psychiatrisé-e-s, « toxicomanes », « prostituées », féminist-e-s, homosexuel-le-s… « On y a vu aussi des intellectuels, psychiatres, psychanalystes, psychologues, sociologues, journalistes, philosophes et écrivains. C’est une auberge espagnole et un melting-pot in- vraisemblable. » (J. Lesage de La Haye, La mort de l’asile). Les idées étaient libertaires, la critique de l’asile radicale et les actions nombreuses. Marge a publié un journal qui a eu seize numéros. La plupart étaient centrés sur un thème : prison, « délinquance », « toxicomanie », homosexualité, féminisme, psychiatrie, littérature, musique… La psychiatrie était un des objets investis par un combat politique exaltant la révolte des « marginaux ».

Le n°6 (avril-mai 1975) s’appelait Pourriture de Psychiatrie, nous avons choisi d’en reprendre un texte intitulé « Le désir de psychiatrie ». Pour autant, cela ne signifie pas que nous sommes d’accord avec tout ce qu’il contient. Mais il nous semble incontournable de se confronter à l’histoire des différents mouvements ayant existé, aux ouvrages et publications, afin d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : quelles étaient les composantes liées spécifiquement à cette époque, à son contexte politique ? Quelles idées, réflexions et formes d’action pourrions-nous reprendre, partiellement ou totalement ?

orthopedie-andry.2Le désir de psychiatrie

Assez de mensonges, messieurs les spécialistes et que cela soit bien clair dans l’esprit de tous, à savoir que nos objectifs sont :

  • la destruction de la psychiatrie,
  • la libération de tous les « malades mentaux »,
  • la suppression de tous les asiles.

Il faut crier, hurler qu’il n’y a pas d’autre alternative à la psychiatrie que celle de sa destruction.
C’est pourquoi il est nécessaire de dénoncer le discours anti-psychiatrique qui n’est que le retour du même. L’anti-psychiatrie, c’est encore et toujours la psychiatrie et son discours, la répétition sans la différence. Le temps n’est plus à dire mais à faire, non pas l’action pour l’action, mais bien l’intervention généralisée sur les lieux mêmes de la répression sauvage et aveugle qui demain peut tous nous frapper, car nous sommes tous des malades mentaux en puissance et nous savons trop ce qui nous attend si nous ne faisons rien. Là est le seul discours qui peut fonder notre pratique contre l’institution psychiatrique.

Nous affirmons tranquillement que la maladie mentale, ça n’existe pas et que ce n’est qu’une invention de psychiatres. De plus nous sommes persuadés qu’il s’agit bien là d’un phénomène racial, d’une négation de l’autre qui passe par le refus de cette différence qu’est le comportement du « malade mental ».

Il n’est plus nécessaire de démontrer qu’en plus de son caractère profondément répressif, la machine psychiatrique est un immense instrument (et de premier ordre S. V. P. !) aux mains de la bourgeoisie, de qui les psychiatres, libéraux, gauchisants, pseudo- révolutionnaires ne sont que des alliés objectifs qui norment, encadrent, codent, gardent, emprisonnent, lobotomisent, normalisent, neuroleptisent, classifient, électrochoquisent, analysent ces dits « malades mentaux ».

La vérité, c’est qu’on appelle la folie maladie mentale, parce que la folie fait peur, qu’elle dérange, qu’elle décode et court-circuite tout le système. C’est ça l’investissement politique inconscient ou conscient du champ social. Ce que nous disons, c’est que la folie est politique, que ses origines sont politiques et que, comme la délinquance, elle est une fantastique révolte de l’homme contre le pouvoir de cette société de misère, que tous les « malades mentaux » sont des prisonniers politiques et que c’est pour des raisons fondamentalement politiques qu’on les enferme, que la folie ça existe bel et bien et que ça fonctionne très bien, mais que ça n’a rien à voir avec une maladie et qu’il s’agit de tout autre chose que ce que les spécialistes en question voudraient bien y voir.

Alors voilà, on peut se demander ce que ça veut dire, ce désir de psychiatrie ? Qu’est-ce que ça signifie et à quoi ça sert un psychiatre ? Coureur de vacations, de chimères ou de fantasmes ?

L’extraordinaire, c’est que nous avons même rencontré des psychiatres heureux, qui aiment leur travail, en sont fiers et défendent l’institution. Ils ont bonne conscience, ils répondent à la demande, on peut d’ailleurs se demander laquelle puisque c’est eux qui la créent, ils aident et soulagent. On croit rêver, eux les complices des flics, des juges, des patrons, eux qui utilisent leur pouvoir à enfermer, eux qui se déchargent du sale travail sur ces larbins, les leurs, que sont les infirmiers psychiatriques. Que dire ? Que faire ? Chaque année de brillants médiocres petits cons d’étudiants en médecine font leur entrée en psychiatrie. Ce qu’ils veulent, c’est voir les fous de près, les étudier, comprendre pourquoi ils sont fous et comment ils ont pu en arriver là, ces malheureux… Ça ne risque pas de leur arriver. Qu’on se souvienne de ces mots de Cooper qui, parlant des psychiatres, disait « qu’ils ne sont en fait que des médecins médiocres, des gens qui n’ont pas pu « réussir » en médecine générale ».

