Ouverture

sansremedecinq8L’équipe qui a conçu la revue que vous avez entre les mains s’est considérablement étoffée. De nouvelles plumes et sensibilités ont rejoint le projet, contribuant à élargir son propos, une orientation déjà amorcée dans le numéro 4.

Sans remède garde pour vocation de diffuser et susciter des paroles que tout condamnait à rester confinées derrière les murs ou dans la solitude des parcours psychiatriques. De tisser du commun entre des vécus, pas aussi singuliers et peu partageables que l’institution voudrait nous le faire croire. De souligner à quel point l’HP reste le lieu d’antagonismes irréconciliables entre les personnes qui y exercent leur pouvoir, qui sont considérées comme en possession du savoir et sont libres d’y circuler et d’en sortir, et celles qu’on y enferme et sur lesquelles ce pouvoir et ce savoir s’exercent. Et ainsi, de penser la psychiatrie en termes politiques et contribuer à en refaire un terrain de luttes.

Le terme psychiatrisé.es s’inscrit pour nous dans cette perspective. Il témoigne de notre volonté de nous défaire des mots de la psychiatrie : se reconnaître comme psychiatrisé.es nous permet de nous définir contre la psychiatrie plutôt que de nous laisser définir par elle. Nous subissons toutes et tous le pouvoir psychiatrique, que ce soit de la manière la plus abjecte dans ses murs ou de façon plus pernicieuse hors les murs. La psychiatrie de secteur, la banalisation de la prescription de psychotropes, la psychologisation à chaque instant dans les espaces institutionnels ou informels, la présence à chaque coin de rue de psychothérapeutes et coachs en tout genre, participent de cette emprise. Mais nous ne sommes pas seulement les objets de cette domination psychiatrique, nous en sommes aussi les agent.es en ce sens que nous véhiculons toutes et tous cette distinction, qu’elle fabrique entre le normal et le pathologique.

sansremedecinq6Il est évident que la psychiatrie contribue au maintien de l’ordre social. Ne s’intéresser qu’à elle seule laisserait entendre que nous avons à faire ici à un objet séparé.
En la critiquant, nous avons appréhendé des processus de gestion, d’infériorisation, d’avilissement, d’expertise, d’administration qui nous semblent être efficients pour construire une critique du pouvoir médical, entre autres.
De même, ce que la psychiatrie révèle de la gestion sociale et de l’administration du « cheptel humain » nous paraît pertinent pour élaborer une critique du système médico-social. Un dispositif qui se resserre de plus en plus fortement à mesure qu’il s’applique sur les classes les plus pauvres, les plus dominées de la population.

Le journal ne dérogera pas à certains principes. Nous conserverons une attention particulière à ce que les témoignages des personnes confrontées ou ayant été confrontées aux institutions médicales et médico-sociales gardent une place majeure. Nous tenons à ce que seule la parole de psychiatrisé.es, médicalisé.es ou administré.es (entendre personnes soumises à l’autorité d’une administration) ait sa place dans le journal, afin qu’aucune parole de soignants ou d’institutionnels – aussi sympathiques et/ou critiques soient-ils – ne vienne réduire leur portée. L’antagonisme est réel. Les paroles de noirs.es ou de blancs ne peuvent pas être mises sur le même plan quand on parle de racisme. Idem pour les paroles de femmes et d’hommes quand on parle de sexisme ; de prolétaires et de patrons lorsqu’on parle d’exploitation.

Nous réalisons l’objet-journal à plusieurs. Pour ce numéro, nous avons été une dizaine à écrire ensemble ou séparément, à relire nos textes collectivement, à les affiner au cours de discussions. Ainsi, c’est en commun que nous élaborons une critique des pouvoirs psychiatrique, médical et médico-social. C’est ce qui nous permet de porter collectivement les textes écrits pendant le temps de rédaction. Chacun.e restant libre évidemment de conserver les termes et tournures qui lui tiennent à cœur, de féminiser ses écrits (Cf. À propos de la féminisation des textes) ou de préférer contourner les règles grammaticales et orthographiques que l’on nous a enseignées.

sansremedecinq2Nous publions aussi des textes de personnes qui ne sont pas présentes pendant la fabrication du journal. Nous ne retouchons pas ces textes. Nous choisissons de les passer parce qu’ils nous plaisent pour bien des raisons, même s’ils ne correspondent pas exactement à la manière dont nous nous positionnons.

Après vous avoir invité.es dans nos coulisses, nous vous laissons découvrir notre joyeux bordel, un peu éclairé.es sur nos intentions et nos exigences.

Bonne lecture.

L’emprise médicale sur nos corps

Ce dossier est une ébauche. Le début d’une réflexion sur les rôles de la médecine.
La science médicale permet de nous différencier les un.es des autres, de nous hiérarchiser, donc que des dominations spécifiques puissent s’exercer sur nous. Nous pensons que la médecine nous distance de nos corps, de nos histoires. Elle prétend lisser nos différences même si pour cela il faut nous appareiller. Elle modifie nos manières de ressentir, d’éprouver. Elle réduit nos vies à des parcours. Et nous permet d’endurer nos vies en nous proposant tous les moyens techniques et chimiques de le supporter.
Nous voulons témoigner de ce qu’elle a inscrit dans nos corps et dans nos crânes.

