Préambule n°3

  • Sans Remède est composé d’une équipe d’anti-professionnel-le-s de la santé qui rit parfois malgré son sérieux.
  • Capture d’écran 2014-05-28 à 03.19.26Sans Remède est un journal sur le système psychiatrique, alimenté par des vécus, des confrontations et des points de vue, dans une perspective critique.
  • Sans Remède ne voit pas de victimes dans les hôpitaux, mais des psychiatrisé-e-s. Nous sommes des individu-e-s avec leurs histoires, leurs aliénations, leurs souffrances,
    leurs plaisirs, leurs combats, jamais de symptômes.
  • Sans Remède n’est pas radicalement contre la prise de médicaments, mais se pose la question du pouvoir médicamenteux. Nous sommes contre l’usage excessif et systématique du médicament.
  • Sans Remède parle d’enfermements, du pouvoir psychiatrique et de ses effets, autant dans les murs qu’en dehors. Ce pouvoir n’est pas que le fait des médecins, il nous implique toutes et tous. Il requiert notre acceptation de manière douce ou violente.
  • Sans Remède ne propose pas de critique constructive pour penser un nouvel enfermement psychiatrique. N’importe quel soutien apporté à l’autre ou rapport de soin devient critiquable dès qu’il s’institutionnalise. Il ne s’agit pas de réinventer l’hôpital ou un quelconque lieu de soin.
  • Sans Remède n’est pas qu’un journal papier, c’est aussi une tentative de s’organiser ensemble pour éviter le plus possible d’avoir recours à l’institution.
  • Sans Remède ne laisse pas de tribune aux membres de l’institution psychiatrique, car d’autres moyens d’expression sont à leur disposition, au service de ce pouvoir.

Face à la psychiatrie et au monde qui va avec, il s’agit de travailler à sa destruction. Dans l’intervalle, il s’avère nécessaire de se défendre et de s’organiser.

Sans solution.

En contrepoint à ma vie d’anonyme

Le délire.
contrepointDans le jargon médical, B.D.A : Bouffée Délirante Aiguë. On parle aussi beaucoup d’ »épisode ». épisode délirant, épisode psychotique. Il s’agit du moment où l’on « pète un plomb », où l’on largue tout – quotidien, rationnel, normalité – pour voguer, en général à vive allure, vers l’irrationnel. Vers ce qui nous manque, sur nos territoires vidés de toute idée de magie, débarrassés de tout mysticisme, sur nos territoires cherchant à éradiquer toute idée de collectif, de cohésion, abjurant tout projet de révolution ; alors on s’en charge, on s’en charge si fortement que l’on arrive à genoux, pliés sous le poids des symboles, à la porte des hôpitaux. Souffrant terriblement, ou euphorisant jusqu’à la lumière, ne demandant qu’à parler, qu’à se vider, qu’à être suivis, ne demandant rien d’autre que de partager toute cette nouvelle science. Seulement, le docteur n’est pas là pour nous suivre. Il est là pour nous ramener dans son désert.

Selon ma psychiatre « commis d’office » de l’hôpital, mon diagnostic fut celui-là : « épisode psychotique aigu ». Personne ne m’a donné de drogues, de champignons, je n’ai rien fumé, rien pris. J’ai commencé par faire des insomnies ; j’avais entrepris de tout regarder, de tout remettre en question. Je me sentais neuve. C’était l’été, il faisait beau, les gens étaient ouverts, souriants, détendus. Prêts à partager avec moi ces découvertes. Au fur et à mesure de mes nuits presque blanches, je me sentais de mieux en mieux, désinhibée. J’étais quand même bien consciente qu’il me fallait me reposer : je suis allée acheter des capsules de valériane, qui puaient la mort – mais qui étaient censées me faire dormir. J’ai remplacé le café par de la tisane, le thé de l’après- midi par du tilleul : rien n’y a fait. J’essayais de calmer ce sentiment que je qualifiais déjà d’« euphorie », mais j’étais allée trop loin. Après quelques nuits où je ne dormais plus que trois ou quatre heures, je n’ai plus dormi du tout. Un ami était avec moi, m’écoutait : je commençais à monologuer, tout m’inspirait, tout prenait du sens. Le délire avait commencé.

En contrepoint à ma vie d’anonyme, d’inconnue sans importance diluée dans la ville, au fait que « rien ne change que je sois ici ou pas », j’ai opposé ma soudaine et cruciale nécessité. Cette fois, je compte, je suis venue sauver le monde, pas moins que ça. L’égocentrisme éclot brusquement dans le délire. Le symbole, le rite retrouve son importance.
Je ne vais pas chercher à résumer ici ce délire qui fut le mien. Trop complexe, touffu, et trop de détails ne renvoient qu’à ma propre histoire. Néanmoins, je peux tenter d’en livrer une petite photographie, un « flash ». Non pas un morceau de cet éclair qui m’électrisa plusieurs jours, car l’éclair a disparu, l’orage est passé. Mais un essai de reconstitution de sa lumière.

