Parole de chamelle

Ce texte est issu d’un entretien avec H., nous avons discuté, à partir du titre « Sans Remède », de la prise de médicaments et échangé sur son expérience.

chamelleLes Chamelles, c’est un groupe de trois femmes qui ont un passé plus ou moins récent en psychiatrie, on se voit depuis le printemps 2009. On a des parcours très différents. On se rencontre de manière irrégulière, et informelle.
Au départ, à la Case de Santé (1), il y a une salle qui sert de cantine occasionnelle, de lieu de réunion… J’ai eu un jour une discussion avec une femme qui était comme moi patiente de la Case, c’est là qu’est arrivée l’idée de constituer un groupe de patient-es. J’ai un peu écrit ce que pourrait être ce groupe, et je l’ai envoyé à des usagers de la Case qui pourraient être intéressés. J’ai eu leurs adresses par des soignants de la Case qui soutenaient la démarche ; ils ont obtenu l’accord des gens pour que je les contacte. Sur environ dix personnes, deux ont répondu présent pour la première rencontre.
On m’a parlé des Groupes d’Entraide Mutuelle, mais ça me semblait trop structuré, et trop avec des encadrants professionnels. J’avais envie de parler librement sans regards extérieurs qui viendraient comme au zoo voir qui sont ces fous… Moi, j’avais pas envie d’un groupe de parole où on se prendrait la violence des discours de ceux qui ont un avis sur les médocs, sur les médecins… sans être directement concernés. C’est pour ça qu’on s’est montées en groupe « d’auto-support », pour se préserver des préjugés et des soignants. C’est pas évident parce qu’il y a en a que la présence des soignants rassure, ce qui explique peut-être qu’on est que trois. Nous, ce qu’on a trouvé comme avantage, c’est l’évidence de notre commun né de l’expérience des médocs, des effets secondaires, des rapports avec les infirmiers, de nos délires, mystiques ou pas, des délires de complots… C’est pas que de la souffrance. C’est drôle aussi. On s’imite les psys… On échange nos expériences et nos avis. Y’a toujours ce truc de l’absence de jugement qui est hyper important.

On ne prétend pas que notre groupe est thérapeutique. Comme il n’y a pas de regard extérieur, rien n’est interprété, c’est pas performatif. Par exemple, dans un groupe d’art thérapie, si je fais un dessin, un soignant va en faire une lecture. Je fais une jolie maison : ça veut dire ci ou ça… Ça pervertit l’intérêt du processus de la parole, qui doit être libre, et pas chercher à satisfaire une autorité présente. Au début, je voulais faire beaucoup plus, mais j’avais pas réalisé que c’était déjà faire de parler. Ça nous a déjà pris un an de nous renconter, nous raconter nos parcours…

On a pas toutes l’habitude d’écrire des textes collectifs. Mais on a de quoi faire un bouquin. Maintenant on a pour projet d’écrire un texte sur les effets secondaires des médocs, avec des trucs et astuces pour atténuer les effets, informer… C’est pris à la légère par les psys les prises de poids, comment les médocs jouent sur les hormones, comment aussi, une personne qui a des troubles depuis vingt ans se connaît, connaît les ajustements pour les dosages, ce qu’il lui faut, ce qu’elle supporte mal…

Refuser le médicament ou le gober, ça suffit pas, il faut affiner. Je me suis pas mal mis la pression toute seule quand s’est posée pour moi la question : si je prends ce médoc, est-ce que je vais être mal vue par les squatters militants ? (dont je cherche la reconnaissance), est-ce que je vais passer pour une faible, qui abandonne, consentante, son cerveau au système ? qui va désormais s’employer à casser sa vraie personnalité… Ça veut dire quoi ma vraie personnalité ? Pour moi, on se constitue dans des rapports, par la socialisation, quand ton délire te coupe complètement de ça et te fait partir en vrille dans un sous-bois pour vivre le délire à fond, parce que le délire et sa solitude sont très attirants aussi, qu’est-ce qui reste de ta personnalité, coupé de tous les autres et réduit au délire ? J’ai parlé du regard des autres comme une peur, mais le regard de quelqu’un peut aussi être l’hameçon qui t’em- pêche de partir dans les sous-bois.
Aujourd’hui j’ai arrêté le médoc depuis un an et demi, avec l’accord d’un psychiatre, après cinq ans sans épisodes délirants.

H.

Notes :

(1) La Case de Santé est un centre de santé de quartier ouvert à tou-te-s, quelle que soit la condition sociale. (retour au texte)