Lire attentivement la notice

L’hôpital psychiatrique n’existe pas que par des murs, il y a une porosité entre intérieur et extérieur qui passe, entre autres, par la réappropriation constante de termes diagnostiques comme « dépression, névrose, TS… », par la préparation d’un terrain favorable labouré depuis l’enfance pour l’acceptation, le respect du savoir médical, la peur de la déviance. La psychiatrie est un pouvoir diffus qui transforme notre monde au nom d’un « bien être social » à grands coups de concepts vaseux et de pilules.
Ceci est une tentative d’exposer ce qui alimente ce pouvoir, ses moyens, ses fins. Comme souvent c’est en les comprenant qu’il est possible de se faire un peu moins écraser. En espérant que ce texte puisse servir à celles et ceux qui se retrouvent confronté-e-s à cet enfermement.

 

Du problème à l’HP

noticeCe qui amène à l’hôpital c’est, paraît-il, une maladie. Mais une maladie psy n’est pas une sorte de réalité qui préexisterait en dehors des personnes ou qui serait valable à n’importe quelle époque ou dans n’importe quelle culture. Ce qu’on appelle une maladie psy, c’est ce que d’éminents savants occidentaux ont réussi à mettre au point en quelques siècles de dissection de cerveaux humains. De l’hystérie à l’ancienne au borderline moderne, on a vachement avancé. Ce qui ne change pas, c’est qu’il y a toujours un monde social qui fabrique et impose une norme. Mais comme dans tout groupe face à toute norme, il y a toujours une possibilité de dévier du chemin. Ne pas le suivre ou ne pas le comprendre conduit à un comportement incohérent dans un monde qui prétend être cohérent, et cela crée une souffrance ou pas. Mais peu importe la souffrance ; si le comportement ou la perception de la réalité est différente, il y aura toujours des psys avec derrière eux la toute puissance scientifique pour diagnostiquer, enfermer, traiter et enfin stabiliser le « cas ». Leur action est à replacer dans le cadre du maintien de l’ordre social centré sur la norme. Il faut donc isoler chaque « cas » pathologique, agir dessus, en transformer l’identité pour qu’elle soit en cohérence avec le monde qui l’entoure. Le projet derrière ses aspects philanthropiques est bien celui d’une hygiène sociale. Il faut traiter le dysfonctionnement : pour ce faire une batterie de catégories existent, tout un tas de symptômes correspondant à des maladies qui, habillés d’effets et de mots, deviennent de plus en plus réels.

Mais comment la maladie passe-t-elle du savoir médical au malade ? Quand le psy le lui dit, tout simplement. On a l’habitude dans notre rapport à la médecine que les constats des médecins renvoient à une entité réelle. La grippe : un virus. Le cancer : les cellules qui s’emballent. Un rhume : les foins. Enfin bref, tout un tas de choses que l’on a vraiment l’impression de comprendre. Et puis quand on est malade, il est tout à fait normal d’aller voir le docteur – docteur c’est déjà rassurant. Pour le psy c’est pareil : la dépression c’est un dérèglement de la chimie dans le cerveau (d’ailleurs on peut maintenant faire une IRM (1) fonctionnelle et vous le montrer (2). Et même si tout ça vous paraît un peu compliqué « ne vous inquiétez surtout pas on va s’occuper de vous ». Le projet semble séduisant. Lors du premier entretien, première rencontre physique entre une personne prédisposée à croire les concepts médicaux et l’autorité psy incarnée, il s’agira uniquement d’actualiser, de donner son consentement à, l’exercice du pouvoir psy. Le soignant prend le contrôle, le consultant est devenu patient. Dans certains cas ce n’est pas si simple il faut quelques outils souvent violents pour que le dispositif devienne effectif. En effet comme la justice, la psychiatrie est un pouvoir qui a les moyens d’enfermer les gens et par- fois pour longtemps.

Quand le médecin pose un diagnostic, l’effet rassurant qu’il est sensé provoquer doit constituer le début de l’acceptation de l’identité de psychiatrisé-e, « je n’ai pas juste une fracture du tibia, je suis un fracturé du tibia, cela me constitue ». Il ne suffira donc pas de régler juste ce « problème », il s’agira de changer toute sa perception de soi pour sortir du problème, c’est bien là le projet fou de la psychiatrie. L’HP est le meilleur lieu pour y parvenir. On y arrive sans trop savoir comment ça se passe : « Bonjour, donnez moi toutes les affaires avec lesquelles vous êtes arrivé, on va les mettre en sécurité, en échange on va vous donner le même uniforme qu’à tous les soignés et une copie du règlement intérieur. Si vous ne voulez pas, très bien, ce sera dehors ou Hospitalisation d’Office (HO) ou Hospitalisation à la Demande d’un Tiers (HDT) ».

L’appropriation de sa nouvelle identité se passera pacifiquement si le patient est coopérant ou avec violence s’il ne coopère pas. L’obligation d’assistance à personne en danger sera toujours là pour justifier le recours à l’enfermement. Ensuite tout est rodé pour obtenir l’accord du patient : une ribambelle d’enfermements, de médicaments, d’électro- chocs mais « tout cela c’est pour votre bien ». Le but étant que vous quittiez la sale identité qui vous a amené-e ici pour prendre celle que l’on vous propose, elle est toute neuve, certes déjà portée par plein de « soignés » avant vous, mais elle a fait ses preuves, plein de gens la portent dehors et ne s’en plaignent pas. « Vous verrez, bientôt vous vous sentirez beaucoup mieux. Alors vous allez vous soumettre, ava- ler autant de médicaments que l’on jugera bon pour vous. Et surtout vous allez fermer votre gueule sinon on augmentera la dose et vous ne pourrez plus l’ouvrir du tout. »

Hé oui madame ça marche !!!

L’essentiel n’est pas de savoir si le dispositif fonctionne, mais comment il se met en place et quel résultat il recherche. Dès l’entrée dans l’institution, le traitement est administré pour assommer le « patient ». La prescription est ensuite réévaluée pour obtenir un patient calme, n’opposant pas trop de résistance, « stabilisé ». Le but recherché est le lissage du comportement. Quoi qu’il puisse devenir, il faut viser qu’une fois dehors le-la psychiatrisé-e ne dérange pas trop les autres, que personne ne soit obligé de s’occuper de lui-elle en dehors de tous les relais institutionnels. En ce sens les résultats existent, une fois bien traité-e, un-e psychiatrisé-e sera considéré-e comme un-e psychiatrisé-e « stabilisé-e ». Calmer quelqu’un-e en lui donnant à vie un traitement est une sorte de solution. Il n’y a pas de solution possible grâce à l’ HP, le seul choix étant de ressortir différent de comme on y est entré.