Le jour se lève sur la Nationale 20. Je suis de la nuit, comme ceux que je croise. Il y a les gens de la nuit, et les gens du jour : ceux qui nous empêchent de vivre sont ceux du jour. Ceux de la nuit les font vivre : ce sont des Noirs, des Arabes, qui vont ou qui reviennent du travail. Je croise un laveur de carreaux, avec qui je ris beaucoup et qui me dit que j’ai raison, en tout. Il prend mon téléphone, le réseau est en train de se faire. La révolution est en marche. Je sens que bientôt, je conduirai la révolution à travers les rues de Paris, je chante les slogans que tous se réapproprieront, je marcherai nu-pieds ; et si j’étais la messie ? Je me sens infiniment bien, je suis en train de TOUT comprendre. Tout s’enchaîne, je ne mange plus, je ne bois plus, je vais bientôt donner naissance à une nouvelle race, sans estomacs ni viscères, une race sans dedans visqueux, sans trace de sang poisseux, une masse de chair. J’ai des pouvoirs, que je vais apprivoiser, je me sens légère ; je m’allonge par terre et guette l’avion qui explosera, chargé de mon père : est-ce pour cela que j’ai si mal ? La terre va brûler ; l’Afrique a déjà commencé. Je lance un appel à tous ceux que je connais – effort de mémoire inimaginable – pour venir me rejoindre dans la maison, dans la cour : seul espace épargné. Pour sauver l’humanité, ne voyez- vous pas que j’empêche le soleil de toucher la terre, en ne m’arrêtant plus de parler ? Nous vivons plusieurs vies, nous les gens de la nuit, d’ailleurs, la mienne se termine ce soir. Je vais mourir tout à l’heure, frappée par le virus, et j’ai peur.

Je suis surveillée. Ils me veulent, ces révolutionnaires, je brûle leur Appel avec mes fiches de paie, je broie mon téléphone. Des éclairs d’une folle lucidité me traversent : une douleur immense… je lance mes affaires par la fenêtre. Me crois épiée. Me crois violée. Me crois investie d’une terrible mission.
J’attends Uranus, tous mes livres sont passés par la fenêtre, attendent avec moi sur l’herbe. L’étoile viendra.

contrepointJe m’allonge, j’attends tous ceux qui doivent me rejoindre. Ils vont assister à ma transformation, je vais grandir. Je dois évacuer sous leurs yeux un morceau de moi, probablement un morceau de merde. Chier sous les yeux des gens, même s’il s’agit de gens que l’on a choisis, qu’y a-t-il de plus horrible aujourd’hui ? à moins que je ne me mette à accoucher, je ne sais pas. Mais quelque chose va sortir de moi, sous leurs yeux, et j’ai honte d’avance. Le temps passe, et rien n’arrive : la transformation n’a pas l’air d’être pour ce soir. Je suis comme une voiture lâchée sans frein dans une pente. Le sol se dérobe sous mes pieds, je sais qu’il faut dormir, je sais qu’il faut manger : je n’ai plus le temps, il y a trop de choses à penser.
Un taxi arrive, ça tombe bien, j’ai à parler. Que l’on m’amène l’homme que j’aime au plus vite, on parlera politique après. C’est avec lui que tout est possible, avec lui que la révolution va se faire. En route !
Je ne comprends rien, où m’amène-t-on ? Je pensais arriver à la maison de la radio, dans ses grands bâtiments de verre. Certes, trop petits pour refléter tous mes propos, mais ç’aurait été un bon début, et au lieu de ça, j’arrive dans un lieu bizarre, en pierre. Ce sont tous des acteurs, des acteurs qui jouent très bien ; c’est une grande mise en scène faite à mon intention, on n’attend que moi : déjà ailleurs, hors de ces murs, on me fête.
Ce grand jeu-là n’est qu’une étape, une étape à franchir, pour le retrouver. Il va venir. On cherche à me tromper : on m’en amène plusieurs, des hommes, tous en blouse blanche, et on voudrait me les faire prendre pour lui. On veut que je l’oublie. Mais où suis-je, ici ? Je m’assoie dans un coin de la pièce où l’on m’a mise, avec ma mère, assise sur une chaise en face de moi. Un type, déguisé en docteur, prend des notes. Ma mère me regarde d’un air… paniqué. Elle a peur de ce que je vais dire, de ce que je vais faire, elle sait qu’elle n’est pas allée assez loin, sait que je vais la dépasser. Elle a peur de moi, elle m’a confiée à des médecins. Je la croyais plus forte, reine des sorcières ; elle non plus ne comprend rien, elle aussi veut m’étouffer. L’homme en blouse blanche me demande de parler : je lui raconte ce que je peux, ce qui sort de ma bouche. Shéhérazade des journées, pour empêcher le soleil de nous tuer, en parlant, je retiens la lumière ; ici, on ne sent déjà plus la chaleur. Ici, il n’y aura bientôt plus d’air. Je sens que les infirmières sont touchées par ce que je raconte, l’accouchement par le rire, l’accouchement dans le bonheur : elles sentent que j’œuvre pour « notre sexe », nous nous pénétrons par les regards. Mais les hommes sont fermés. Ils ont tous les yeux marron, comme lui. Ils lui ressemblent tous ; ils l’ont mélangé. Ils cherchent à me le faire oublier, mais tant que je m’en souviendrai, ils n’y parviendront pas. Son regard, je le tiens entre mille. Je veux sortir ; on me bouscule, on me ramène, je cherche à me laisser tomber : on me soulève. Je me retrouve allongée sur le ventre, tenue de tous côtés, je me débats, je crie, je ne peux plus bouger ; et dans la fesse, une douleur inouïe.
Juste avant cette piqûre, je l’ai vu écrire. Il a noté les 6 pathologies qu’il croyait discerner, les symptômes. Il a cherché à faire entrer la nouvelle patiente que j’étais dans une cas, afin de savoir quelle pilule, de la blanche ou de la jaune, il me faudra avaler. J’aurais aimé que les soignants m’écoutent, qu’ils me racontent ensuite, « revenue à moi », ce que je racontais alors. Peut-être achètent-ils de la poésie : bien rangée sur des étagères, elle ne leur fait pas peur. Quand elle se propulse dans la rue, qu’elle remue la vie bien ordonnée de leur hôpital, ils la rentrent au plus profond de la chair avec des seringues de fer. On assèche les racines à coups de produits puissants, car on ne connaît pas cette sorte de plante, on a peur de ce mystère.
Sortie, devant le mur de l’hôpital, j’observe les voitures qui glissent le long de la route. À cet instant, je ne pense pas, je suis vide. Mais maintenant, je me vois : un arbrisseau auquel on a coupé ses racines, et que l’on jette dans la pente, lui ordonnant d’aller aussi vite que ces machines bruyantes.