Mais après tout qu’importe, « la violence qui crève les yeux, continue Cooper, c’est cette violence subtile et masquée que les autres, les hommes normaux, exercent sur ceux qu’on a baptisés fous ».
Ce qu’il se passe, c’est qu’il existe une catégorie d’hommes qui n’acceptent pas la différence, c’est alors que leur soif de rationnel les conduit au sadisme.

Gérald Dittmar

Le labyrinthe dont vous êtes le héros : faire une demande de dossier médical

Il nous semble important de rappeler que chaque psychiatrisé-e ayant été interné-e a le droit d’obtenir une copie de son dossier médical. Pour autant il faut aussi savoir comment faire la demande et ce que l’on risque d’y trouver afin de s’y préparer.

En tant qu’ex-psychiatrisée, internée à de nombreuses reprises, il m’est récemment apparu nécessaire de ne pas laisser mes dossiers médicaux aux seules mains des soignant-e-s et administratifs des hôpitaux dans lesquels j’ai pu passer. On peut vouloir savoir ce que ces gens-là ont écrit sur nous.

Les dossiers médicaux sont constitués d’un certain nombre de pièces, dont les observations infirmières quotidiennes – vous savez quand on veut demander quelque chose et qu’on nous répond que c’est l’heure des transmissions, eh bien ils sont en train d’écrire sur nous – les entretiens avec le ou la psychiatre, les traitements, les décisions de mise en isolement, les comptes rendus d’hospitalisation…

  • Pour obtenir votre dossier médical, vous pouvez demander au médecin qui vous suit d’en faire la demande pour vous, en son nom.
  • Vous pouvez vous renseigner par téléphone auprès du service concerné pour connaître la démarche de consultation et de récupération de votre dossier sur le lieu même de votre hospitalisation.
  • Vous pouvez télécharger sur le site de l’Assistance Publique-Hôpitaux de Paris (AP-HP) un formulaire dans la rubrique « droit du patient ». Vous pouvez vous permettre d’envoyer ce formulaire à tous les hôpitaux qui ne dépendent pas de l’AP-HP, assorti d’une photocopie de votre carte d’identité, mais sachez que cela ne sera pas suffisant et qu’un échange de courriers s’ensuivra. On pourra vous demander une lettre adressée au médecin qui vous a suivi lors de l’internement, un chèque pour le coût des copies, de remplir un formulaire particulier…
  • Si vous appelez le secrétariat des lieux où vous avez été enfermé-e, hôpitaux ou clinique psychiatrique privés… ayez avec vous votre numéro de sécurité sociale, tous les fichiers étant informatisés, vous serez en mesure d’obtenir les dates d’entrée et de sortie pour chaque service lors de chaque hospitalisation, si vous ne vous en souvenez plus. Ces informations vous seront demandées par la suite pour remplir les formulaires.

Dans tous les cas, il est important de vous préparer à la réception des dossiers. Car si ce qui y est consigné ce n’est pas vous, cela parle de vous. Les experts parlent aux experts dans une langue et au moyen d’abréviations trop souvent incompréhensibles. Par ailleurs même si leur façon de traduire nos réactions ne nous parait ni fondée, ni intelligente, ni pertinente, il peut être blessant ou violent de lire en toutes lettres le diagnostic qu’on nous a collé sur le dos, d’apprendre des choses que l’on ne cherchait pas particulièrement à savoir, de se plonger dans la manière dont des inconnu-e-s ont pris des décisions qui pour certaines ont pu gâcher des pans entiers de nos vies.

Donc, n’hésitez pas à prévenir un copain, une amie, des frangins, frangines que vous faites cette démarche, voire de la faire à plusieurs ou d’attendre d’être en forme pour prendre connaissance du contenu de votre dossier médical.
Il est possible qu’on ne sache plus lorsqu’on les a reçus, puis lus, ce que l’on y cherchait ni ce que l’on voulait en faire, mais nous continuons de trouver pertinent de ne pas laisser nos bouts de vies épars, traités, médiqués, enfermés, diagnostiqués entre les mains des blouses blanches.
Note : Par ailleurs, nous savons tou-te-s que les psys et consorts abusent régulièrement de leur pouvoir au sein de l’institution, et même si nous ne sommes pas juridico-systématiques, il peut être bon de savoir que sur la base du dossier médical vous pouvez engager une procédure en justice. Tous les renseignements utiles dans ce cas sont à chercher sur le site du Centre de Réflexion et de Proposition d’Action sur la Psychiatrie (CRPA).