Ce constat doit être accepté par le patient lui- même et par son entourage. C’est là un autre travail de l’institution, faire comprendre que le processus est long et violent pour un résultat incertain. Du côté du patient la soumission est facilitée par les médicaments dont les effets sont très vite visibles. Les proches doivent aussi accepter la réalité que quelqu’un qu’ils connaissent, se transforme en patient calme en tenue uniforme. C’est là que le médecin joue son rôle, il « décharge » de la responsabilité de la personne « malade ». Le consentement n’est donc pas très dur à obtenir, même pour des traitements violents. Ce sont donc deux consentements qui sont donnés à l’institution : celui du malade et celui de la famille qui peut aussi servir, si le patient ne se soumet pas, en signant une HDT.

Et alors ?

Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de se confronter à l’institution psy. Il y a surtout des manières de s’en méfier. Un problème ou une souffrance quelconque ne peut pas se résoudre par une discussion entre amis. La solution si elle existe, reste une exception, la majeure partie des gens confrontés à ce type de problèmes se retrouve à l’HP. En niant la maladie mentale à proprement parler, nous ne pouvons nier pour autant qu’il existe des souffrances psychiques, des choix particuliers. A mon sens, aucune solution n’existe réellement pour y remédier, il y en a juste de moins pires. Il peut à tous nous arriver d’être confrontés à une personne qui va « mal ». Si le recours à la psychiatrie devient inévitable, il faut que ce rapport soit en conscience de ce qu’est cette institution. Le rôle des proches est primordial, il n’y a pas pire que se retrouver abandonné dans un l’HP rempli de gens seuls qui n’ont pas de visite et qui pourrissent là jusqu’à ce que l’hôpital ait besoin de lits. Le rapport à un enfermement doit toujours être de chercher une possibilité d’en sortir.

K.

Notes :
(1) « Le nom complet de l’IRM est en réalité IRMN, Imagerie par Résonnance Magnétique Nucléaire. (…) Cette omission vise essentiellement à ne pas effrayer les patients ». def. Wikipédia. (retour au texte)
(2) « Les troubles bipolaires : de la recherche à la pratique » émission du 03/02/2010, téléchargeable sur le site de RFI. (retour au texte)

Rencontres à la Titanik

Lors du week-end « La liberté est thérapeutique » des 25, 26 et 27 juin 2010 à Montreuil, nous étions invité-e-s à « venir voir des films qui parlent de l’institution psychiatrique mais qui parlent surtout de luttes contre celle-ci, à travers différentes expériences et lieux alternatifs et venir causer, échanger, vider notre sac, rigoler, gueuler, faire du réseau et pourquoi pas imaginer des projets et des luttes autour de cette thématique ».

titanikUne discussion spontanée a réuni des patient-e-s, des impatient-e-s, des ancienn-e-s patient-e-s, des futurs patient-e-s, des personnes qui se nommeraient autrement, et des personnes qui bossent pour l’institution psychiatrique.
Beaucoup utilisent encore : « soignant, patient, folie, maladie, souffrance… » et ces mots nous incitent à penser de manière médicale.
Des personnes ayant un vécu direct de la psy, ont témoigné de leur histoire. Toutes-tous ont exprimé de la frustration et de la colère contre l’enfermement, la psychiatrie en général, les salarié-e-s de l’institution, et ont évoqué leurs dépendances aux médicaments ou à d’autres substances (surtout le teush et l’alcool) qui peuvent être utilisées comme substituts lors de tentatives de sevrage.
Une personne a dit sa colère de savoir son be- soin irréductible de médocs qui l’oblige à se cogner des relations avec l’hôpital qu’elle hait, mais elle dit qu’elle n’a pas le choix, les médocs étant efficaces contre sa violence.
Un dialogue venimeux s’est établi entre un soignant qui justifiait sa pratique et d’autres personnes qui contestaient l’évidence de croire à l’efficacité de la psy et-ou d’accepter de faire ce taf. Une personne psychiatrisée en colère est partie alors que le soignant est resté.
Le lendemain, la discussion s’est poursuivie sur la proposition de ne pas évacuer le conflit de la veille. On ne peut pas considérer qu’il y ait une symétrie entre les soigné-e-s et les soignant-e-s.
Des personnes sont dominées par d’autres, il s’agit de s’attaquer à cette relation de pouvoir. La non-mixité (1) a été proposée comme un outil possible de réduction du rapport de pouvoir. Ce terme et cette idée ont suscité du débat : « c’est recréer un groupe stigmatisé » « mais on parle d’un besoin vital pour des personnes d’échanger sur un vécu difficile, et pas forcément facile à partager avec des gens qui n’ont pas vécu « tout ça » ». A l’inverse, une autre personne a parlé de notre « communauté de sort ». Une autre a dit qu’il fallait faire un syndicat des fous.
Beaucoup de personnes souhaitent la mise en place d’alternatives à la psychiatrie (lieux, ré- seaux). D’autres se placent plus sur un plan politique, en proposant de ne pas se limiter à une lutte contre la psy mais de s’inscrire dans un refus politique plus large de l’état et de ce monde, puisque l’enfermement par exemple ne tient pas que de la psy, c’est une menace qui pèse sur chacun-e pour nous contenir et servir la norme sociale.
Quelques groupes constitués étaient présents, beaucoup d’individus… Les personnes de l’Atelier du
non-faire de Paris sont venues nombreuses, elles ont un local où elles font sous forme associative de l’entraide mutuelle, de la musique, de l’écriture… Les Chamelles de Toulouse ont de nombreuses pratiques : création d’un groupe délire, échange d’adresses, projet d’édition d’une brochure d’infos sur les médocs, émissions de radio…

Encore merci à tout-e-s, les titaniké-e-s, araigné-e-s du plafond, agité-e-s du bulbe, les aliéné-e-s, et tou-te-s les autres pour ces trois jours ensemble !