P.

Une forme d’illumination comme une autre

Ce texte est issu d’un entretien avec un ami ayant vécu un « délire » il y a plusieurs années. Il revient ici sur les prémisses de son état dit délirant.

J’ai commencé par dormir très peu, c’était à l’époque où je fumais pas mal de joints avec des amis. Ça a débuté avec de l’euphorie : quelque chose s’est emballé. Euphorie, je ne sais pas si c’est le mot. Enthousiasme, en tout cas. De l’exaltation, ajoutée au fait de ne pas dormir.
illuminationC’est arrivé en février, si je me souviens bien. À l’époque, je suivais des cours dans une école de jazz, depuis 4 ou 5 mois déjà. J’étudiais le piano et je me suis mis à découvrir une nouvelle façon de jouer. Ça a été un des premiers éléments déclencheurs. Il y a un moment, comme tu as pratiqué des accords, des thèmes différents, tu commences à avoir ça dans les mains, tu as emmagasiné un peu de connaissances. Et ce qu’il y a, c’est que j’ai pris conscience de ça en un coup. Du jour au lendemain, littéralement. La première fois j’avais décidé, pour voir, de jouer sans cadre prédéterminé, sans partir d’un morceau ou de quoi que ce soit. Juste s’asseoir à son piano et commencer à pianoter sans se soucier de l’harmonie ni d’autre chose. Et en fait ça donnait des choses vrai- ment intéressantes. Je prenais conscience de nouvelles possibilités. C’était vraiment chouette. Je me rendais compte que je pouvais improviser totalement pendant une longue période, une heure par exemple, et y prendre plaisir. En plus comme c’était une nouvelle découverte, c’était très enthousiasmant. Ce dont je me souviens, c’est que j’ai montré ça à mon prof, et il était très enthousiaste lui aussi. Il m’a fait une liste des compositeurs que je devais écouter.
C’est ce jour-là, le jour du cours de piano, que ça a commencé à s’emballer. Je pensais à plein de choses ! Enfin oui, c’est des bouffées maniaques. Tu passes tellement de temps à te poser des questions sur le monde, la vie, tout ça… A un moment il faut que ça sorte. Ça peut sortir de plein de manières, ça dé- pend. Si tu crées, si tu composes des morceaux, ça peut sortir comme ça petit-à-petit, et parfois ça peut aussi sortir de façon plus dangereuse, parce que tout sort en même temps. D’ailleurs je me souviens que théoriquement, il y avait des idées intéressantes. On peut expliquer les choses rationnellement, le fait que je n’avais pas assez dormi et tout ça, le fait que je suis entré dans un état reconnu cliniquement comme délirant, mais ça reste une forme d’illumination comme une autre.
Je me souviens que je lisais un livre qui m’avait marqué, Les Chimpanzés et Moi de Jane Goodall, une femme qui a étudié les chimpanzés dans les années soixante. Elle décrit bien cette société, tout à fait complexe comme n’importe quelle société. Et quelque chose m’avait frappé. Elle observe que les jeunes chimpanzés sont toujours occupés à jouer, et tout ce temps qu’ils pas- sent à jouer les rend familiers avec la jungle, avec les lianes, avec le fait de sauter, de s’accrocher : très vite ils deviennent complètement à l’aise. Ce serait impossible que l’un d’eux rate une liane. C’est cette idée du jeu qui m’a tout à coup… en me mettant tout à coup à jouer du piano sans… en jouant, comme ça, sans me poser de questions, ça rejoignait l’idée qu’il fallait tout prendre dans le sens du jeu. Une espèce de légèreté. Une nouvelle façon de voir les choses.