« Nous sommes de genre féminin et nous l’ouvrons »

femmedossierLes textes qui suivent ont une histoire. Nous sommes cinq à nous être réunies en non-mixité pendant une semaine. Nous ne sommes expertes en rien, ni en critique féministe, ni en techniques médicales. Mais questionner les rapports de genre traverse nos vies par ailleurs. Et nous allons parfois chez le médecin comme tout le monde. Nous avons lu, regardé des films ensemble, avons commencé à écrire. En croisant nos expériences nous nous sommes rendu compte qu’elles n’étaient ni banales, ni ridicules, ni simples, ni vraiment différentes les unes des autres. Que ce que nous vivons participe à nous construire. Donc qu’il était important que nous racontions comment les rapports que nous avons avec des médecins nous contraignent à nous conformer à des rôles bien normés.

Toutes les personnes qui ont participé à ce que ce dossier existe dans Sans Remède n’ont pas rédigé de textes. Elles nous ont lu, nous ont fait des retours, des critiques. Elles nous ont proposé des améliorations. Mais surtout, elles ont trouvé notre idée intéressante, et leur confiance nous a permis de nous sentir légitimes à écrire. Elles nous ont donné la force de porter ce qui suit.

Ce dossier ne prétend pas à l’exhaustivité.
Nous y témoignons du rôle des médecins dans la fabrique de rôles genrés et d’aliénations féminines en particulier. Nous éructons contre ces médocs qui rabougrissent nos désirs. Nous racontons combien l’exercice de la médecine génère de la domination à travers le récit du procès d’un gynécologue, jugé pour viols.

Ceci est une tentative…
C’est surtout une invitation…

Si l’on ne naît pas femme…

Quels sont les rôles de la médecine dans la fabrique d’individu.es de genre feminin ?

Parce que j’ai dysfonctionné dans ce monde, on m’a envoyée à l’HP. J’en suis ressortie avec une identité bien ficelée de dépressive suicidaire. Certaine, pendant plusieurs années, que ce terme recouvrait toute la réalité de mon être. Cela m’a pris un temps “fou” pour m’en départir.
Parce que cela va faire cinq ans que je n’ai plus eu de rapports avec un psychiatre ou avec l’institution… Parce que les ami.es qui m’entourent ne me regardent pas comme ça, mes identités de dépressive puis de psychiatrisée se sont dissipées, lentement. Réveillée, sortie de la ouate brumeuse des psychotropes, j’ai eu le loisir de considérer les nouvelles places que j’occupe dans ce monde et ce qui vient les fabriquer. Une des places qui m’échoit, par pur hasard, est celle d’« être une femme ». Par “femme” j’entends que je suis de ces êtres dotées d’un appareil génital de gestation, donc tenue de vivre dans ce monde bardée des aliénations dévolues à mes semblables. La biologie, en m’assignant à un sexe, permet au monde social dans lequel j’évolue de me coincer dans un genre.
Anatomiquement parlant, il est indéniable que je possède un utérus, un vagin, des trompes de Fallope, un clitoris, etc… Et, comme de bien entendu, il existe tout un pan de la médecine qui s’intéresse à moi uniquement pour ça.
Et si, parce que je suis biologiquement une “femme”, la médecine s’intéresse à moi, il me semble évident que je dois m’intéresser à la médecine, aussi, en tant que femme.

Le point de départ de cette passion de critiquer tous les aspects de la science médicale est simple. Les médecins ont un rôle social évident, parce que la science qu’ils appliquent selon divers contextes historiques, culturels, géographiques, est un tank à créer des frontières scientifiquement assises entre les individu.es. C’est la science médicale qui crée et valide les catégories binaires entre sains et fous, féconds et stériles, hommes et femmes, vivants et morts… Pour le dire net et clair, c’est de la médecine que naissent les lignes de démarcation entre ce qui relève du normal et ce qui relève du pathologique. Or, quelle organisation sociale et politique peut se passer de trier les personnes qui sont à même de participer à la vie publique de la manière que l’on attend d’elles, de celles qu’il est judicieux ou nécessaire d’écarter ? Avoir une population à gérer implique de savoir la trier pour l’administrer le plus efficacement possible, dans les buts qu’un pouvoir se fixe. Comment dire mieux qu’il est crucial, pour n’importe quel pouvoir qui prétend gérer une population, de s’assurer de l’appui d’un corps médical fort et cohérent. Donc de lui réserver une place de choix, une place honorifique autant qu’influente, pour l’aider à créer, maintenir et perpétuer un ordre social établi.
Du coup, je m’intéresse moins aux professionnels qui composent le corps médical, qu’à la fonction sociale qu’ils remplissent. Parce que je suis intimement persuadée que les fonctions que nous occupons dans le monde et surtout celles que nous occupons avec succès déteignent sur nous, au point de nous conformer à elles. On me dira qu’il existe des gynécologues tout à fait sympathiques, comme il existe des psychiatres critiques de leurs pratiques, je ne le nie pas, je le sais bien, simplement, je m’en bats l’œil. Parce que ça ne m’aide pas du tout à penser ce qui structure ce monde. Ce qui m’intéresse, c’est le ciment de ce bordel, c’est comment la médecine soutient des ambitions politiques en termes de gestion de population ? Comment la médecine se fait garante d’un ordre social et contribue à le valider ? Et surtout, quel impact cela a sur chacun.e des patient.es que nous sommes ? En bref, comment les rapports médicaux nous conforment au rôle utile que l’on attend de nous ?
Je dirai rapidement que si je m’attache parfois dans ce texte à marquer que l’on peut consulter indifféremment des gynécologues hommes ou femmes, tous et toutes pour moi, indépendamment de leur assignation genrée, servent les intérêts de la médecine donc de leur classe sociale, avant de servir ou de défendre les intérêts de leur classe de sexe.