L’extension de la contrainte

La loi de juin 2011 sur les soins sans consentement

Retour sur l’élaboration d’une « petite loi » renforçant la répression, le contrôle et la surveillance exercés depuis des lustres par le pouvoir psychiatrique. Avec toujours cette volonté d’imposer les « soins » partout : dans les murs et hors les murs.

Genèse d’une loi

loijuin2011Il y eut le fameux discours du Pr. Sarkoz le 2 décembre 2008, quelques jours après le meurtre commis à Grenoble par un psychiatrisé qui avait fugué de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève (1). Dans ce chapitre supplémentaire de la propagande sécuritaire, étaient annoncés un plan immédiat de sécurisation des hôpitaux psychiatriques – avec notamment la création d’unités fermées et de 200 chambres d’isolement – et une réforme sanitaire des procédures de l’hospitalisation d’office, donc l’écriture d’une nouvelle loi.
Deux ans plus tard, le constat suivant était fait : les caméras de surveillance et les chambres d’isolements ont envahi les hôpitaux psychiatriques, des grillages ont été installés, des protocoles de neutralisation physique des internés ont été mis en place.
Cette loi a été élaborée pendant deux ans mais pas votée. Avant son vote, deux recours ont été soumis au conseil constitutionnel sur la question de la conformité à la constitution des modalités d’enfermement des personnes en hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et en hospitalisation d’office (HO) (2). En effet, les interné-e-s en HDT et en HO pouvaient rester hospitalisé-e-s aussi longtemps que les médecins le voulaient en ayant pour seul recours le juge des libertés et de la détention (JLD) ou le tribunal administratif. Ce dispositif a été jugé inconstitutionnel, ce qui a provoqué une réécriture de la loi. Désormais, les deux statuts HO et HDT doivent être confirmés systématiquement par le JLD au bout de quinze jours d’hospitalisation.

Le 22 juin 2011, cette loi sécuritaire est adoptée, malgré l’opposition, entre autres, du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire (3) et du collectif Mais c’est un Homme… (4) qui n’auront pas réussi à la bloquer, contrairement à ce qui s’est passé récemment à deux reprises en Espagne.

La loi, ce qui va changer

  • La notion d’hospitalisation sous contrainte est remplacée par celle de « soins sans consentement », plus large, qui rend possible les prises en charge sans consentement en ambulatoire (c’est-à-dire hors de l’hôpital).
  • Le suivi ambulatoire des « patients » sans leur consentement est institué, ce qui signifie, entre autres, à domicile. Cette disposition, sous prétexte d’améliorer la continuité des soins, vise à surveiller étroitement certains « patients » dont le comportement peut, selon la formule consacrée, présenter un danger pour eux- mêmes ou pour les autres, avec toujours présente la possibilité d’une (ré)hospitalisation sous contrainte.
  • Une garde-à-vue de santé publique est mise en place : instauration d’un délai, ne pouvant excéder 72 heures, pendant lequel on pourra maintenir l’hospitalisation complète sans son consentement d’une personne sans statuer son état, sans se poser la question de la nécessité de son enfermement. Cette période est censée permettre l’observation du « malade », afin de déterminer « le mode de prise en charge le plus adapté ».
    Dans les 24 heures, un certificat médical doit être établi, en cas d’HO ou d’HDT (ou en HO un simple avis médical sur la base du dossier).
  • L’entrée dans le dispositif de « soins sans consentement » en HDT est simplifiée. L’exigence d’un deuxième certificat médical est supprimée : « en cas d’urgence », « à titre exceptionnel », une personne pourra être internée « au vu d’un seul certificat médical émanant, le cas échéant, d’un médecin exerçant dans l’établissement ».
    De plus, est créée la possibilité d’une admission sans consentement lorsqu’il est décidé, par un psy comme par un médecin de ville, qu’une personne nécessite des soins, sans qu’un tiers en ait formulé la demande et sans pour autant « causer un trouble grave à l’ordre public » (ex HO).
    L’HDT sans la demande d’un tiers mais pour cause de « péril imminent pour la santé de la personne » est donc rendue possible !
  • Dans tous les cas, le maintien de l’hospitalisation sans consentement ne peut être poursuivi au-delà d’un délai de quinze jours sans l’intervention du JLD.
  • Lorsque le juge n’a pas statué dans le délai mentionné, la mainlevée est acquise.
    Au cours de cette période, un certificat médical doit être établi après le cinquième jour et au plus tard le huitième jour. Le défaut de ce certificat entraîne la levée de la « mesure de soins ».
  • Dans le cas d’une hospitalisation sous contrainte supérieure à un an, une « évaluation approfondie de l’état mental de la personne » est prévue, par un collège composé de trois membres (dont deux psychiatres) appartenant au personnel de l’établissement.
  • Enfin, la loi prévoit la création d’un collège de soignants chargé de fournir au préfet un avis sur la levée éventuelle de l’internement des « patients » en HO à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale ainsi que ceux qui ont été placés en unité pour malades difficiles (UMD). En plus de l’avis du collège, deux psychiatres, choisis par le préfet ou sur une liste d’experts, doivent émettre des avis concordants.

