Paroles de retenus…

arton996Paroles de retenus depuis la prison pour étrangers de Vincennes, est une brochure publiée en 2012 par un groupe de personnes qui ont décidé d’appeler les cabines publiques du Centre de rétention administratif (CRA) suite à une manifestation. Ils expliquent leur démarche: « Il nous semblait important d’avoir le ressenti des retenus par rapport à la manif’, savoir ce qui c’était passé à l’intérieur à ce moment-là. Nous avons par la suite entretenu un contact régulier avec des retenus pendant plusieurs mois. (…)
Être régulièrement en contact avec les retenus permet tout d’abord de faire sortir leur parole de ces lieux d’enfermement, sans la médiation des associations qui collaborent à l’intérieur ou de celle des flics.(…)Relayer la parole des retenus est un moyen d’estomper le flou entretenu autour de ces lieux et d’être au courant des luttes à l’intérieur, nous laissant la possibilité de les soutenir. C’est donc une source de motivation réciproque, qui brise le mur entre l’intérieur et l’extérieur et permet de se sentir moins isolés, dedans comme dehors. »
La démarche des auteurs de la brochure nous a particulièrement touché-e-s car nous estimons crucial de publier des témoignages de personnes directement soumises à un pouvoir sans que ceux-ci ne soient médiés ou filtrés par ceux qui l’exercent sur elles.
Mais surtout à la lecture de ces Paroles de retenus, nous avons été interpellés par le fait que près d’un témoignage sur deux fait mention d’un rapport avec le corps médical. « Sur 30 détenus y en a 25 qui sont cachetonnés. En fait même si on essaie de discuter avec les nouveaux arrivants pour qu’ils refusent de prendre certains médicaments, les médecins incitent la plupart des gens à en prendre. Ils leur donnent du Valium, du Semesta et des substituts de drogues. Certains veulent arrêter les médicaments, les médecins les laissent tranquilles un jour, puis leur redonnent un rendez-vous le lendemain pour leur refaire prendre des médicaments. Y’a rien à faire à part dialoguer entre nous. » On voit que, dès l’arrivée au CRA, les soignants prennent en charge les retenus.
« J’ai vu le médecin, il m’a donné des médicaments, je suis pas malade, mais il m’a donné des trucs pour être tranquille. »
« L’infirmière… bah franchement les infirmières elles donnent des cachetons, les mecs ils sont comme desf ous.Tout le monde réclame des cachetons, ils prennent des cachetons pour dormir, pour ça, pour ça, pour
ça…Ils sont fous ils sont accrocs à des… On dirait on est à la Colombie ou j’sais pas. Tous les jours les mecs ils avalent n’importe quoi, des cachetons rouges, des cachetons bleus, des cachetons jaunes… J’sais pas. »
« Le Valium tu vois, y’a des gens ils sont drogués avec le Valium, ils deviennent des toxicos… »
On constate, sans trop de surprise, que les médecins ont pour rôle d’écraser toute révolte potentielle en assommant les retenus, ce qui a pour conséquence d’en rendre certains dépendants aux somnifères, aux calmants, aux antidépresseurs… Alors que ceux dont l’état de santé nécessite un traitement, ne l’obtiennent pas automatiquement.
« Moi par exemple j’ai une grippe, je tousse très fort. J’ai demandé des médicaments, ils m’en ont pas donné, ils disent qu’y’en a pas, qu’il faut se les faire amener de dehors.Par contre si tu veux des drogues et des somnifères,là y’a pas de problème ils te les donnent très facilement, tout comme les calmants. En fait y’a pas de Doliprane, Aspirine, Fervex, tout ça pour soigner un rhume, mais y’a des trucs pour te calmer, pour que tu t’énerves pas, quand tu prends ça t’es sur une autre planète. »
« J’ai vu le médecin car moi j’ai une maladie, j’ai une hépatite B. Normalement il faut que je me soigne dehors, parce que j’ai mon docteur dehors, mais non ils veulent pas me libérer, c’est comme ça. En plus j’ai un régime alimentaire, parce que cette maladie elle attaque le foie, il me faut un régime alimentaire mais ils en ont rien à foutre de moi, ils me laissent ici crever, voilà. J’ai les preuves, j’ai les ordonnances, les prises de sang, j’ai toutes les preuves. Ils me donnent pas les médicaments, ils m’ont dit « on n’a pas ton traitement ». Alors je lui ai dit « tu peux me libérer pour que je me soigne, pourquoi je reste ici ? » Il m’a rien répondu. Ici y’a que des cachets, que des calmants, c’est tout. Si t’as besoin de calmants, de drogues, des anti-stress et tout, d’accord, si t’as besoin de ça, sinon à part ça y’a rien. » Pourtant les médecins ont le pouvoir de faire sortir les retenus sur simple avis médical:
« Moi deux fois j’ai été libéré par le médecin pour cause médicale, j’ai une broche au pied. Ça arrive souvent qu’il libère des gens sur avis médical. »
Mais ce que l’on constate c’est qu’en toute conscience, le plus souvent, les médecins ramènent les détenus dans leur prison : « Y’a trois mecs qui ont fait des tentatives de suicide en deux jours, ils les ont amenés à l’hôpital et ils les ont ramenés ici après une journée à l’hôpital. »
Alors que, comme le dit très bien un retenu, quand les conditions de vie sont aussi épouvantables que dans un CRA, la médecine n’y peut rien: « Moi, je vais pas voir le médecin, moi j’ai pas besoin de cachets, moi j’ai besoin de liberté, moi j’ai besoin de voir ma fille dehors. »
Que ne se montre-t-elle sous son vrai visage, collaboratrice active de la rétention d’individus qui sont enfermés pour la simple raison qu’ils ne possèdent pas de papiers d’identité…

L’intégralité de cette brochure, qui ne parle pas que du pouvoir médical, est lisible et téléchargeable sur ici.