C’est par le plaisir que l’on apprend. Les enfants jouent, ils ont du plaisir à jouer, et c’est justement par là que les choses se passent. C’est par là qu’ils vivent le monde. C’est tout à fait à l’opposé de l’idée de travailler pour apprendre, pour devenir bon. En plus, c’est une idée que tu subis beaucoup quand tu étudies un instrument. Tu vois des gens qui jouent mille fois mieux que toi, tu te dis oh putain, toutes les heures de pratique qu’il me reste à faire… Comme on est beaucoup dans une société comme ça, tu penses toujours que tu ne pratiques pas assez, que tu pourrais passer plus de temps devant ton piano. Et là tout d’un coup, c’est passé de l’autre côté. La question ce n’était plus de travailler pour progresser, mais bien de jouer. Le fait de jouer du piano me procurait déjà immédiatement du plaisir. Il n’était donc plus question de pratiquer une seconde. Ce que je veux dire, ce n’est pas qu’arrivé à un certain niveau de connaissance de l’instrument j’étais enfin capable de prendre du plaisir à en jouer. C’est plutôt l’inverse : la conversion s’est faite sur le plan théorique d’abord. C’est en partant de la notion de jeu telle qu’elle est abordée dans Les Chimpanzés et Moi, et en la confrontant à mon expérience d’apprenti musicien, que j’ai été capable de comprendre que plus jamais je n’aurais à pratiquer, que plus jamais je n’aurais à m’entraîner, qu’il n’était plus question que de jouer. Le fait qu’on dise jouer du piano tombait bien, évidemment. Ça confirmait de façon extérieure et donc inattaquable la théorie. Je me souviens d’ailleurs m’être mis à délirer là-dessus.

Je crois que c’est à partir de ce jour- là, du cours de piano, que j’ai commencé à ne plus dormir. Ou alors… si je me souviens bien… oui, j’avais déjà très peu dormi la veille … genre deux heures ou quoi. (J’avais été à une soirée chez des amis). Quand tu as peu dormi, tu fais les choses de façon beaucoup plus directe. Le temps que tu réalises que tu veux faire quelque chose, tu es déjà en train de le faire. Du coup il y a une sorte d’assurance et d’évidence dans ce que tu fais. Et aussi dans ce que tu dis : tu as l’impression que ça tombe plus juste, doté exactement de la bonne nuance métaphorique. C’est le geste juste qui s’impose à toi, sans que tu n’aies rien à faire.

Alors ça, ajouté au fait que je venais de trouver une nouvelle façon de jouer qui m’enthousiasmait, et au fait que je développais une théorie sur l’idée que tout n’est que jeux et improvisation, tu penses que j’avais de quoi commencer à m’envoler…

Donc, le jour du cours de piano, en même temps il y avait cet enthousiasme d’avoir découvert un nouvel angle, une autre approche du monde, et en même temps je me suis mis, soudain, à avoir peur qu’il m’arrive quelque chose, à avoir peur de mourir. Comme tout était improvisation, il fallait du coup faire très attention : n’importe quoi pouvait m’arriver. Donc je commençais à avoir cette hantise qu’il m’arrive un accident, que je me fasse renverser par une voiture par exemple. En plus, comme je venais de découvrir quelque chose d’intéressant, c’était vraiment pas le moment. C’est comme si, étant conscient pour la première fois d’une nouvelle dimension de la vie, (sa dimension immédiate), la mort m’apparaissait tout à coup comme quelque chose de vraiment inquiétant. On voit que, à marcher en rue (je rentrais du cours de piano) et à être obsédé par la crainte qu’il m’arrive quelque chose à tout moment, j’étais déjà en plein délire. C’est intéressant parce que le fait de se braquer sur la mort était déjà un signe de délire, et en même temps on peut voir ça comme le signe de la conscience, à un certain niveau, de mon état délirant : tu es dans un état dangereux, fais attention à toi. C’est-à-dire que les signaux d’alerte sont effectivement envoyés, mais déjà à travers la moulinette du délire.