sibly_doddFace aux médecins, je ne suis qu’une individue. Tout ce qui m’arrive semble contenu uniquement dans mon être, abstraction faite de la vie que je mène. Comme si je n’existais qu’en tant que moi. Comme si mes conditions de vie ou les rapports que j’entretiens avec les autres pouvaient n’avoir aucun impact sur l’émergence de symptômes à éradiquer. Pourtant à mon âge, je sais trop bien que grincer des dents la nuit et avoir la mâchoire crispée en permanence n’est pas qu’un problème orthodontique. J’ai beau vivre dans un joli petit bourg du piémont pyrénéen, des centrales nucléaires se construisent à tout va, des sans-pap’ sont raflé.es quotidiennement, des fachos manifestent à tous les coins de rues en donnant leur avis sur comment je dois faire bon usage de mon ventre, je dois voler ma bouffe pour pouvoir bien manger, les chambres d’isolement des hôpitaux de France et de Navarre sont pleines à craquer… et plus encore. Mais rien de tout cela ne me ferait serrer les dents.
Pourtant n’être qu’une individue serait presque enviable en termes de rapports avec les médecins. Parce que face à un technicien de la médecine, je me sens surtout une espèce d’amas d’organes saucissonables, en ce que je suis alternativement et séparément surtout, des dents, un estomac, une peau ou des poumons et le plus souvent un sexe.
Un sexe parce que je fais partie de cette catégorie d’êtres désignées comme féminins par la biologie.
Et en tant qu’être féminin, je consulte un médecin plus souvent qu’à mon tour, et ce pour aucune pathologie d’aucun ordre, si ce n’est celle d’être née dotée d’un clitoris plutôt que d’un pénis, et ce faisant de l’immense charge de perpétuer notre délicieuse espèce. À ce titre, je suis logée à la même enseigne que la moitié de la population française, à la louche.
Alors je me demande si, et si oui comment, les médecins qui exercent leur science gynécologique sur nous nous conforment à ce rôle social peu enviable qu’est celui d’ « être une femme » et par quels biais. Quelles sont les aliénations spécifiquement féminines que les médecins reconduisent chez nous, afin que nous connaissions sur le bout des doigts ce rôle, historiquement fondé par la médecine occidentale, de mineures éternelles, d’inférieures par nature, qui nous est inculqué de toutes parts ?