En finir avec l’internement : ni psychiatre, ni préfet, ni juge

Dans un communiqué de presse (5), le collectif Mais c’est un homme…, considérant – avec justesse – que la loi du 27 juin 1990 n’est qu’un simple toilettage de celle du 30 juin 1838, réclame son abrogation en faveur d’une loi de droit commun. Et il critique la décision du 26 novembre 2010 du conseil constitutionnel parce qu’elle « rejette le placement de l’intégralité de la procédure d’hospitalisation sous contrainte sous l’autorisation et le contrôle du juge ».
Ce collectif affirme que « la psychiatrie gagnerait en dignité, en légitimité, en éthique de la responsabilité, à ce que l’autorité judiciaire remplisse son rôle de « gardienne de la liberté individuelle » dans ce domaine »(6).
Très attaché aux droits de l’homme et du citoyen, ce collectif répète que « le patient psychiatrique est un citoyen », qu’il « doit conserver ses droits », qu’il « doit bénéficier d’un droit de recours périodique et effectif (y compris sur les traitements) ». Sauf que, à nos yeux, les soi-disant citoyens au-dehors le sont déjà très peu et que ce vernis est soluble dans la psychiatrie : sous le pyjama bleu, vous trouvez quelqu’un-e qui subit le pouvoir psychiatrique, un-e psychiatrisé-e, pas quelqu’un-e qui a encore les moyens de se fantasmer citoyen-ne.
Jouer la carte du pouvoir judiciaire, contre le pouvoir psychiatrique et le pouvoir étatique, est une stratégie qui, outre les magistrats, ne peut séduire que les adorateurs des droits de l’homme et du citoyen. Bien que toute remise en question du pouvoir psychiatrique nous paraisse, dans un premier temps, bienvenue, si elle n’amène que la proposition du renforcement du pouvoir judiciaire, elle nous semble politiquement totalement vaine. En matière d’enfermement psychiatrique, penser que l’introduction d’un troisième pouvoir et l’équilibrage des forces qui en résulterait protègeraient le désigné usager de tout
excès de pouvoir est un pari hasardeux. La loi de 1838, loi de l’aliénisme, relookée 1990, reste une excellente base pour attenter à ce qui nous reste de liberté. Bientôt deux siècles… les années passent, elle demeure, convenant à tous les pouvoirs politiques et défendue par la psychiatrie en tant que socle de son
exorbitant pouvoir à l’intérieur des murs.
Mais avec cette mini-loi de 2011, nous sommes loin du bouleversement de la législation réclamé ci-dessus. Concrètement, il faudra voir si cette introduction partielle d’un juge bénéficie aux psychiatrisé-e-s. Ces derniers temps, dans un contexte de désignation frénétique de responsables, on a vu des psychiatres peu enclins à demander des levées d’HO, relayés par des préfets ne les accordant pas ! L’avis obligatoire du JLD après quinze jours d’internement et la saisine automatique de ce même juge en cas de refus du préfet de lever une HO auront-ils pour conséquence une diminution significative de la durée globale d’HO, sur un an par exemple ?
Il faudrait déjà que la mini-loi puisse être appliquée : rien que sur l’« avis des quinze jours » qui va nécessiter à peu près 80.000 décisions par an, il y a un gros doute…

J.

Notes :
(1) Discours qui en a réveillé certains, qui ronronnaient dans leur pratique d’une psychiatrie prétendument désaliéniste… (retour au texte)
(2) Le Conseil constitutionnel, sur décision du 26 novembre 2010 a déclaré contraire à la Constitution l’article L. 337 du code de la santé publique qui prévoyait que l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) pouvait être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire. Et il a fixé au 1er août 2011 la prise d’effet de cette déclaration d’inconstitutionnalité afin de permettre au législateur d’y remédier.
Et le 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles L. 3213-1 et L. 3213-4 du code de la santé publique sur les instaurations et les maintiens de l’hospitalisation d’office (HO), tout en conservant la même date de prise d’effet de la déclaration, à savoir le 1er août 2011. Les prises en compte de ces deux décisions ont été ajoutées au projet de loi, mais pour la seconde dans la précipitation, à cause du délai très court.
(retour au texte)
(3) Le collectif des 39 se définit comme un collectif de défense de la psychiatrie constitué presque essentiellement de professionnels. Défendre du sécuritaire la psychiatrie ne peut que rassembler la plupart des forces. Mais en profiter pour tenter de se refaire une virginité en pronant une psychiatrie humaniste qui n’a jamais existé relève du tour de passe-passe. (retour au texte)
(4) Le collectif « Mais c’est un Homme… » regroupe diverses orgas, syndicats et partis politiques, tel le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale de la psychiatrie, la LDH, ATTAC, Advocacy France, etc. (retour au texte)
(5) « Décision du Conseil constitutionnel à propos des internements psychiatriques : petit pas ou premier pas ? », 02/12/2010, voir ici. (retour au texte)
(6) Diable ! Tout discours évoquant la dignité, la légitimité et l’éthique de la responsabilité de la psychiatrie ne peut que nous écorcher gravement les oreilles… (retour au texte)