SR

Notes :

(1) La non-mixité est une pratique féministe qui pose que la domination masculine nécessite la création de groupes uniquement féminins pour permettre une parole plus libre. Ici, cela signifie que des psychiatrisé-e-s et d’ex-psychiatrisé-e-s uniquement, se réunissent. (retour au texte)

Voir le blog : la-liberte-est-therapeutique.blogspot.com

Éructations monomaniaques…

… participant d’un délire organisé, caractérisé, dénotant une agressivité pulsionnelle à tendance paranoïaque s’alimentant d’une haine infondée des blouses blanches, leurs sbires, le monde dont ils participent…

« Les médecins gardent la folie pour eux, c’est leur gagne pain ». (1)

anemieD’aussi loin que je me sou- vienne, au cours de mes aller-retour entre hôpital psychiatrique dans les murs ou psychiatrisation à domicile par le biais de psychotropes et de rendez-vous médico-psy divers… il ne me semble pas que l’on m’ait jamais vraiment demandé mon avis sur les soins que je recevais. S’il m’est arrivé d’en être surprise à l’époque, aujourd’hui, je sais au- tant que je sens que « le patient a toujours, toujours été oublié » (2) et ce sentiment se confirme trop souvent. Particulièrement lorsque je vois ce que même les documentaristes prétendant s’intéresser à ce sujet de société poussiéreux pour le remettre à la mode (question d’audimat et d’actualité de réforme de santé oblige), se permettent en terme de prise de vues sans aucun intérêt, assorties d’une voix off destinée à tirer des larmes aux bons samaritains concernés par la douleur du monde, sans sur 1h10 de film donner la parole plus d’une dizaine de minutes aux psychiatrisé-e-s. Dans « Un monde sans fous ? » on entend en vrac des experts, des psys, des infirmières, des scientifiques de je-te-trifouille-le-crâne, des directeurs de grandes entreprises et même Marie-Anne Montchamps, députée UMP, à l’époque présidente de FondaMental, fondation qui récolte des fonds auprès de très grandes entreprises pour la recherche en prévention. De ce que nous pouvons bien penser de la manière dont on nous traite, pas un mot. Mais si ce tour de force – jamais habile, car l’idée est trop ancrée dans les crânes que nous ne pouvons avoir de parole intelligible ou digne d’intérêt sur ce que nous subissons – n’est ni neuf, ni surprenant, il mérite néanmoins d’être interrogé. Quelle place nous assigne-t-on lorsque nous entrons dans l’engrenage psychiatrique ?

Le pouvoir de contrôle, normatif et coercitif qu’exerce sur nous, individus, l’état au moyen de ses multiples institutions se critique avec autant de (bonnes) raisons à l’HP qu’en taule, à Pôle Emploi, à l’école ou à la maternité. Il va de soi que l’hôpital psychiatrique n’est en rien une entreprise philanthropique destinée à sortir de leurs cercles vicieux les hordes de schizophrènes qui nous menacent jusque dans nos chaumières, les délirants qui nous empêchent de lire peinards les « gratuits » dans les transports, ou les dépressifs ayant pourtant « tout pour être heureux » qui nous renvoient toujours un peu au fait que la vie est parfois d’une quotidienneté exténuante et qu’avoir trouvé une place dans ce monde et s’en satisfaire n’est pas forcément si gratifiant. Il arrive sûrement que l’HP, d’aventure et par hasard, sorte de son marasme un individu en peine, au même titre que la Foi fait parfois des miracles, bien que cela ne soit ni son pain quotidien, ni son but premier. L’HP, comme n’importe quelle autre institution, se destine à la remise dans le droit chemin d’une certaine catégorie d’individus. On envoie les enfants au bourrage de crâne, les valides au travail ou à Pôle Emploi, ceux qui débordent du cadre lé- gal sans s’être assurés d’avoir des potes assez haut placé, en taule, et les autres, ceux dont on ne sait pas bien quoi foutre, à la case pou- belle, au retraitement des déchets humains, au rafistolage des déjà-trop-usés-par-le-monde se faire refaire une identité viable : à l’HP.

Parce qu’il faut bien se dire qu’ « aujourd’hui une personne sur quatre traverse un épisode dépressif ou rencontre un problème de Santé Mentale. Que se passe-t-il si nous mettons entre parenthèse un quart de notre ressource humaine? » Je vous le donne en mille: « Nous nous disqualifions totalement de la compétition économique ». Comment vous dire, Mme Marie-Anne Montchamp, que lorsque je me souviens de ce que j’ai vécu enfermée entre quatre murs, de mes collègues d’internement détruits par des années de psychiatrie, qu’être une ressource humaine dans la compétition économique est le cadet de mes soucis ? D’un coup s’habiller en humaniste pour pallier le caractère destructif et pathogène d’un monde que l’on s’acharne jour après jour à rendre durable, rôle hautement noble que s’arrogent pourtant tous ceux qui prêtent le serment d’Hippocrate, la main sur le cœur, renvoyant au turbin chaque jour ceux qu’ils tentent de remettre moins bancals sur le chemin de la productivité, semble une démarche pour le moins frelatée. Votre histoire d’hygiène mentale, de là où je suis elle pue le moisi. « On met en place des ateliers pratiques hygiène de vie pour accélérer la réadaptation au monde du travail »(2). C’est entendu, l’HP n’est au regard de la santé publique qu’une sous-branche et fonctionne de la même manière, à ceci près évidemment que prendre du Smecta en cas de gastro n’a pas exactement les mêmes incidences que de se faire bouleverser la chimie du cerveau par des psychotropes parce qu’en l’état elle ne fonctionne pas comme elle devrait.