Du coup la nuit suivante j’ai été incapable de m’endormir, cette idée d’une mort possible m’étant insupportable. Ce n’est pas du tout l’éventualité que je ne me réveille pas qui m’effrayait (la question n’était pas là, il n’y avait pas spécialement d’analogie entre dormir et mourir). C’est simplement que je n’arrivais pas à m’endormir : l’idée de la mort était trop effrayante pour trouver le repos. Donc je suppose qu’à partir de ce moment, avec deux heures de sommeil sur quarante huit heures et dans l’état où j’étais, la machine était emballée.
J’ai commencé à développer des idées plus franchement délirantes. Des théories maniaques. Tu imagines que tout est centré autour de toi. Des gens que tu vois sont en fait des acteurs. Leur rôle apparent n’est qu’une façade. Ils font en réalité partie d’une grande confrérie internationale et ils t’ont repéré comme un des leurs. Ou sans doute que tout ça est prévu depuis très longtemps. Tu as été préparé, éduqué, même à l’insu de tes parents, pour un jour entrer dans leur cercle. Et ce jour est proche. Bientôt tu recevras un signe ; ils t’appelleront et tu seras initié.

H.

On a reçu…

Me voici parachutée dans le « monde de l’horreur » en ce lundi 6 juin 2011.
Eh oui, ma tête a lâché, mon corps aussi !
J’écris ces quelques lignes pour vous faire part de mon vécu lors de mon séjour à Ville-Evrard (deux semaines longues), hôpital psychiatrique.
Après une tentative de suicide ratée, me voilà transportée dans l’univers de la vraie folie ! Aïe la chute est raide. Accompagnée et placée par mes parents, après ce geste, je me retrouve brutalement en chambre d’isolement, après une injection forcée ! Un pot et un matelas à terre sont ma compagnie. Deux jours de peine, de pleurs, de cris, de tapage….
onarecuJe finis par sortir de ce trou à rat au bout de deux jours, et me retrouve en chambre seule (ouf !!!).
On frappe ? Le psychiatre de garde arrive (ouïe quel accueil) ! Je regarde ce personnage très hautain, très sec, très humiliant à mon égard, qui s’adresse à moi sur un ton « méchant ».
L’entretien est interminable. Je ressors au bout d’une heure en pyjama, sans papier, interdite d’appels téléphoniques, en larmes. Le pyjama fut ma tenue pendant deux longues semaines. Pas de sortie dans le parc, rien si ce n’est la nourriture, mes cigarettes.
Première nuit : bruit, cris sauvages, bave, hurlements, vacarmes sont mes premiers souvenirs ! Où-suis-je ? J’appelle au secours, quelqu’un rentre dans ma chambre ! C’est affreux cet électrochoc.
Cette nuit fut un cauchemar, je me réveille abrutie, fatiguée. Je m’empresse de voir le médecin psychiatre qui me renvoie de plus belle aux oubliettes ! Mes larmes coulent, je me sens démunie, j’exige un coup de fil à mes parents et je l’obtiens. Je leur clame ma volonté, ils ne m’écoutent pas et raccrochent.
Les jours se suivent et se ressemblent tous. J’ai ce sentiment de culpabilité, de haine, de souffrance que je n’arrive pas à extirper de moi. Cet acte de faiblesse (pour ma part) m’a conduite à reprendre le dessus très rapidement. J’ai pensé à mes enfants, à ce qu’il aurait pu m’arriver (un peu tard non pour y penser ?), bref, à tout ce que l’on peut faire dehors quand on est bien.
Mon séjour que je pourrais nommer « un mal pour un bien » aura duré deux semaines.
14 jours de calvaire, pour seule compagnie des barreaux, des cris…..
J’en sors forte, avec une impression de dégoût. Je continue mon chemin de vie. Avec de l’aide j’y arrive et me suis jurée de ne plus vivre cet enfer.