Préambule n°2

  • Sans remède n’est pas pathologiquement sérieux.
  • Sans remède est un journal sur le système psychiatrique, alimenté par des vécus, des confrontations et des points de vue, dans une perspective critique.
  • Sans remède ne voit pas de victimes dans les hôpitaux, mais des psychiatrisé-e-s. Nous sommes des individus avec leurs histoires, leurs aliénations, leurs souffrances, leurs plaisirs, leurs combats, jamais de symptômes.
  • Sans remède parle d’enfermements, du pouvoir psychiatrique et de ses effets, autant dans les murs qu’en dehors. Ce pouvoir n’est pas que le fait des médecins, il nous implique tous et toutes. Il requiert notre acceptation, de manière douce ou violente.
  • Sans remède ne propose pas de critiques constructives pour penser l’enfermement psychiatrique. N’importe quel soutien apporté à l’autre devient critique dès qu’il s’institutionnalise. Il ne s’agit pas de réinventer un quelconque lieu de soin.
  • Sans remède ne laisse pas de tribune aux membres de l’institution psychiatrique car d’autres moyens d’expression sont à leur disposition, au service de ce pouvoir.

Face à la psychiatrie, et au monde qui va avec, il s’agit de travailler à sa destruction. Dans l’intervalle, il s’avérer nécessaire de se défendre et de s’organiser.

Sans solution.

Esquisse d’un voyage en psychiatrie

«J’arrive! Et en guise de frustration, éclairé par la lumière des toilettes, j’essaie de rester tolérant.»

Quelques tribulations en guise de témoignage, écrites en 2001 à l’hôpital psychiatrique de Caen. Quelques instantanés donc, lorsque mes pensées étaient trop rapides pour ma conscience, lorsqu’on les fit ralentir pour mon bien-être et par de bien mauvaises méthodes. Voici donc un léger guide absurde d’une expérience psychiatrique. Absurdité qui m’a aidé à ne pas trop sombrer, et surtout à résister pour continuer à faire des choix dans ce milieu où il n’y en a plus d’humains.

esquissevoyage«Esquirol, centre psychiatrique carré de blockhaus encastrés.
J’arrive ! deuxième étage, service Jackson. J’observe ! ce monde clos, psys et fous, alliés et résistants, marche dans un ralenti visuelle- ment explosif. Des murs aux couleurs fades. Quelques tableaux. Ce que j’en pense ? De la merde en boîte encadrée ! Ho ! Pardon ! ici culpabilité oblige…

« Où en étais-je ? Ah oui, revenons dans notre sympathique petite prison. Je vous parlais de son décor artistique. Et oui, s’il vous plaît, l’État est généreux pour ce qui traite de l’évasion spirituelle des déchets de sa société. Alors merci ! je ne le pense pas mais un grand merci encore.

« Donc à part quelques tableaux trouvés je ne sais où, je repère finalement un Kandinsky. Ce devait être un sacré farceur celui-là car je n’ai pas vu grandes traces de notre civilisation carcérale dans son abstraction de la réalité. Et en guise de frustration, je ne peux vous donner le titre de son œuvre car il n’était point prescrit au bas du tableau. Et tout ceci avec la cohérence de mon âme dérobée dans la blancheur infinie des murs de la guérison.
« Et ben couillon, ce n’est que le début de mon épopée psychiatrique et après avoir visualisé l’ambiance des couloirs, je fais ma première rencontre. Un air de zombie, il frôle mon épaule, le regard vide, les lèvres desséchées, laissant une lenteur invisible derrière lui…

« Samedi. J’y suis depuis lundi et je vous jure, j’comprends plus. Avec tous les médicaments qu’ils m’engrangent, je n’arrive pas à dormir et le pire, c’est que j’comprends plus.
Assis au coin fumeur, d’où je vous écris, éclairé (et c’est un bien grand mot) par la lumière des toilettes, je regarde par la fenêtre la nuit, du noir en quelque sorte, ou le néant comme je préfère penser. Mais ce qui m’attriste le plus, ce sont les fenêtres. On peut les ouvrir mais surprise, que dix centimètres. D’accord, c’est d’abord une question de sécurité dans cette métaphore rétrécie du monde qui nous entoure mais moi, rêveur malade, cela m’empêche de me jeter en l’air.

equisse2« Sous la couverture, en train de faire ma sieste quotidienne, on me réveille pour le goûter. Je dis que je n’ai pas faim et c’est vrai à ce moment-là. Peu de temps après, je vais pointer à l’office des infirmiers pour prendre un sachet de café car il restait de l’eau chaude sur la table. On m’engueule en me disant que le temps est écoulé, que le règlement, c’est le règlement. Face à tant de pouvoir inutile, furieux, je leur vomis : « Moi le prophète schizophrène pour tous les abrutis du système, je serai le maître d’une secte où tous me lécheront les couilles comme Annie et ses sucettes. » Et vlan ! malgré toute la splendeur que j’éprouvais pour ce coup de génie poétique, « fais attention à ton épopée » me dis-je. Elle pourrait se finir en isolement comme celle de cette pauvre fille qui frappa sur la porte blindée en gueulant une après-midi entière. Je sus par la suite qu’elle voulait juste fumer une cigarette. Et je voyais bien dans les yeux plissés des blouses blanches, derrière leurs lunettes de marbre, qu’ils jouissaient en la regardant embuer le petit hublot de la porte à sept verrous.