Capture d’écran 2014-05-28 à 17.25.19Enfin, d’aucuns ont des frissons de bonheur en imaginant les bonds de la psychiatrie de demain grâce aux progrès de la recherche : « le XXIe siècle sera celui des maladies neurologiques et de la prévention au niveau du cerveau » dixit le professeur G. Saillant, président de l’Institut du Cerveau et de la Moëlle épinière (ICM), fondation privée reconnue d’utilité publique, qui s’installe tranquillement dans l’hôpital parisien de la Salpêtrière où « 600 chercheurs devraient être réunis aux côtés des médecins et des malades, dans un bâtiment de 22 000m2 » lit-on dans DirectMatin du 29 avril 2010. Moi ce qui me fait rêver c’est la « cérébrothèque de 5 000 cerveaux du centre de ressource biologique du lieu ». C’est vrai qu’à gober toutes leurs drogues en vente libre, prescrites et distribuées en quantité colossale et me voir grossir, baver, perdre de l’acuité visuelle, être bouffée de dyskinésies faciales, avoir des montées de lait, ne plus dormir qu’à contre temps et fumer comme une psychiatrisée, je rêve d’aller servir de cobaye à leurs expériences sanitaires qui se racontent pour mon bien. J’adore l’idée d’aller usager leur service public de normalisation, de consommer leurs nouvelles pilules miracles, d’être cliente-objet de leurs lieux thérapeutiques, d’entretenir mon capital santé. Et peut être même qu’un jour j’irai aux Etats-Unis me faire poser un pacemaker cérébral. Comme une des patientes que l’on voit dans le documentaire, je pourrais dire « le quatrième jour on a trouvé le bon réglage, celui qui me convient réellement ».

Du long de mes cinq années de médication, je me rappelle avoir tenté, très souvent et trop souvent maladroitement d’arrêter mon traitement ; je voulais connaître, retrouver, découvrir la vraie moi, celle qui n’a pas besoin de se droguer pour supporter de vivre. Et lorsque je relis les quelques cahiers gribouillés, noircis lors de mes internements, je retombe sur des mots toujours trop semblables à ceux qui suivent : « J’ai très mal, bientôt vingt ans, des anxiolytiques, des antidépresseurs, des antihistaminiques, des somnifères, des neuroleptiques, un pilulier à faire pâlir un parkinsonien. Et rien à l’intérieur de moi qui ne soit déclenché par une réaction chimique à l’un des éléments, à l’une des molécules que j’ingère. Si j’oublie mes anxiolytiques, si je reste sans les prendre, alors j’ai un mal, un vide d’horreur, une demi-heure après la prise de mon demi-Rivotril, tout va bien. On me bâillonne. Mon état renvoie les soignants à leur impuissance : quand, comment, par quoi, par qui, pourquoi guérirais-je un jour ? Personne ne peut répondre à aucune de ces questions. Je suis un poids, un vide, un pourquoi. Tout est lent, triste et douloureux. (…) je ne peux même plus penser » (3). Arrêter de prendre des médicaments a été la meilleure décision prise par et pour moi depuis des années, et y parvenir ma plus jolie victoire, ma plus belle revanche sur ce que l’on avait fait de moi. Cela a été dur, long, solitaire, cela m’a pris plus d’une année, mais chaque chose que je sens aujourd’hui revêt un caractère authentique tellement rassurant. Alors comment fait-on lorsqu’il ne s’agit pas seulement d’arrêter de prendre des médicaments, comment fait-on pour s’arracher du corps un pacemaker cérébral ?

La dérive scientifico-rationnelle qui consiste à assimiler une altération des humeurs glandulaires cérébrales à la douleur de vivre produite par nos quotidiens ressemble à s’y méprendre aux tentatives d’expliquer le caractère vicieux des prostituées au XIXe par une ana- lyse de leur voûte plantaire. Rassurons-nous, bientôt on expliquera la vague de suicides sur le lieu de travail depuis une quinzaine d’années par une déficience hypothalamusmatique ou une mauvaise texture du liquide rachidien. Mais grâce à FondaMental, on évaluera tous nos désordres, tous nos dysfonctionnements lors du diagnostic préimplantatoire et les embryons n’ayant pas la bonne couleur d’yeux se- ront aspirés à la pipette comme ceux présentant des risques de schizophrénie. Et ceux qui seront passés entre les mailles du filet seront détectés sur les bancs de l’école primaire par Dominic (4), voire à l’âge de trois ans en maternelle. Enfin tout rentrera dans l’ordre.

Avant d’en arriver là, il va falloir continuer à reconditionner tout ce petit monde d’anormaux, continuer au moyen de médocs de « réduire le caractère bruyant du trouble des patients »(5).
Heureusement, aujourd’hui déjà l’institution psychiatrique fonctionne à merveille dans son recyclage des fous, inutiles, déviants, ou aberrants dans son système, en soustrayant toutes ces folies mal intégrées au regard des normaux pudibonds avec leur bénédiction… Une fois admis en psychiatrie, sous la domination, la surveillance des blouses blanches, une fois en leur pouvoir, nous, psychiatrisé-e-s, allons pouvoir leur offrir une raison d’être, les justifier au monde, participer à la croissance délirante de l’industrie pharmaceutique dont les miettes qu’ils ramassent sous forme de pinces-fesses et petits fours semblent les satisfaire, tout en les habillant de l’aura de ceux qui n’ont pas peur de mettre les mains dans la merde pour sauver trois pelés, deux tondues qui n’ont même pas toute leur tête. Espérant en sus, mais toujours humblement et modestement, révolutionner le mal de vivre en le localisant physiquement. L’arnaque est bien assez énorme pour passer aux yeux des plus normés que normés.
Mon mal de vivre ce monde ne se soigne pas, ne guérit pas, ne s’aménage pas, jamais.

« Je me sens mal et bien à la fois, douleur de la neutralité étendue à tout mon corps, je n’ai ni faim, ni soif, ni froid, ni chaud, heureusement que ça me gratte de temps en temps sinon ce serait mortel… »(6)

C.

psypourchiensNotes :

(1) J’emprunte cette phrase à M. Iglesias, factotum électricien de Ville-Evrard, grand hôpital psychiatrique de la région parisienne. Cet « homme à tout faire » est le seul dont on ait l’impression qu’il fait preuve d’un peu d’intelligence humaine dans le documentaire « Histoires autour de la folie » au milieu de la cohorte de personnel soignant interviewée sur l’histoire de cet hosto. (retour au texte)
(2) Idem. (retour au texte)
(3) Extrait de textes écrits lors de mes internements. (retour au texte)
(4) Le Dominique Interactif est un questionnaire informatisé auto-administré à des fins de dépistage des problèmes de santé mentale des enfants de 6 à 11 ans, qui donne en 10 à 15 minutes une lecture des tendances de l’enfant aux sept problèmes de santé mentale. Cf. « Quand Dominic nous nique », L’Envolée n°17. (retour au texte)
(5) Dans le documentaire sur Ville-Evrard, « Histoires autour de la folie », on trouve plus de psychiatres décomplexés que de factotum humainement intelligents. Ici preuve par a+b. (retour au texte)
(6) Extrait de textes écrits lors de mes internements. (retour au texte)