Contre les professionnel-le-s

[attention je suis véner… je vais… oups]

« Je dois souffrir d’un refus pathologique de l’autorité qui doit certainement provenir d’une absence de la figure du père parce que j’ai le sentiment qu’aucun-e professionnel-l-e fût-il ou elle le meilleur de sa profession ne peut quoi que ce soit à mon problème. Mon problème est le suivant : je souffre de vivre dans un monde en guerre où des professionnelsprofessionnel-le-s participent quotidiennement au maintien de normes qui m’empêchent — de vivre. Ces professionnel-l- e-s du simple fait de leur position de détenteur d’une profession me renvoient au fait que je dois être quelqu’un qui fait quelque chose, qui s’emploie pour pouvoir exister. Dans le pire des cas je devrais au moins tenir dans une case : accepter un diagnostic… De ce fait ils m’empêchent d’être qui je suis. Car je ne suis pas seulement « sans profession », ni seulement « fou » , ni seulement « révolutionnaire », ni seulement « con » je suis aussi celui qui ne supporte aucune étiquette et qui ne peut pas accepter de vivre dans un monde où tu crèves la gueule ouverte si tu n’en as pas ou si tu n’as pas la bonne. Je suis aussi celui qui refuse d’être « moi » et qui affirme que personne d’où qu’il soit n’a d’autorité ni de légitimité pour analyser, juger ou soigner ce « moi ». La seule thérapie que je réclame est un soin complet, holistique et en profondeur de toute la société malade qui m’a engendré ! Autrefois on appelait ça une révolution, aujourd’hui on ne dit plus rien et on cherche chacun-e de son côté comment on va continuer à sous-vivre un peu plus long- temps… Comment on va faire pour trouver le-la bon-ne professionnelle qui va arranger notre problème d’existence ? Quel est le meilleur traitement qui me serait adapté ? Et pour empêcher que quiconque s’échappe de cet en- fer que nous consolidons chaque jour, on ira taxer d’extrémiste le premier qui voudra crier « finis- sons-en ! » et de « fou » le premier qui tentera d’une manière ou d’une autre d’en finir par lui-même. On l’enfermera et on le traitera avant qu’il puisse faire du grabuge, ça servira d’exemple aux autres et s’il y en a beaucoup d’autres on les parquera aussi : enfants, vieux, chômeurs, malades, in- curables, improductifs, inactifs, hyperactifs, handicapés, anormaux, psychotiques, né- vrosés, normosés, déviants, délirants, délinquants, décadents, dépressifs, criminels, sectaires, terroristes, coupables, marginaux, migrants, mendiants, bipolaires, borderline, parano, skizo, tarés, vagabonds et totos en tutu… Il y aura des étiquettes pour tout le monde et non seulement tu porteras les tiennes mais tu penseras avec elles et tu verras les autres à travers les grilles que nous avons dé- finies et toi aussi bientôt en croisant ton semblable tu diras « ho le pauvre ! » et tu voudras l’aider, le soigner même et tu lui diras « tu sais il y a des bonnes professionnel-le-s… » Puis bientôt tu t’apposeras tes étiquettes toi-même et tu deviendras ton propre psy, ton propre juge et ton propre flic, tu pourras enfin t’autolimiter librement tu seras devenu le rouage parfait de notre machine, TA machine, la machine parfaite et bien huilée de ce monde. Un monde parfait où les bonnes malades posent les bonnes questions aux bonnes professionnel-le-s ! »

[Haaa ça va mieux excusez moi…]

A.

Sans remède, de Cerna

Un rien Capture d’écran 2014-05-28 à 03.58.15mal à la gueule qu’nos vies passionnent les sociologues.
Couru d’avance, nos cerveaux baignant dans l’formol
Posait problème à personne de foutre nos berceaux dans c’bordel
Ça oublie vite qu’on est mortels.
Tellement facile, virage raté on en parle plus
Incident voyageur, y’a pas d’médecine qui sauve.
Juste assez savonné c’foutu plancher pour qu’tout d’un coup
On envisage très sérieusement et la poutre et la poudre
C’monde nous voulait la corde au cou
Fil à la patte, pète un câble, lève l’ancre et coupe le fil.
La plupart s’contentent de récits,
Quand d’autres s’accrochent aux rares récifs.
On en peut plus de tuer le temps, voilà l’drame.
Regarde on s’tue à dire que nos vies sont en panne.
Si on sème la panique c’est que nos âmes sont en peine.
L’insurrection n’vient pas et nos armes sont en berne.
Elles se retournent contre nous.
D’toutes façons, pour un rien, ils t’enferment ils s’en foutent.
100 ans fermes. En faire une cavale ou une peine.
Vous êtes sur terre c’est sans remède.