Et après tout ça j’essaie de rester tolérant. Pourtant, c’est moi le malade. Je vous jure, j’comprends plus ! eux, ils me diront que je ne veux pas comprendre mais bon, l’eau coule dans les rivières et les pierres au fond, donc tout est normal.
« Je suis fatigué, fatigué d’être fatigué et par-dessus tout, j’en ai assez de cette atmosphère inexacte, maladive et abrutissante. Assez des médecins avec leurs styles de prophète à la mords-moi le nœud et t’auras le paradis dans l’os.
Je n’ai plus rien à vivre ici. J’ai fait le tour des couloirs qui tournent en rond et de tout le monde aussi.
Il faut que je parte. Même si dehors, c’est pareil. Même si l’inquisition empêche aux livres de tourner la page, la page de fin, la fin de mon monde.
C’est fini. Je coupe le cordon et le lien qui nous unissent. Mais blottissez quand même dans un doux coin de votre esprit ces quelques pensées. Je m’en sentirai moins seul. Allez ! après tout, je ne suis qu’idiot.

T.

Du bancal dans nos rapports

Soin : ensemble des moyens par lesquels on s’efforce de rendre la santé à un malade moyennant rétribution.
(déf. du Larousse 1930)
Aider : porter secours, seconder, assister. Prêter son concours en prenant soi-même une partie de la peine. (ibid.)

Dans ce témoignage, il est question de la difficulté énorme de construire une relation attentive à ne pas reproduire des mécanismes de domination et de pouvoir avec quelqu’un-e qui est psychiatrisé-e. (1)
Si les souffrances psychiques ont tout l’air de difficultés intimes, voilà (encore) un lieu où « l’intime est politique ». Et les rapports que nous entretenons avec celles et ceux qui font face à ces difficultés sont sans cesse contaminés par le mode opératoire des institutions qui les « prennent en charge » : on en vient vite à prendre une place de soignant-e, à infantiliser l’autre ; à la-le culpabiliser ; à la-le réduire à une seule identité, celle de malade ; à lui interdire un certain nombre de pensées et d’actes ; à la-le contenir physiquement et-ou psychiquement. Même quand on veut « aider »..

bancalrapportsJ’ai rencontré il y a plus d’un an V., psychiatrisée en HDT (2). Je travaillais comme intervenante artistique à l’hôpital, cette femme participait aux ateliers que j’animais. J’avais pas mal de présupposés bienveillants et pourris, des questions aussi. Quelque chose comme : les pauvres, ils ont pas de bol (comme si tous les participants de l’atelier allaient être hypersympas et un peu neuneus), et puis aussi, est-ce qu’on va réussir à se comprendre ? (tiens, je ne me pose même pas la question avec d’autres gens). Les médocs, ça fait dormir, ils vont être mous sûrement. Et s’il y a une crise ?
J’arrive avec un projet de poésie. Elle prend la parole pour dire que mon truc est à côté de la plaque parce qu’elle n’arrive plus à lire avec les médocs. C’est une jeune nana, plu- sieurs fois elle est absente aux séances parce qu’elle est « en gayole (3) », ou privée d’activités. Elle pourrait être ma petite sœur. Je crois que le premier truc que j’aime chez elle, c’est son côté direct sans politesse, sa mauvaise humeur, et son rire qui cascade ; rare, et fort.
Ce lieu et tous ses agents me débectent. On a beau m’expliquer, je ne me rends pas à l’évidence des blouses, des mesures d’enfermement, d’hygiène et de distance. Dans cet endroit sensé être conçu pour des gens qui ne se sentent pas bien, je n’arrive pas à tenir plus d’une de- mi-journée sans avoir envie de faire un truc violent ou spectaculairement débile pour habiter le vide tonitruant des pièces-couloirs à la mode morgue. J’ai la rage de voir ce qu’on fait vivre à ces gens. Il faut que je fasse quelque chose, je ne sais foutrement pas quoi. J’ai un peu de temps libre, je décide d’aller rendre visite à V. au pavillon « mimosas » (évidemment, il n’y a à peu près aucun mimosa, mais beau- coup de gens traités comme des plantes vertes). Le parloir ressemble à une salle d’attente, magazines de droite en moins, interphone et surveillance en plus. Elle me raconte son histoire. Peut-être comme elle le ferait à une blouse blanche. Noire de noire depuis la naissance. Je n’arrive pas à penser, j’entends les horreurs de son passé, puis de son « ordinaire ». Je suis touchée par cette avalanche, encore plus par la lutte que ça suppose de vivre avec. On a une violence en commun. Désir très fort de la sauver de cet endroit mortel. Je cherche un moyen d’ouvrir une brèche dans sa fatalité, convaincue qu’elle est que s’il y a une suite à sa vie elle sera de la même couleur merdique. Bleu flic, blanc hosto, rouge pompier et gris partout même dans l’alcool. Qu’est-ce que je peux lui dire ? Je lui tchatche dans le temps trop court qu’on a une suite en vrac de conneries pleines d’espoir, que la vie n’est pas si moche, que les gens ne sont pas tous atroces. Je mélange tout, je lui parle à elle et à moi, puisque c’est à moi que c’est insupportable qu’elle ait envie de mourir. Et puis ça me concerne aussi de chercher des raisons de continuer. De colère en tristesse, mon impuissance se retourne souvent contre moi. Qu’est-ce que c’est que cette histoire que je me raconte que je pourrais la sauver des merdes dans lesquelles je vis aussi, ou la sauver d’elle-même ? L’empathie, j’en ai, et j’ai une idée de mes désespoirs mais je n’ai pas vécu d’être psychiatrisée. Pour sûr je ne peux pas me mettre à sa place, mais la mienne, c’est quoi en fait ?