Limite, reine de l’asile

La limite dans mon corps

La limite dans mon crâne

C’est ma condition d’aliénée

limiteDans ce monde chaotique, bien avant que l’administration psychiatrique n’ait même vent de mon cas, souvent, seule dans la foule, j’avais mal. Mal au cœur, au corps, à la pensée, à la tension entre monde extérieur et monde intérieur. C’est dans mon corps que je souffrais de cette tension infernale puisque le corps est l’interface, puisqu’il est celui qui trahit, celui dont je n’arrivais plus à maîtriser la crispation spasmodique de la mâchoire, la boule qui se nouait dans ma gorge, l’air soucieux, l’envie délirante de dire stop, j’arrête je ne peux plus faire un pas, plus un mouvement sans lui accorder toute mon attention, toute ma concentration, toutes mes ambitions, sans y mettre toutes mes forces… Mais cette limite de mes forces, comment ne pas l’éprouver dans l’état d’épuisement physique et psychique dans lequel j’étais travaillant quatre jours à la fac et les trois autres pour un patron. Sans un jour de repos pendant près de neuf mois…

Alors il y a quatre ans, un après-midi de juin, j’ai voulu quitter ce monde. “ Pourquoi ? Mais tout simplement parce que je l’ai voulu. ” reste j’en suis sûre la seule réponse que je puisse vous apporter en toute honnêteté et la seule que vous ayez à accepter. Et c’est la raison pour laquelle je ne m’étendrais pas longuement ici sur les désirs profonds de ma TS, doux euphémisme médical entré dans le langage courant. Alors, la journée finissante, dans ma petite salle de bain, au dessus de l’évier devant un miroir d’une franchise éreintante, j’égrène et j’avale… les carcasses d’opercules s’accumulent par terre. Quand le SAMU arrive je suis encore consciente, je monte dans le camion, je réponds aux questions : quoi, combien, des mélanges, il y a combien de temps ? Et plus rien…

Quand je me réveille c’est chaud, je suis bien, je veux rester où je sens, mais on me tire les cheveux, près de la nuque, on essaye de me redresser, moi, je ne veux rien savoir, rien sentir, je veux juste que l’on me laisse tranquille, et puis surtout je n’y arrive pas, je ne comprends rien, je suis perdue. Je ne sais pas où je suis, j’entends confusément du bruit, mais rien, rien ne se connecte, j’essaye de secouer mon appréhension du monde mais le gouffre est là, je sais juste que je ne comprends pas. Et puis on me presse les joues pour m’enfourner de force quelque chose dans la bouche, la purée dans laquelle je suis vautrée. De guerre lasse. Il n’y a vraisemblablement absolument rien à tirer de moi, plusieurs personnes me soutiennent jusqu’à un lit qui a du m’être attribué, je ne sais toujours pas où je suis, qui sont ces gens, mais je me replonge dans le sommeil comme dans une nécessité impérieuse.

Première prise de conscience. Maintenant commence la définition de mes limites en tant que soignée, malade, patiente, par le lieu même dans lequel je suis. Le plus généralement une chambre, qu’il m’arrive de partager, une salle fumeur où je passe le plus clair de mon temps, un réfectoire et un jardinet clôt. La porte de ma chambre a un hublot, elle ne ferme bien sûr pas de l’intérieur et quand les volets ne sont pas bloqués en position baissée de toute façon je peux à peine entrouvrir la fenêtre pour des raisons de sécurité. Il y a aussi tout un tas de portes fermées, on y remise tout ce dont je pourrai avoir besoin et auquel aucun d’entre nous (les fous à gérer) n’a jamais accès sans un tiers de l’administration. Les serviettes hygiéniques taille obèse incontinent quand j’ai eu le malheur d’avoir mes règles. Les draps, les savons, les dentifrices, les couvertures, le shampoing, nous n’avons accès à rien de tout cela. Nous n’avons accès à rien de toute façon. En tenue bleue, les maigres effets que nos proches ont réussi à faire tenir dans une valise nous sont donnés à titre de récompenses. Comme, après au minimum une semaine “ d’alitement ”, l’éventuel droit de sortir dans le jardin extérieur, de faire une à deux fois par semaine une médiation peinture sur soie (collection Asile, été 2005). Donc la possibilité cruciale pour moi de m’échapper une petite heure en courant vers le tabac pour la clope et le timbre, courir ensuite jusqu’à la boite aux lettres à l’autre bout des bâtiments et revenir essoufflée pour la prise de médocs. Il y a aussi la porte fermée de la chambre d’isolement avec souvent quelqu’un dedans qui tape et crie. Les infirmières elles-mêmes se remisent dans une salle aux vitres floutées dont la porte s’entrouvre à peine sur un sec et bref “ oui ” excédé quand nous avons assez frappé assez longtemps, bien humbles devant leur pouvoir parce qu’on en peut plus de tout ce qui se passe dans notre corps sans réponse.