Rispéridone

Ce neuroleptique est prescrit pour la schizophrénie, mais également pour les problèmes de migraines, l’addiction au jeu, le bégaiement, la nausée, le trouble bipolaire.

risperidoneIl efface la tête. Supprime ses maux comme ses plaisirs. Efface les mots.
Il efface les souvenirs des méandres du cerveau.
Il replie les casinos, éteint leurs lumières, grille leurs néons, avale leur argent.
Retire les bijoux clinquants du tour de cou des gens.
À quoi bon jouer ? Peu importe perdre ou gagner. À quoi bon jouer ? Garder son argent, garder tout en l’état,
posé. Immobile.
Il a pris ma bouche, l’a ceinturée, vingt minutes après la prise. Il a passé au-dessus de mes paroles son filet transparent, et gluant qui m’électrise.
Policier du corps, il fait la patrouille : il tient mes positions et mes rêves au garde-à-vous, les mots ne partent plus se cogner contre ses boucliers brillants ; la place est vide, plus rien ne brûle, et le docteur blanc répartit les cendres grises de chaque côté de mon désert, propre, étincelant.
J’attends la mer, et ses eaux pleines et chargées.
J’espère la mer, salée. Elle seule pourra me faire déborder, et couler leurs camions rouges, leurs camions blancs.
En attendant, surveillée, je retiens mes reflets.
Dans les données après commercialisation, des symptômes extrapyramidaux réversibles ont été observés chez le nouveau-né après administration de Rispéridone au cours du dernier trimestre de la grossesse.

Après sa mise sur le marché l’enfant s’arrête aux pyramides pour son éternité.

Ne pas ouvrir la plaquette thermoformée avant administration, car il pourrait s’échapper.
Ouvrir la plaquette thermoformée pour voir le comprimé, afin de s’assurer qu’il existe vraiment.
Ne pas pousser le comprimé à travers le film de la plaquette thermoformée, car il pourrait se casser, brisé contre l’éternité de votre délire.
Retirer le comprimé de la plaquette thermoformée avec des mains sèches, car l’eau pourrait le faire grandir.
Placer le comprimé immédiatement sur la langue, ne jamais attendre.
Le comprimé se désintègre en quelques secondes, il se perd dans l’immensité de votre bouche.
De l’eau peut être utilisée si nécessaire, mais lui laisser de l’air : ce comprimé respire.

P.

Poésie

Au regard de notre époque
sécuritaire en tout
et pas seulement là où se portent nos luttes
mais aussi entre nous…

On a pas le temps de reprendre leurs dictionnaires
pour voir si on y comprend quelque chose !

Pour pas que le délire du monde réel
écrabouille tous les autres

Donnons des ailes à nos délires

Ne pas se laisser enfermer dans les définitions

et pétons les plombs de tous côtés !

Ce monde

clos à force d’être normé
malade à force d’être médical
froid à force d’être rationnel

Ce monde-là n’a que trop duré !

Tayo, camarade !
Lançons la horde des délirants à l’assaut de la citadelle de la raison !

Et brûlons définitivement le marché des étiquettes
y compris dans nos têtes

A.

Compte rendu d’un atelier de discussion

Nous avons participé à deux reprises au cours de l’année 2011 à des ateliers de discussion en petits groupes (entre 3 et 6 personnes). Ici le thème choisi par les participant-e-s était Réagir et soutenir, individuellement et/ou en collectif. Nous vous en proposons un compte rendu partiel.

nezparfaitdiscuteNous avons échangé sur nos galères avec nos têtes, entre autres les crises d’angoisses (on est plusieurs à pratiquer), les coups durs où on aurait envie de tout lâcher et les moments délirants pas admis (quelqu’un-e a parlé d’une décision de suivre tout ce qui était vert dans la ville par exemple, ce qui est totalement gratuit et n’a aucun sens apparent, pourtant, ça fait du bien !). Quelqu’un-e a dit que se faire un peu fou-folle, ça rendrait plus poreuses les barrières avec les autres. On s’est dit qu’on avait dans nos gueules notre commun de nager à contre-courant, et qu’être « contre » c’est pas une place facile.
Deux personnes ont témoigné de leurs histoires de soutien à des potes. S’il y a une intervention du collectif, c’est toujours quand il est trop tard, c’est-à- dire que le moment de « pétage de plombs » est un évènement, mais ça fait aussitôt penser qu’il y a eu un avant. Dans un cas, il y a eu une attitude de déni et un avis général du genre que la psy c’est de la merde. L’effet a été : on ne fait rien. Plus généralement il y a une gêne qui individualise complètement les dérapages/acrobaties psychiques. Il est courant de rendre quelqu’un-e responsable de ce qui lui arrive. Le déni dans ce cas a eu pour conséquence l’internement du pote.

Il faut aussi savoir prendre acte d’une réalité ; passer le relais à l’hosto ou la famille doit être dédramatisé si personne ne veut ou ne peut soutenir assez, ou que c’est momentanément trop dur, ce qui ne veut pas dire l’abandon du ou de la pote en l’occurrence, mais multiplier les soutiens (et la famille, et des ami-e-s…), tout en continuant d’avoir une relation avec la personne en se tenant au jus de ce qui se passe pour lui ou elle, en mode méfiance et veille. Expériences : monter un planning de présence en relais, exiger de la ou le voir si il y a enfermement, montrer aux psys qu’il y a du monde autour en venant tous les jours, à plein dans le couloir s’il y a un rendez- vous, parler et se renseigner sur le traitement…

Et puis, on s’est dit aussi que ça serait important d’essayer d’entendre comment la personne qui « pète les plombs » se nomme elle-même ou ce qui lui arrive (ex : « je vis dans une autre dimension »), et utiliser ses mots, peut-être en inventer ; et surtout, chaque fois que c’est possible, l’associer aux décisions qui la-le concerne. Par contre, on va pas commencer à imaginer des diagnostics nous-mêmes.