Les malades de constitution

En France, nous sommes particulièrement médiquées. Nous prenons plus de somnifères, d’anxiolytiques, de neuroleptiques, de régulateurs de l’humeur que les hommes. Et il est important de noter qu’à symptômes similaires avec les hommes, c’est à nous qu’on refile le plus souvent des psychotropes.
Et puis nous prenons fréquemment des médicaments pour nous soulager des douleurs de nos règles. Nous prenons des antidouleurs pour pouvoir gérer de front un moment bien particulier de notre cycle menstruel et nos engagements. Prendre ces médocs nous permet de travailler alors que nos corps sont prioritairement occupés à tout autre chose. De surcroît, prendre des antidouleurs nous permet de faire comme si de rien n’était, de taffer tout en vivant la desquamation de nos endomètres, dans le silence. Et avec le sourire. Parce que nous n’avons pas le choix. Toutes nous travaillons, pour une boîte, comme artisanes, à élever des enfants, à tenir une vie domestique, bref nous vivons ici-bas… Et nous devons rester actives et performantes trente jours par mois, comme les hommes. Parce que nous sommes nées dans un monde dont les hommes sont la référence. Parce que le modèle masculin est l’étalon de performance auquel nous devons nous conformer. Or cet idéal de présence au monde, ce modèle de performance masculine trois cent soixante-cinq jours par an, nie nos particularités. Plus retords encore, on nous enjoint à nous conformer à ce modèle masculin en instillant en nous un désir d’égalité entre les sexes. Une des énormes supercheries de notre époque. Moi je ne veux pas être l’égale d’un homme, je m’en contrefous. Je veux valoir pareil qu’un homme. Je ne veux pas être différente et pouvoir prétendre à l’égalité si je la mendie ou si je l’exige. Je ne veux être ni inférieure, ni supérieure, ni égale. Je veux être semblable. Je veux pouvoir vivre les particularités liées à mon anatomie, et mes règles entre autres, comme de banales particularités. Si j’ai longtemps vécu mes règles comme une épreuve handicapante, diminuante, comme un truc un peu dégueu, c’est parce que je vis dans un monde organisé par, pour et à la mesure des hommes, qui par définition n’ont pas de règles. Parce que je ne me sens pas humiliée par bien d’autres de mes particularités physiques quand je dois les assumer. Quand au soleil, certaines copines se dorent le visage, les bras, la poitrine alors que je m’ensevelis sous des lunettes, chapeaux et foultitude de couches de tissu parce que ma peau est claire, je ne me sens pas en défaut, juste particulière dans une situation donnée.
casanova-c3a0-gauche-et-la-redingote-anglaise-gravure-illustrant-l_c3a9dition-rozez-1872-des-mc3a9moiresDonc, contrairement à ce que Freud voudrait me faire avaler, je ne désire pas ardemment être dotée d’un pénis. Si je souffre d’être une femme, ce n’est pas parce que je voudrais être un homme. C’est absurde. C’est parce que c’est dur d’être une femme dans un monde à mesure masculine. Comme ce doit être dur d’être noire dans un monde de blanches. Comme ce doit être dur de n’avoir pas de jambes dans un monde de bipèdes. Comme c’est dur d’être une enfant dans un monde d’adultes. Comme ce doit être dur d’être un cochon dans un monde où ça passe son temps à bouffer de la charcuterie. Si je souffre d’être une femme, c’est surtout parce que le fait de posséder ce super organe qu’est mon clitoris réduit mon être très notablement. Parce que je possède un utérus, je devrais être différente. Et différente, quand on est une femme, revient à dire inférieure, ou au mieux complémentaire d’un homme. Bref, n’existant pas en soi. N’ayant pas de valeur intrinsèque. C’est bien plus ça qui m’assomme, de devoir me comparer à, ou m’allier à, ou servir des hommes pour avoir une valeur. Je ne veux pas être cantonnée par une simple spécificité anatomique à une vie de compagne, à une vie domestique et maternelle. Parce que ce n’est pas le fait de posséder un clitoris qui fait de moi cet être doux, fragile, réservé, enthousiaste à l’idée de passer une journée à ranger la baraque ou à garder des enfants, ou à m’occuper des bobos des autres ou à les écouter d’une oreille attentive et réconfortante, ou tout à la fois. Non, c’est la manière dont on m’a enseigné que je devais me conduire parce que je possède un clitoris qui fait de moi cette caricature de femme.
Ceci étant dit, je commence seulement à concevoir combien ce personnage de femme m’enferme et me nie. Ce personnage féminin que l’on a activement nourri en moi de toutes parts, à l’école, dans la rue, dans la famille, dans le métro, dans des soirées, dans mes histoires amoureuses, au cinéma, dans la littérature… Et je ne fais que pressentir combien ce personnage a été activement fabriqué, aussi, par la manière dont je suis considérée par la médecine et traitée par ses praticiens.