La limite, depuis quelques jours, je l’éprouve aussi dans mon corps. Depuis mon arrivée en effet, je passe trois à quatre fois par jour au sacro saint rituel de la prise de médicaments, des petites pilules roses, bleues, blanches, des gouttes bien dégueux, amères, auquel il faut se plier avant chaque repas, ouvrir le bec, déglutir, dire merci. La dépendance est dans le rituel, moi je n’ai plus qu’à observer. Observer car je ne ressens plus rien, mais alors qu’est ce que je peux avoir soif. On nous donne des gelées aromatisées immondes une fois de temps en temps sinon c’est la tête dans le robinet des douches-chiottes. Que je commence à fréquenter vraiment souvent, 20 à 30 fois par jour des fois pour boire et uriner. Jusqu’à se faire rencarder par un vieux qu’à la cuisine on peut demander des bouteille d’eau minérale. Eux, ils s’en foutent, ils savent très bien que ça va passer, ils laissent pisser, sans même aller jusqu’à expliquer que c’est “ normal ”. Et c’est vrai que ça passe, c’est la première semaine qui est vraiment dure. Est-ce que c’est vraiment rassurant de savoir que mon corps s’habitue à quelque chose d’aussi fort. Non, évidemment. Après, il y a toute la cohorte d’effets des médicaments que les médecins appellent “ effets secondaires ” et parfois dans l’intimité, “ dommages collatéraux ”. C’est vrai qu’au vu de l’abolition de tout esprit critique et de toute forme de résistance qui est l’effet recherché, les autres effets ne peuvent être que secondaires. Pour moi ce sont des effets tout courts qui s’impriment dans mon corps et mon crâne à chaque instant. Les montées de lait, les tremblements, la prise de poids, les crispations de la mâchoire, dormir le jour et pas la nuit, se mettre à fumer… et j’en passe dans les effets purement physiques, car les effets psychiques ne sont pas moins dévastateurs même et surtout parce qu’ils sont les effets recherchés par les blouses blanches.

L’HP condamne à vivre une vie impossible à aimer.

Dans mon crâne, tout s’anesthésie, je ne lis plus, je ne pense plus, je ne réfléchis plus, je ressens. Je ressens le vide, le néant. Alors bien sur, je ne me révolte plus contre ma condition d’aliénée et je vais en obtenir des bons points : un stylo, une feuille, un pull que j’aime pour mettre au dessus de ma tenue. Mais surtout j’en conçois un dégoût de moi à peine imaginable. Dans ce monde terne, moche et hostile, je n’ai rien pour nourrir ma tête, pour nourrir mes rêves et je deviens à l’image de ce monde une carcasse vide, sans envie, sans projets, sans ambition pour la vie à venir. Je meurs à l’intérieur. Et personne avec qui en parler, avec qui parler tout court, avec qui échanger n’importe quoi, ça fera l’affaire, un mot, une idée, une pensée, un bête souvenir… Car mon monde social aussi est clos Le monde dans lequel je vivais avant mon “ admission ” à l’HP n’a plus accès à moi ni moi à lui depuis que je suis en- fermée. Les visites, comme les appels des proches sont très réglementées et pour ce qui est des lettres il faut se débrouiller seul pour les faire sortir. Mon monde se réduit donc surtout à l’intérieur de l’hôpital, aux patients que je n’ai pas le droit de fréquenter et auxquels je ne dois surtout pas me confier. Dans le rapport idéal voulu par les soignants, il faudrait que toutes les souffrances autour de moi me soient neutres et sans intérêt et que je n’aie moi-même qu’une envie quand je souffre : aller frapper à la porte des infirmières. Dans n’importe quel HP, jamais une patiente n’a le droit ne serait-ce que d’inviter une autre fille dans sa chambre pour discuter (sauf dans le cas bien sûr où elles partagent cette chambre double). La seule salle pour se retrouver sans les soignants c’est la salle fumeur (qui n’existe même plus dans certains hôpitaux, merci Evin), alors je me suis mise à fumer. Mon alibi pour un tout petit-petit lien de sociabilité, pouvoir parler en tête à tête avec une copine, enveloppées dans le brouhaha et le nuage de fumée ambiant, interrompues sans cesse par quelqu’un qui demande une clope. L’HP ça coûte cher en clope parce qu’il n’y a que ça à faire et qu’il est en général interdit de fumer des roulées. Quand à parler aux infirmières que je n’entraperçois qu’à l’heure des médocs et aux repas cela n’a rien de très engageant. La médecin de garde, pour ce qui la concerne, n’est visible que le vendredi matin. Sans rendez-vous il nous faut attendre devant sa porte avec dix autres désespérés toute la matinée qu’elle veuille bien sortir pour l’interpeller car tout passe par elle, clope, sorties, activités, traitement, téléphone, visite… Tous les rapports interindividuels sont faussés par des enjeux de pouvoir disproportionnés ou des conditions voulues insupportables.

Mais ces contraintes ne sont là en réalité que pour faire accepter à la masse bleue que nous sommes, une réalité bien plus terrible, une réalité essentielle et que nous n’avions pas forcément vue de nous mêmes : nous sommes malades. C’est dans notre être, c’est la chimie dans notre cerveau qui est déréglée et de ce fait nous devenons des incapables majeurs et toute notre identité doit se fonder là-dessus : nous sommes malades, patients, soignés, schizo, mytho, maniaco-dépressifs, bipolaire, angoissés, suicidaires en sursis… Et c’est pour cela qu’il est impossible de se construire contre l’HP, parce qu’il nous faut admettre que nous en avons besoin, parce que de gré ou de force nous devons accepter leurs lectures de nos “ symptômes ”, nous devons être partie prenante de leurs méthodes thérapeutiques si nous voulons sortir de notre marasme. Il n’y a qu’un moyen de guérir : le leur. Moi qui n’étais malade que du monde dans lequel je vivais, alors que ma tentative de suicide n’avait été qu’une réaction, on m’a persuadée que j’avais telle maladie et que le traitement à suivre était celui que l’on m’imposait, pour mon bien. L’identité de dépressive m’a collé à la peau plus de quatre années durant. Qui peut s’épanouir, avoir des projets, des ambitions quand il se reconnaît lui même comme malade, comme limité par essence, limité par la maladie, par le traitement, par le lieu dans lequel on lui dispense les soins. Si l’hôpital a les moyens de sauver in extremis la petite vie usée dont nous ne voulons plus, en revanche il n’a pas les moyens de nous guérir. Contrer une tentative de suicide c’est facile en abrutissant les gens de médicaments ou en les enfermant jusqu’à qu’ils se calment dans des cellules d’isolement, mais guérir les douleurs, prendre soin des individus (rendus) fragiles, parler, sortir quelqu’un de sa solitude et de ses cercles vicieux, le système psychiatrique en est incapable. La psychiatrie institutionnelle ne sauve les gens que parce qu’elle a des gardes-chiourme, des murs, des camisoles chimiques à sa dis- position. L’HP condamne à vivre une vie impossible à aimer. Il s’en suit trop fréquemment que ce système nous prend complètement ce droit de vivre nos vies comme nous l’entendons.
Il arrive que la seule issue pour échapper à sa mainmise soit de partir les pieds devants. A dix huit ans, enfermée dans ce monde que l’on m’imposait, j’ai dû faire face à la mort d’un collègue du pavillon 61 qui a avalé du vert pilé. En revenant d’un week-end de permission à la FSEF (fondation santé des étudiants de france), nous avons appris la pendaison d’un autre jeune, auquel nous parlions trop peu. Moi, lorsqu’ils m’ont re- trouvée, ils se sont empressés de me détacher, de faire venir le médecin de garde, de m’abrutir de médocs et de procéder à un transfert en urgence. Je me suis réveillée de cette absence totale qui a suivi de façon très immédiate la prise du “ si besoin ” dans une chambre hermétiquement close et inconnue.
Après cet attentat à la norme occidentale qui voudrait que la mort ne soit et ne puisse être qu’une fatalité à redouter, je me retrouve plus que jamais enfermée, dans une cellule d’isolement, seule, punie en quelque sorte, et condamnée à réfléchir en boucle à ce qui m’a amenée là. En chambre d’isolement j’étreins la limite parce qu’il n’y a qu’elle pour ré- pondre à mes cris, à mes coups sur le plexi du hublot de la porte blindée…