On vit ensemble d’autres moments à l’atelier, et je repars chez moi, à des kilomètres, amère. Trop tard, je la connais, et sans lui faire de promesses je lui en fais plein. Elle me demande de croire en cette autre partie d’elle, « capable de se tirer et de vivre ».

Des semaines plus tard, je l’appelle, j’ai promis. Elle n’essaye plus de mourir tout le temps, et j’entends des sourires, des bouts d’envies fragiles dans sa voix. Elle a fracassé la gueule d’un gars qui l’a insultée, sa main est en vrac. J’ai envie de la féliciter, et aussi de lui dire de faire gaffe… Finalement, je ne dis pas grand chose, pour n’être ni sa mère, ni celle qui l’encourage à tout faire pour se faire virer, vu qu’à part la rue y’a pas d’endroit où elle peut aller. Et personne d’autre à appeler. On se téléphone.
La plupart du temps, comme on ne se connaît pas bien, on n’a pas grand chose à se dire. Moi, je lui raconte ce que je fais… Souvent je ne suis pas là quand elle appelle, parce que j’ai le droit de me balader.
Elle, enfermée, se fait chier terriblement. On l’a mis dans un « foyer vers l’autonomie ». Je pense que c’est une blague, mais je suis contente pour elle, c’est plus petit, j’ai l’impression, moins pire. Une promesse d’institution vers un appart, une vie un peu plus à elle, elle veut ça et elle veut y croire. Sauf que… Quand je réussis à lui obtenir une perm de trois jours pour son anniversaire, je vois la gueule de la promesse. Ce foyer est pire que l’HP. Au moins, dans le nombre à l’HP, il arrive que t’échappes au flicage cinq minutes ; là, impossible : ils sont juste une dizaine d’adultes pour quatre surveillants. Rien n’est fait pour leur « autonomie » : les relations sexuelles sont interdites, on ne peut inviter personne dans sa chambre, il y a un système de punition, et un travail obligatoire payé à la pièce, les activités sont dans le style « hygiène de vie », sans parler des caméras et autres matons-éducs.
On passe trois jours ensemble. On se marre. Je redécouvre par sa présence ce que c’est de prendre le métro, aller à des concerts, manger des fallafels, aller boire des verres, passer chez des potes… Et elle, à 22 ans, elle n’a jamais fait ça de sa vie. Je jongle entre ne pas me censurer, ni en faire trop, ni devenir une éduc. Elle me raconte un projet dont je ne sais pas si c’est le sien, de travailler avec des enfants ou des animaux. J’ai envie de lui dire que le travail, c’est de la merde. N’importe quoi, je me prends pour la grande initiatrice depuis qu’elle a appris à prendre le métro avec moi.
Et puis je la ramène. J’ai l’estomac troué de la remettre là-dedans.
D’un coup de fil quelque temps plus tard, j’apprends qu’elle a foutu le feu, ce qui la rend tricard de tous les foyers de la région. Pour avoir allumé une boule de PQ dans les chiottes du foyer. Elle est à la rue. A mille bornes, je fais quoi ? Elle me demande de venir la chercher, avec une urgence énorme. Je lui dis que je ne peux rien faire, j’ai pas de thunes, je n’arrête pas ma vie pour aller chercher quelqu’un, et surtout, je flippe. Moi, seule, vivre avec elle ? Pas moyen. La laisser dehors ? Pas moyen non plus. Je fais le lien avec la seule personne de sa famille. Je me retrouve à faire le taf d’une pétasse d’assistante sociale (celle qui a décidé de ne plus la supporter et de la « punir » en lui empêchant un placement) : je joins tout le monde, je récupère l’ordonnance… Ça marche un temps, mais V. se sent trop fragile, et ne veut pas rester chez sa tante, elle décide de retourner à l’HP. Un des seuls « choix » qui lui appartienne. Aujourd’hui, elle est encore à l’HP, vu qu’elle a passé sa vie en foyer, et qu’elle n’est pas assez « autonome », le seul projet qui lui reste est de trouver une place en famille d’accueil. En attendant, depuis six mois, elle demande à aller souvent en isolement, tellement elle pète les plombs de subir le collectif obligatoire (inter- diction d’aller dans sa chambre la journée en HP), et du coup, bizarrement, son traitement a ré-augmenté. Mais attention, ce n’est pas l’absence d’avenir ou la surenchère de « soins » qui y est pour quoi que ce soit, non, tout ça c’est sa « maladie ». Comme dirait l’infirmière.
Je ramène V. après une perm, l’infirmière se tourne vers moi : « ça s’est bien passé ? », sans regarder V. une seconde.
J’ai comme l’envie de lui démolir sa gueule et celle de ses collègues, mais je ne le fais pas.