Fabrique de l’ignorance et contraception

Aux alentours de mes seize ans, parce que j’ai une histoire “sérieuse” avec un garçon, je vais pour la première fois voir une médecin alors que je ne suis pas malade. J’y vais en prévention, je n’ai encore jamais “fait l’amour” avec qui que ce soit. J’y vais parce que je suis une “femme”, et que sur le point d’entrer dans ma “vie sexuelle active”, je passe par la case gynéco. Une espèce de rituel de confirmation de ma condition. Quand nous ferons l’amour avec ce garçon, et parce que c’est notre première fois à tous les deux, parce que nous nous croyons protégés des MST, il n’utilisera pas de capote. Il n’aura aucune question à se poser. Je suis contracéptée. La question de notre fécondité n’est pas la sienne. Elle m’échoit à moi, parce que je suis celle qui possède l’utérus.
Plusieurs choses m’apparaissent aujourd’hui très fort en relisant ce moment-là de ma vie d’adolescente.
D’abord, qu’une “vie sexuelle active” semble devoir être faite de rapports fécondants. Donc de rapports de pénétration hétérosexuels selon un schéma d’un classicisme déroutant. Un homme pénètre une femme et éjacule dans son vagin. La contraception ne semble pas avoir d’autre fonction que de nous protéger des conséquences de rapports sexuels excessivement conformes. Donc de nous rendre disponibles à ce genre de rapports, sans aucune excuse.
Ensuite que la médecine, en libérant certaines femmes du joug de la maternité non-choisie, en leur autorisant l’accès à une contraception médicale, a pour “effet secondaire” de soulager tous les hommes de cette question. La contraception sous sa forme actuelle, médicalisée, légiférée, organisée, vient asseoir un schéma de rapports hétérosexuels sans nuances ni imagination ni partage de la prise en charge des risques de grossesse. Combien d’hommes, aujourd’hui, à l’âge de leurs premières éjaculations, se font prendre à part par des plus experimenté.es pour s’entendre dire qu’à partir de ce moment, ils sont féconds ? Donc qu’ils peuvent lors de rapports sexuels avec pénétration mettre enceintes leurs amies, et qu’ils en seront responsables au moins pour moitié. Parce que c’est quand même étonnant de pratiquer une contraception pour deux. Et non que chacun.e prenne en charge ses envies ou désirs de se reproduire ou non.
Mais de cette expérience, j’apprends surtout que je ne suis pas un être particulier, parce que j’ai seize ans, on me propose la pilule. Que je sois oublieuse à souhait n’entre à aucun moment en ligne de compte. Quelques mois plus tard, quand je serai terrorisée à l’idée d’être enceinte parce que je me suis retrouvée au bout d’une plaquette avec deux pilules non ingérées, j’en concevrai une honte et une culpabilité terribles. De cette consultation j’apprends que je suis un type de femme, le type “jeune ado” entrainant automatiquement une prescription de pilule.
Mais surtout, je compte si peu que l’on se permet de modifier toute la structure hormonale de mon être en omettant purement et simplement de me tenir au courant du fonctionnement de la pilule sur ma physiologie. On ne me dit pas que la pilule fonctionne sur le modèle hormonal du développement d’un fœtus dans mon organisme. Ou si l’on estime que les quelques heures de SVT consacrées à la question sont suffisantes, on se cache derrière son petit doigt. Aujourd’hui, je constate que quantité de femmes ne savent pas que leur contraception fonctionne en faisant croire à leur corps qu’elles sont enceintes. Le plus grave étant qu’elles l’ignorent. Bien sûr que je pense que le choix d’une contraception hormonale est forcément le bon s’il convient à la personne qui le fait. Mais je pense aussi qu’un vrai choix ne peut se faire qu’en connaissance de cause. Et moi je n’aime pas tellement découvrir toute seule après dix ans de pilule que je me fais croire que je suis enceinte et puis non, boum, une autre hormone dans ta tronche tout compte fait, allez hop, et comme ça tous les mois depuis dix ans. Et je ne dis pas que j’aurai refusé la pilule à cette époque en le sachant. Je ne dis même pas que je ne reprendrai pas la pilule dans ma vie. Je dis juste que j’aurais bien aimé être au courant. En fait, je dis que c’est la moindre des choses. Je dis que mon ignorance crasse de mon corps a été nourrie aussi à ce moment-là de ma vie. Je dis que si des centaines de femmes ignorent comment fonctionne leur contraception, ce n’est pas parce qu’elles sont complètement ignares ou inaccessibles à la raison. Personnellement, j’ai subi comme une évidence le chambardement hormonal de tout mon être pour que mes amants n’aient jamais à se poser la question de leur fécondité. Et je dis que le mépris de mon intégrité physique, en regard de mon investissement actif dans le bien-être et le confort des hommes qui m’entourent, a été consolidé par mon rapport à la contraception.