“ Prendre mon mal en patience 1⁄2 heure durant encore. Miss bottes cavalières a décidé que je ne sortirai qu’à partir de 10 heures. Avec personne pour me surveiller apparemment. D’ordinaire personne ne me surveille ou alors très discrètement. Je n’en peux plus d’être en isolement. Ils sont de nouveau en retard et moi, je ne sais pas pour combien de temps, quelques minutes, une heure, un oubli total ?… on ne sait jamais vraiment et c’est cela le pire. C’est cela l’affreux. Enfermés, dépendants du bon vouloir de celui de l’extérieur, de celui qui a la clef pour la douche, la clope… tout. Et aujourd’hui c’est une vraie salope…”*

*Extrait d’écrit tenu pendant mon internement.

C.

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On s’occupe de tout

Mon voyage en psychiatrie

On arrive jamais seul(e) à l’HP, on y est amené, il faut bien qu’il se soit passé quelque chose pour que tout le monde ait la même idée. La psychiatrie a souvent besoin de l’assentiment des “patients”, mais aussi des “proches”. C’est par là qu’elle trouve une prise dans le monde social et qu’elle s’impose comme la solution unique aux maux de la tête.

onsoccupedetoutEn tant que proche, une hospitalisation en psychiatrie, quand elle passe par l’hôpital de secteur, est quelque chose qui se passe dans l’urgence, de l’ordre du réflexe de survie. On ne m’a pas laissé le temps de réfléchir à l’internement, l’administration ne laisse pas ce choix.

Mais c’est aussi un moment d’une extrême simplicité, un jour un danger de mort, trop de médicaments donc téléphone, pompiers, SAMU puis urgences, hôpital de secteur. C’est les seuls moments où il est possible d’être présent. L’arrivée à l’hôpital c’est la fin, ensuite “ on s’occupe de tout ”. Le “on” de l’administration est toujours angoissant à entendre. Puis l’attente se substitue à l’urgence, puisqu’il faut attendre, rentrer chez soi, attendre que le médecin de garde “la” voie puis qu’il préconise la venue du psychiatre, de garde, évidemment.

Tout se passe dans le plus grand secret. Plus moyen de parler à la personne avec laquelle on est venue. Et comme par enchantement sans aucune sommation le lendemain “ah, non, elle n’est plus ici, elle a été déplacée vers l’unité psy dont elle dépend. Attendez je vais voir, mais d’ailleurs vous êtes qui ? son petit ami, bon, c’est Maison Blanche à Neuilly plaisance, pavillon 61”. Donc transport RER, 45 minutes puis ville glauque de banlieue, j’apprends entretemps qu’en fait tous les hospitalisés en psy de Paris sont re- groupés dans le grand hôpital de Maison Blanche dans des pavillons dont ils dépendent selon leur arrondissement d’origine. Long périple à la suite duquel je me retrouve devant un vieux bâtiment fin XIXème avec un parc immense dans le- quel sont dispersés les “pavillons” par arrondissement. Donc pavillon 61, ok, tiens un préfabriqué vieux de trente ans, voilà j’y suis. La porte est fermée évidemment pas question de ren- trer plus facilement que de sortir, une infirmière “vous voulez voir quelqu’un, ce n’est pas l’heure des visites…”. Dans les hôpitaux psy il y a quelques ritournelles dans ce genre, “c’est pas l’heure des visites” ou “vous n’avez pas le droit de la voir” ou “elle n’a pas encore le droit aux visites” , bref un ensemble de formules qui se résument à “ oui, oui, elle va bien, ne vous inquiétez pas ”.Parce que justement les visites sont un droit qui se gagne.

C’est à peu près à ce moment que je commence à me rendre compte de ce qui se passe. Pas d’autorisation de visite ni d’appel téléphonique pendant au moins une semaine. Donc impossible de savoir ce qui se passe, on peut imaginer vu l’aspect extérieur du bâtiment les conditions de vie à l’intérieur et ce n’est pas rassurant. Donc voilà le principe : quand tu ne vas pas bien on te met dans un endroit bien pourri duquel tu ne peux pas sortir. A première vue on ne comprend pas bien la logique qui préside à cet enchaînement.

