Esquisse d’un voyage en psychiatrie

«J’arrive! Et en guise de frustration, éclairé par la lumière des toilettes, j’essaie de rester tolérant.»

Quelques tribulations en guise de témoignage, écrites en 2001 à l’hôpital psychiatrique de Caen. Quelques instantanés donc, lorsque mes pensées étaient trop rapides pour ma conscience, lorsqu’on les fit ralentir pour mon bien-être et par de bien mauvaises méthodes. Voici donc un léger guide absurde d’une expérience psychiatrique. Absurdité qui m’a aidé à ne pas trop sombrer, et surtout à résister pour continuer à faire des choix dans ce milieu où il n’y en a plus d’humains.

esquissevoyage«Esquirol, centre psychiatrique carré de blockhaus encastrés.
J’arrive ! deuxième étage, service Jackson. J’observe ! ce monde clos, psys et fous, alliés et résistants, marche dans un ralenti visuelle- ment explosif. Des murs aux couleurs fades. Quelques tableaux. Ce que j’en pense ? De la merde en boîte encadrée ! Ho ! Pardon ! ici culpabilité oblige…

« Où en étais-je ? Ah oui, revenons dans notre sympathique petite prison. Je vous parlais de son décor artistique. Et oui, s’il vous plaît, l’État est généreux pour ce qui traite de l’évasion spirituelle des déchets de sa société. Alors merci ! je ne le pense pas mais un grand merci encore.

« Donc à part quelques tableaux trouvés je ne sais où, je repère finalement un Kandinsky. Ce devait être un sacré farceur celui-là car je n’ai pas vu grandes traces de notre civilisation carcérale dans son abstraction de la réalité. Et en guise de frustration, je ne peux vous donner le titre de son œuvre car il n’était point prescrit au bas du tableau. Et tout ceci avec la cohérence de mon âme dérobée dans la blancheur infinie des murs de la guérison.
« Et ben couillon, ce n’est que le début de mon épopée psychiatrique et après avoir visualisé l’ambiance des couloirs, je fais ma première rencontre. Un air de zombie, il frôle mon épaule, le regard vide, les lèvres desséchées, laissant une lenteur invisible derrière lui…

« Samedi. J’y suis depuis lundi et je vous jure, j’comprends plus. Avec tous les médicaments qu’ils m’engrangent, je n’arrive pas à dormir et le pire, c’est que j’comprends plus.
Assis au coin fumeur, d’où je vous écris, éclairé (et c’est un bien grand mot) par la lumière des toilettes, je regarde par la fenêtre la nuit, du noir en quelque sorte, ou le néant comme je préfère penser. Mais ce qui m’attriste le plus, ce sont les fenêtres. On peut les ouvrir mais surprise, que dix centimètres. D’accord, c’est d’abord une question de sécurité dans cette métaphore rétrécie du monde qui nous entoure mais moi, rêveur malade, cela m’empêche de me jeter en l’air.

equisse2« Sous la couverture, en train de faire ma sieste quotidienne, on me réveille pour le goûter. Je dis que je n’ai pas faim et c’est vrai à ce moment-là. Peu de temps après, je vais pointer à l’office des infirmiers pour prendre un sachet de café car il restait de l’eau chaude sur la table. On m’engueule en me disant que le temps est écoulé, que le règlement, c’est le règlement. Face à tant de pouvoir inutile, furieux, je leur vomis : « Moi le prophète schizophrène pour tous les abrutis du système, je serai le maître d’une secte où tous me lécheront les couilles comme Annie et ses sucettes. » Et vlan ! malgré toute la splendeur que j’éprouvais pour ce coup de génie poétique, « fais attention à ton épopée » me dis-je. Elle pourrait se finir en isolement comme celle de cette pauvre fille qui frappa sur la porte blindée en gueulant une après-midi entière. Je sus par la suite qu’elle voulait juste fumer une cigarette. Et je voyais bien dans les yeux plissés des blouses blanches, derrière leurs lunettes de marbre, qu’ils jouissaient en la regardant embuer le petit hublot de la porte à sept verrous.

Et après tout ça j’essaie de rester tolérant. Pourtant, c’est moi le malade. Je vous jure, j’comprends plus ! eux, ils me diront que je ne veux pas comprendre mais bon, l’eau coule dans les rivières et les pierres au fond, donc tout est normal.
« Je suis fatigué, fatigué d’être fatigué et par-dessus tout, j’en ai assez de cette atmosphère inexacte, maladive et abrutissante. Assez des médecins avec leurs styles de prophète à la mords-moi le nœud et t’auras le paradis dans l’os.
Je n’ai plus rien à vivre ici. J’ai fait le tour des couloirs qui tournent en rond et de tout le monde aussi.
Il faut que je parte. Même si dehors, c’est pareil. Même si l’inquisition empêche aux livres de tourner la page, la page de fin, la fin de mon monde.
C’est fini. Je coupe le cordon et le lien qui nous unissent. Mais blottissez quand même dans un doux coin de votre esprit ces quelques pensées. Je m’en sentirai moins seul. Allez ! après tout, je ne suis qu’idiot.

T.