Fabrique de la culpabilité et éradication de nos exigences

Melancholia_IAprès avoir découvert ce que je me faisais en prenant la pilule, après avoir été très humiliée de mon ignorance, après cinq années de prise de psychotropes de toutes sortes liés à mon parcours psychiatrique, j’ai décidé de vivre un peu dans mon vrai corps. C’est-à-dire un corps non modifié chimiquement. J’ai donc pris la décision de me faire poser un stérilet au cuivre. Et je me suis rendue compte qu’alors même que je n’étais plus psychiatrisée, il était difficile d’amener une médecin à considérer comme valables mes impératifs et mes singularités, ma vraie vie. Une vraie vie qui donc ne peut pas correspondre parfaitement aux résultats de tests en laboratoires sur l’efficacité en soi de méthodes contraceptives. Parce que si la pilule testée en laboratoire est efficace à 99%, c’est tant mieux, mais il faut arriver à considérer que je ne vis pas dans un laboratoire. Ça a été dur de faire entendre à cette gynéco que j’avais le droit de faire des choix, même s’ils étaient un peu décalés par rapport à sa conception ferme et définitive de la meilleure contraception indiquée dans tel moment de ma vie, vue ma situation.
Je ne veux plus d’hormones, je veux un stérilet au cuivre. J’ai 28 ans, oui, je suis en couple depuis des années, avec un type très chouette et ma situation est aussi stable que j’en suis capable. Non, cependant je ne pense pas faire d’enfants dans les temps qui viennent. Non, ça n’est pas du tout une préoccupation dans ma vie actuellement. Oui, évidemment, il est au courant. Non, je ne reviendrai pas dans deux mois en ayant changé d’avis. Mais c’est quoi ce plan ? Oui, je suis une “femme”, et je sais prendre une décision qui m’engage sur plus d’une demi-seconde. En revanche, si on finit par accepter de me mettre un petit bout de cuivre dans l’utérus, pardon d’exister pour de vrai, mais j’espère bien pouvoir dire dans l’heure ou la semaine qui suit qu’en fait non, ça me gêne ou ça me terrorise, ou ça m’obnubile tellement que je ne peux pas le supporter. Du coup, j’ai enduré des règles en continu pendant près de dix mois. Mais c’est vrai que je ne vois pas bien comment la pression qu’il y a vraiment intérêt à ce que ça le fasse pour quelque chose que l’on n’a jamais éprouvé peut aider à vivre sereinement un choix de contraception dans un minimum de respect et d’intelligence de son corps. Surtout quand on trimbale, comme moi, un mépris de son corps bien arrimé. J’ai fini par me faire retirer ce stérilet au bout de deux années de cohabitation douloureuse et diminuante.
Il est vrai que j’en avais entendu des atroces préventions. Faites pour une bonne part d’approximations éhontées et de préjugés contenus tout entier dans l’appellation de stérilet. Et qu’attention, je peux vivre une grossesse extra-utérine. Et que je me prépare à vivre une inflammation quotidienne de mon utérus. Et que mes règles risquent d’être beaucoup plus abondantes et beaucoup plus douloureuses que lorsque j’étais sous pilule… Et que j’accepte de prendre le risque, certes infime, mais tout de même il faut le savoir, de devenir stérile. Rétrospectivement, je trouve signifiant que pour une prescription de pilule on ne m’ait jamais demandé si j’étais une fumeuse invétérée, s’il n’y avait pas d’éventuelles interactions médicamenteuses foireuses avec tous les psychotropes que j’ingurgitais à l’époque, si cela ne faisait pas dix ans que je prenais les mêmes hormones au quotidien… Non, à l’époque tout le monde était surtout soulagé qu’une suicidaire comme moi soit bien gardée de la possibilité de produire un pauvre gosse qu’elle n’aurait pas pu élever convenablement.
Alors qu’aujourd’hui, dans ma situation, accepter de prendre le risque de devenir stérile constitue un début d’anormalité. Et puis tout à fait indépendamment de la question qui nous préoccupe, un stérilet, c’est malheureux, mais ça ne remplit tous les mois les caisses des labos français qui sont plus que bien placés sur le marché de la pilule.
Dans ce rapport gynécologique précis, le choix du sterilet au cuivre, j’ai bien conscience d’avoir accepté pour obtenir la contraception de mon choix, de me sentir coupable et gênée d’avoir des exigences personnelles. J’ai senti que j’avais à me justifier, ou du moins à m’expliquer sur des choses qui ne regardent personne d’autre que moi. J’ai su que j’avais réussi l’entretien, que j’allais avoir ce que je voulais. Il est heureux que j’aie su articuler mes exigences un peu clairement, et que je me sois sentie assez en forme ce jour-là. Sous Loxapac, par exemple, je n’en aurais sûrement pas été capable. En revanche, je n’ai pas eu la force d’avoir des exigences au long cours. Je n’ai pas su estimer assez mon corps pour affirmer qu’on a le droit d’essayer autre chose que ce qui nous est proposé d’emblée, sans avoir à le payer si cher. Pour reconnaître que je n’étais pas forcément la dernière des connes, des chieuses haute catégorie d’avoir tenté. Parce que je ne pouvais pas le savoir, avant de l’avoir éprouvé, que je n’allais pas le supporter ce petit bout de truc qui fait de mon utérus une terre hostile aux spermatozoïdes.
Néanmoins, les deux entretiens avec la gynéco ont quand même eu le mérite de me mettre sous les yeux un mécanisme assez intéressant du rapport gynécologique. Les rapports que nous entretenons avec les médecins chargés de prescrire nos contraceptions et certains de nos avortements sont évidement assez particuliers. Une de ces particularités réside dans le fait que nous allons, dans ces cas-là, consulter des gynécos alors que nous ne sommes pas malades. Nous venons chercher la solution médicale et légale à une décision que nous avons prise. Ce n’est pas commun, à bien y regarder, d’aller chez le médecin et d’y chercher principalement un technicien capable, autorisé légalement à nous faire ou à nous prescrire ce dont nous seules validons l’utilité et la pertinence. Ce n’est pas exactement la même chose lorsque nous nous rendons chez le dermato par exemple. Si je vais consulter parce que j’ai un drôle de truc sur le bras, je ne suis qu’une question, une demande, une attente, une douleur aussi ou une crainte. Je ne suis décisionnaire de rien de ce qui va se jouer. Ce sera à l’expert de m’informer de ce dont je souffre et des méthodes dont le corps médical dispose pour éradiquer mon symptôme. Lorsque je vais chez le gynéco pour une contraception ou une demande d’IVG, le plus souvent je sais ce qui m’arrive, je sais comment cela s’appelle, j’ai produit mon diagnostic, et je sais ce que je veux comme solution. Si j’hésite, c’est principalement sur la méthode. Je fais moi-même mon indication thérapeutique. Or, les médecins de par leur formation et dans leur pratique quotidienne, entretiennent peu ce genre de rapports avec leurs patient.es. Je comprends ainsi les justifications que l’on m’oblige à égrener : comme un moyen pour les praticiens de reprendre le contrôle de la situation, de réaffirmer leur pouvoir dans le rapport soignant-soignée, tout en m’abreuvant des stéréotypes dont ils sont pétris jusqu’à la moelle.
Et moi, du coup, cela me ré-assigne à la place de femme qui m’est dévolue. Cela contribue à me faire intégrer qu’une femme n’a le droit d’exister qu’en s’excusant et en se justifiant de ses choix. Surtout lorsque mes choix ne sont pas tout à fait conformes à ceux que l’on attend du type de femme auquel je suis supposée correspondre. Et si je me suis gourée, le terrain est bien préparé pour que je sois disposée à les payer de ma personne, ces choix pas dans la ligne.
Et surtout, il me faut toujours garder à l’esprit la représentation de la femme et ne pas trop m’en écarter si je veux obtenir ce que je désire dans une consultation gynécologique. Il faut que je m’attache à policer en moi ce qui n’est pas de l’ordre du stéréotype féminin si je veux arriver à mes fins. Parce qu’une “femme” ne peut vouloir se réaliser qu’au sein d’un couple stable et avoir des enfants autour de trente ans. Une “femme” ne se demande pas, quand elle est en âge de se reproduire et que les conditions sont réunies, si tout compte fait, elle ne voudrait pas plutôt devenir dompteuse de lion, passer son permis poids lourd ou devenir ferronnière par exemple et au hasard. Non pas que ce soit impossible, pas du tout, c’est bien pire. Parce que ce serait tout à fait incongru.