C’est là qu’il faut être perspicace, en réalité c’est le lieu où le pouvoir médical s’exerce. Il y a trois parties qui jouent là dedans : premièrement la personne hospitalisée ou future malade, puis les proches qui souvent l’ont amenée à l’hôpital, et enfin la cohorte de médecins, d’infirmières et autres commis de l’administration. Ces trois entités jouent un rôle dans l’enfermement, et l’hôpital est leur lieu de rencontre. Pour la personne hospitalisée ça va très vite des urgences à l’isolement. Rapidement la tête est encombrée par les médicaments largement en surdose à l’arrivée. Le but est que la personne reconnaisse le plus vite possible le caractère évident de la maladie, pour qu’elle accepte ensuite tous les processus de guérison qui vont lui être imposés. Cela passe par un ensemble d’ajustement de prescription, de droit de visite, de droit de sortie. Mais aussi, en fonction de la raison qui vous a amené là, par le rationnement des cigarettes, des pièces pour la machine à café et pour certains par le régime alimentaire ou la place à laquelle s’asseoir dans le réfectoire. Tout dépend de réglementations du médecin, et pour certaines choses de l’initiative des infirmières (c’est par là que l’arbitraire des règles devient réel). Cela s’inscrit de toute façon dans l’ensemble des mesures thérapeutiques supposées amener à la guérison, donc pas moyen de refuser car cela voudrait dire refus de traitement et “Vous voulez guérir, non ?”. Le protocole est simple et toujours
 le même. Dès l’arrivée, plus de contact avec le milieu extérieur : cela passe par les visites qui sont données en récompense, et toutes les affaires personnelles qui sont retirées à l’entrée dans l’hôpital puis redistribuées en récompense du bon comportement du malade. La personne se retrouve donc en tenue bleue identique à celle de tous les autres patients sans aucune des affaires avec lesquelles elle est arrivée. C’est là que démarre l’appropriation de sa nouvelle identité de “malade”. Cette identité forcée doit intégrer la négation de celle qui vous a amené à l’hôpital, le but avoué étant de changer la personne dans la représentation qu’elle a d’elle-même. Il ne s’agit pas de vouloir effacer les traces de l’ancienne personne que vous étiez, il faut conserver en mémoire les erreurs passées pour pouvoir reconnaître l’utilité des changements. Bref, une repentance médicalisée aidée par la chimie.

Une fois la prise des médicaments entamée, la dépendance à l’institution commence puisque même si le statut de l’hospitalisation est libre il n’est rapidement plus question de sortir de l’hôpital sans prescription. La parole du médecin devient donc un préalable à toute sortie, il est là pour rappeler que la maladie se soigne et qu’il faut juste du temps, qu’il n’a d’ailleurs généralement pas lui-même pour voir “ son ” patient. Trop souvent vu dans les hôpitaux psy : le médecin qui passe dans le couloir suivi de patients qui lui demandent un rendez vous ou une autorisation de fumer, de sortir ou n’importe quoi d’autre. La méthode de cet enfermement est particulière car elle requiert l’assentiment de la personne enfermée. Pour sortir il faudra reconnaître l’utilité de l’hospitalisation, assentiment plus ou moins volontaire qui s ’apparente à une sorte de rédemption forcée.

Le même discours médical est asséné aux proches : “vous voulez qu’elle guérisse bon alors vous voyez bien qu’elle va mieux ici”. Aller mieux est un concept assez flou dans la bouche des médecins, ça veut souvent dire pas de suicide pas de délire et surtout pas trop faire chier le personnel soignant. Il faut aussi faire accepter aux proches l’évidence et la dangerosité de la maladie, c’est le seul moyen d’imposer la réalité psychiatrique. Le moyen le plus sûr pour que cette parole soit entendue c’est de faire porter la responsabilité du danger sur les proches. J’ai entendu une fois un médecin dire, alors qu’on ne voulait pas la laisser à l’hôpital, “ce sera de votre faute si elle se tue, si vous partez avec elle vous en prenez la responsabilité”. A partir de là, l’institution se donne une grande latitude en terme de traitement et de sévices de toutes sortes, puisqu’elle a l’accord tacite des proches de la personne enfermée. Cela fonctionne très bien car devant l’impossibilité de sortir quelqu’un de sa souffrance on est prêt à laisser faire plus qu’à croire que leur solution est la bonne. Je me suis retrouvé sans comprendre à être l’acteur de cet enfermement, à faire partie des “visites”, à être celui qui vient de dehors. Et petit à petit j’ai fini par laisser faire en attendant qu’ils la changent, qu’ils la transforment, qu’elle puisse arriver à vivre dehors. En réalité on ne peut jamais savoir jusqu’où la dépersonnalisation ira. Mais ce qui est sûr c’est qu’un jour je me suis retrouvé à comprendre que j’avais moins de chose à partager avec elle de sa nouvelle vie que ses co-hospitalisés. A ce moment là, je me suis rendu compte que le monde de l’hôpital est complet, c’est à dire qu’il comprend ses espaces de lois, de règles, et ses brèches. Le tout cimenté par les rapports d’autorités “soigné-soignant”.

Malgré mes visites régulières j’étais absent de ce monde , je n’étais pas soumis au même ordre. L’institution psychiatrique sépare les moments de la vie d’une personne et sépare aussi les rapports de la vie du dedans et de la vie du dehors. C’est en rendant cette séparation réelle que le “patient” rentre dans sa nouvelle peau de malade plein de potentialité de guérison, terrain de jeux des psy and co.

Le ressort n’est pas très compliqué, il fait juste intervenir le discours vrai du médecin, le discours sur la personne hospitalisée: “ je vous dis que cette personne a telle maladie et pour la guérir il faut tel enfermement tel abrutissement par les médicaments etc ”. Le médecin est le seul à avoir le droit de porter ce jugement et il est le seul à pro- poser une solution. A partir de là, plus de problème ils font ce qu’ils veulent.

K.

C’est volontairement que je ne fais pas de distinction entre les trois types d’hospitalisations : hospitalisation libre (HL), hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et hospitalisation d’office (HO). D’une part la très grande majorité des internés est en HL, et cela ne signifie pas forcément la possibilité de sortir, même si une personne en HL a plus de chance de se faire écouter dans son désir de sortie que les deux autres, parce que les médecins ont moins de pouvoir sur une personne en HL que sur une personne en HDT ou HO. De plus, le même processus est en œuvre avec tous les hospitalisés (ce qui distingue le plus les trois statuts c’est surtout la manière d’arriver dans l’institution, après le pouvoir médical s’exerce de manière quasi-uni- forme). Il me semble que si les trois statuts existent, c’est simplement pour pouvoir faire tomber dans le champ de la psychiatrie des personnes qui sont à différents endroits du monde social. On a plus de chance de se retrouver en HO si l’on vit seul ou à la rue qu’une personne en milieu familial qui elle sera hospitalisée selon l’état d’esprit de ses proches en HDT ou HL. Le fait est que d’une manière générale l’institution fait peu de cas de l’envie de ses hospitalisés, car elle sait mieux qu’eux la raison de leur mal-être et les moyens d’en sortir.