Il s’est dit que soutenir individuellement était impossible ou pas souhaitable, et que même les soutiens avaient besoin de soutien, ou au moins de parler avec une ou plusieurs autres personnes, et plus généralement, chercher ailleurs, à l’extérieur du groupe ou de la situation, aux plus d’endroits possibles, des infos, des expériences. Penser la médecine et particulièrement la psychiatrie comme un pouvoir sur nos vies nous amène à penser tout rapport avec cette institution comme un rapport de force. Vouloir aider nous oblige à nous poser des questions sans arrêt sur notre place, nos moyens, nos limites, nos intentions, si on ne veut pas reproduire des rapports de domination avec l’autre ou se substituer à un médecin.
On a parlé du danger d’être une béquille, ou de laisser l’autre se noyer… On s’est dit aussi que parfois il n’y a rien à dire, peut-être rien à faire, que voir quelqu’un-e pour ne pas parler, ça peut aussi être utile (on ne le fait jamais).

Quelqu’un a dit que cette expérience de soutien, si c’est dur, c’est aussi enrichissant et pour le collectif et pour lui personnellement.

Les groupes de paroles sont perçus comme des moments un peu psychologisants de comptoir, « bons pour les bonnes femmes » genre « pathétique ». Sauf que si on le faisait de manière régulière, ça permettrait peut-être d’éviter le trop-plein finissant chez un psy, et ça pourrait éviter que les places auxquelles certain-e-s sont assigné-e-s soient définitives. En même temps, on a pas envie de s’exposer ni à tout le monde, ni tout le temps, ni de se transformer en auto-observateur- trice de nous-mêmes ou des autres. On a aussi besoin de secrets.

Nommer permet de prendre acte, mais en même temps, ce qui fait peur c’est que ça rend réel (si je dis : j’ai des crises d’angoisse, ça peut en déclencher une, maintenant, ou préparer un terrain possible aux autres), les mots peuvent fixer un regard sur soi ou les autres qui fait peur par leur côté apparemment définitif. Alors qu’on est jamais réductible à une seule identité, et qu’on est en mouvement tout le temps, on doit se le rappeler quand quelqun-e aberre, il ou elle n’est pas que ça et ne le sera jamais.

« L’HP n’est jamais loin » a dit l’un-e de nous, on le sent par : ce qu’on s’interdit de faire comme écart public, ce qu’on contient, par la peur, et par la répression immédiate quand on dépasse les bornes.
On n’est pas égaux devant la psychiatrie, que ce soit par le genre, l’entourage, la culture, l’âge, l’origine sociale… Il y a des luttes à mener, différenciées et à inventer sur différents modes.

Note spéciale à l’entourage : c’est horrible que quelqu’un-e soit présenté-e ou parlé-e comme « celle- celui qui a pété les plombs », au risque de fabriquer des taules relationnelles, donc, apprenons activement à fermer nos gueules.

Pour conclure, on s’est dit que parmi ce qui nous donne de la force, il y a cette conviction que comprendre et lutter sont des armes et des nourritures, dans un monde que la norme rend mort. Même si on a la vie dure, au moins elle est vivante et bien à nous, larmes comprises.

Une maladie nommée schizophrénie

Capture d’écran 2014-05-29 à 00.57.08Une maladie nommée schizophrénie
Elle a atteint ma vie
Et elle me détruit
Je ne sais pas quoi pour m’accrocher
Et surtout pour ne plus me mutiler
J’aimerais pouvoir m’aider
Mais dans ma tête tout est bloqué
J’ai peur d’être abandonnée
Une fois de comme lycée
Je buvais de l’alcool tous les matins
Et ce n’était pas pour rien
Alors je me suis sortie hors du monde
Parce que je ne voulais pas entrer dans la ronde
Où il y a tant de peines, de haine
Mais aussi de la joie
Aussi belle qu’une peinture sur soie
Je peux dire que j’ai de la chance
Car pour certaines personnes la vie se joue sur une balance
Même si je ne l’ai pas choisie
J’ai de la chance d’être en vie
Et de plus j’ai envie de m’en sortir
Pour un plus bel avenir
Tous les soucis que j’ai maintenant disparaîtront
Avec le temps avec des efforts j’y crois à fond

J.