Fabrique de l’hétérosexualité et de la maternité

lecoledesfemmesConsulter un gynécologue, c’est aussi avoir intégré bon nombre d’aliénations typiquement féminines. C’est d’une certaine manière, dans ce monde d’hommes, être une femme qui a réussi. J’entends par là, réussi à devenir la femme que l’on attend, que l’on espère en chaque femme. Parce qu’aller consulter un gynécologue veut trop souvent dire être hétérosexuelle, installée dans un rapport de couple, et prendre en charge les désirs de non-reproduction ou de reproduction de deux êtres pratiquant des rapports sexuels fécondants.
Une amie m’a raconté avoir subi chez une gynécologue un laïus culpabilisant sur le mode c’est quand même pas croyable, de nos jours d’être à ce point irresponsable. Vous êtes au courant bon sang qu’il faut absolument avoir un moyen de contraception quand on a des rapports sexuels réguliers. L’idée même que cette amie puisse avoir des rapports homosexuels ne l’a pas effleurée une seconde. La médecin lui a même demandé ce qu’elle pouvait bien faire pour elle.
Parce que nous avons été fabriquées par ce monde, et que l’existence même d’un corps de métier comme la gynécologie organise notre ignorance donc notre dépendance, toutes, quels que soient nos choix en termes de pratiques sexuelles, quelles que soient nos particularités physiques, nous pouvons tomber dans la nécessité de consulter un professionnel. Parce que certaines peuvent développer un cancer du col de l’utérus. Parce que certaines ont des seins, certaines ont des règles, parce que si nous avons un vagin nous pouvons être violées, et tomber enceintes si nous sommes fertiles… et que rien de tout cela n’a à voir avec le fait d’être de vraies femmes, ou d’être hétérosexuelles, ou chargées de contraception… Même si l’on nous essentialise à grand renfort de démonstrations médicales vaseuses sur les fonctions anatomiques naturelles de nos corps, qui confortent trop souvent un sentiment d’anormalité, toutes nous avons des corps différents les unes des autres, quoi que l’on veuille nous faire croire. Mais nous restons construites pour dépendre d’une médecine spécifique à nos corps de porteuses d’utérus, féconds ou non. Et comme une bonne partie de nos états, de nos choix, sont médicalisés – faire du sexe, ne pas se reproduire, attendre un enfant, se décharger du poids d’une grossesse avant l’abandon ou l’infanticide… Nous devons parfois remettre des choix tous personnels entre les mains de professionnels. C’est regrettable, ça n’est pas de tout temps ni de toutes cultures. Mais ici et maintenant, c’est comme ça.
Et il est évident en papotant avec des copines aux orientations et aux pratiques sexuelles moins normées, que la gynécologie n’est pas pour elles. La gynécologie est faite pour répondre à des problématiques de gestion, même si elle permet de solutionner des problèmes individuels. Ce n’est pas du tout incompatible.
La gynécologie semble avoir pour fonction sociale principale d’encourager les êtres biologiquement féminins à intégrer, grâce à tous les appuis et secours de la science, une idée de leur nature. Et de nous conformer au rôle qui en découle. La gynécologie fabrique très notablement des femmes bien normées en étant officiellement une médecine de toutes les femmes mais en ne s’adressant qu’à ses bonnes élèves, celles qui ont des rapports fécondants, celles qui sont responsables de leur contraception, celles qui font le choix de la maternité dans les cadres sociaux valorisés…
La gynécologie impose notamment aux individues qui rentrent dans son champ d’action la problématique de la maternité comme une évidence du fait de posséder un appareil reproducteur de gestation de fœtus. Parce que socialement la femme n’a d’intérêt que lorsqu’on peut la contenir dans son essence reproductrice. Parce que cette fonction lie nos vies à un destin tout écrit de mère. Parce que cette fonction nous contient dans le sillon tracé de la production et de l’élevage d’enfants. Et ce rôle justifie historiquement, économiquement et socialement notre mise à l’écart de la vie publique, de la vie politique. En exterminant simplement en nous tout désir d’existence autodéterminée. “L’effet secondaire” est immédiat, les hommes ont la place pour tout le reste.
Mettre au monde un enfant semble être à mille égards pour certaines une expérience particulièrement riche, bouleversante et tout et tout… Mais je connais aussi des femmes qui ont rempli leur vie d’une foultitude d’expériences riches sans enfanter et sans en concevoir de manque particulier, pas plus que de n’être pas devenue chanteuse de bluegrass, experte en vinyles originaux des Rolling Stones ou reproductrice de blés anciens voués à disparaitre.
Parce que c’est inquiétant de voir resurgir en Espagne, avec la proposition de loi visant à restreindre terriblement les conditions de l’avortement ; parce que c’est inquiétant de lire entre les lignes ou en toutes lettres dans les manifs d’intégristes de tous poils ; parce que c’est choquant d’entendre dans les réactions face à la question de l’infanticide : que les femmes doivent savoir effacer leurs exigences, leurs désirs, leurs ambitions, pour faire passer le produit de leurs rapports sexuels fécondants avant elles. Et peu importe visiblement que ces rapports sexuels fécondants aient pu être violents, subis, contraints, marchandés, obtenus par chantage affectif ou financier… Les embryons, les non-né.es, les potentiel.les enfants, ont une place énorme en regard de la place accordée aux personnes bien vivantes, existantes que sont leurs éventuelles génitrices.
Et parce que c’est trop souvent en prouvant, en justifiant de l’impossibilité de pouvoir bien accueillir un enfant que l’on est le mieux traitées par les techniciens qui se chargent de nos IVG ou de nous prescrire des moyens de contraception. Nous devons faire état d’une situation de couple instable, d’une grande précarité financière, d’une trop grande jeunesse, ou d’avoir déjà des enfants. Parfois, on voudra même savoir si notre « compagnon », qui donc ne pratique vraisemblablement aucun moyen de contraception, est au courant, s’il est d’accord… On exige de nous la démonstration convaincante d’ô combien ce refus de l’étape indiscutée, inévitable et par définition épanouissante de la condition féminine qu’est la maternité est due à une détresse. Ou une incapacité. Et cette détresse comme cette incapacité doivent être validables par un homme, par un adulte si nous sommes mineures, et dans tous les cas par des médecins.
Il n’est pas question de nier qu’un avortement puisse être une étape très douloureuse de la vie d’une personne. Il est question de dire que dès l’instant où la « détresse » devient une norme attendue, il faut la questionner. Il est question de dire que si nous éprouvons de la honte, de la culpabilité ou un sentiment d’échec parce que nous avortons… nous devrions savoir nous féliciter tous les autres mois des années précédentes et à venir où nous ne sommes pas tombées enceintes. Donc reconnaître que de choisir quand et comment nous nous reproduisons reste, même en 2014, même en France, un combat. Ardu. De chaque mois.