Pour V., je suis la personne « alternative » à l’institution, car je ne suis ni de sa famille, ni du métier, et j’ai la possibilité sur simple courrier de lui obtenir des permissions de sortie. Du coup, c’est compliqué, parce que je suis un bricolage de tout ça et c’est surtout pas ce que je souhaite, parce que je me sens égoïste quand je ne peux ou ne veux pas. Pourtant le pire serait que je me sacrifie, que je lui offre un mensonge en amitié.
En tous cas, c’est là, toujours : elle est enfermée. De mon côté, je lutte contre ma volonté de me changer pour elle (autocensure et surveillance de mes paroles surtout) de la porter, de la considérer avant tout comme fragile, d’anticiper ses comportements, d’avoir peur d’une crise, de la sortir des médicaments, de lui im- poser mon rapport au monde…
De son côté, elle a tendance à se fliquer quand elle est avec moi, parce qu’on lui a appris que si elle veut obtenir quelque chose, elle doit « bien se comporter », c’est-à-dire se soumettre aux propositions d’activités, ne pas se mettre en colère, ne pas causer de problèmes…
Bref, on joue nos putains de rôles.

Pourtant, aucune identité ne peut tout-à-fait nous contenir : elle n’est ni résumable à une psychiatrisée ou une véner, ou une « jeune fille dé- favorisée »… Ni moi résumable à un soutien, ou une calme, ou une éducation bourgeoise… Il n’y a aucune case sociotruc qui raconte ces mélanges qui nous constituent, parfois dictés par l’extérieur, parfois choisis. Je préfèrerais multiplier mes appartenances par affinités, et me choisir des mots à moi. Elle est considérée comme malade, enfermée, c’est son quotidien et elle se vit souvent comme ça (être malade, c’est une affaire de survie de le reconnaître au moins un peu à l’HP), moi je suis considérée comme normale et dehors, et je ne me vis pas vraiment comme ça.
On essaye de construire du commun, et y’en a, dans le refus de la tenue comportementale exigée par exemple. Mais l’asymétrie de nos vies fait du bancal dans nos rapports. Je suis là, parfois, pas toujours. Les potes me prêtent leurs voitures, leurs apparts et leurs oreilles… Sans quoi, se voir serait impossible.
On bricole.
Je ne te sauverai de rien, c’est mon cadeau à nous deux.
Mais si tu veux te battre, on se bat ensemble.

O.

Notes :
(1) Ce terme est issu de l’antipsychiatrie, je l’utilise ici pour nommer autrement que le médical une personne ayant été soumise au pouvoir psychiatrique. (retour au texte)
(2) Hospitalisation à la Demande d’un Tiers (signée par sa tante). (retour au texte)
(3) Les psychiatrisé-e-s de cet HP utilisent ce mot du patois picard qui signifie « geôle ». (retour au texte)

Se faire diagnostiquer

chuteJ’ai un diagnostic
Il me suit partout
Il me colle à la peau
Je ne suis plus n’importe qui
Je suis malade
Je n’ai plus de questions
J’ai des phases
Je n’ai plus de réponses
J’ai des crises
Je n’ai plus d’actes
J’ai des symptômes
Je n’ai plus de nerfs
J’ai un traitement
Je ne suis plus moi-même
Je suis diagnostiquée

A.

 

Effondrements

Un glissement de sens
Emportant avec lui
Des monceaux entiers
De raison

Des certitudes s’affaissent
Des identités s’effondrent

Des wagons d’évidences
Abolis d’un coup de hasard

Des montagnes d’habitudes
Dispersée par une brise

Toute la fatigue d’un jour
Balayé d’un soupir

Ton corps
Redevient
L’espace

A.