Reconduction de soumissions spécifiques

17596_181_L-ecole-du-pretre-gravure-d-Olivier-Perrin-de-1808-allegee-920ceEnfin, si la question de la maternité ou de l’hétérosexualité saute aux yeux quand on parle de gynécologie, je vois d’autres mécanismes de fabrication de la condition féminine qui sont reconduits par les rapports que nous entretenons avec nos experts. Et pas des moindres.
Chez le gynécologue, nous avons appris que nos exigences, nos petites particularités, nos mécanismes de protection étaient au mieux ridicules, sinon complètement exubérants quand nous avons essayé de savoir, par gêne, par pudeur, par timidité, s’il ne serait pas possible s’il vous plaît de garder le tee-shirt pendant le frottis ou de remettre la culotte pendant la palpation des seins. Non, mais on peut garder nos chaussettes. Bon, du coup, quand on me dit après, vous avez des questions ? il va de soi que je n’en ai pas. Si les médecins que je consulte pour prendre soin du rapport que j’entretiens avec mon sexe n’ont pas trente secondes à perdre en déshabillage ou rhabillage qui suffiraient à me mettre un peu moins mal à l’aise, je me vois mal exposer en confiance toutes les craintes, les doutes et les questions qui me squattent l’encéphale. La fabrique de l’ignorance et la honte de notre ignorance puis la détestation de notre faiblesse s’ancre aussi dans de tout petits détails.
Chez le gynécologue, nous avons aussi appris très concrètement à nous abstraire de nos sexes. Nous avons appris très simplement, par expérience, que nous pouvions être mortes aux sensations lors de l’intrusion d’un speculum par exemple. Et nous avons aussi appris à taire les tiraillements, la gêne physique de l’intrusion, les sensations désagréables de peur de faire chier le médecin. De peur aussi de lui faire perdre son temps précieux. Et peut-être parce que nous pensions que toutes les autres le vivaient bien et que nous devions être la seule à être aussi douillette. Ou simplement parce que nous avons déjà bien intégré que les “femmes” sont par définition trop douillettes. Et que c’est le comble du ridicule d’avoir mal dans le sexe, et surtout, c’est la honte de le dire. D’ailleurs, c’est ce que l’on nous a dit « mais non, ça ne fait pas mal… », « c’est fini, vous n’avez déjà plus mal ». Et après quand j’ai fait l’amour avec des hommes en en concevant de l’ennui ou de la gêne, ou de la douleur, j’ai su l’endurer. Je savais le subir en me coupant de mon sexe, j’avais appris à le faire et j’ai trouvé cela normal. Aussi parce que j’avais appris que j’en étais capable. Et pas uniquement théoriquement. Physiquement. Et jamais je n’en étais morte d’autre chose que de honte, alors… En discutant avec des amies, des copines, j’ai entendu cette phrase « moi, chez le gynéco, je me coupe en deux/je m’abstrais/j’arrive à ne plus y penser » beaucoup trop de fois pour ne pas la relever comme étant particulièrement signifiante.
Et si ensuite nous nous croyons frigides, ou nous nous découvrons faibles et concevons une bien piètre estime de nous-mêmes et de nos corps, et si on se dégoûte, si on a envie de pleurer, si on ne se sent pas bien du tout, on nous enverra chercher une explication chez Freud ou chez un psy. Et l’on nous racontera que nous ne sommes pas assez matures sexuellement, ou que nous sommes déprimées, ou que nous souffrons d’un trouble du désir sexuel hypoactif. Par bonheur, des labos bossent à nous concocter une pilule miracle pour rebooster tout ça. Tout ce qui dysfonctionne chez les femmes, si mystérieuses, soumises aux humeurs de leurs utérus. Les femmes qui sont intégralement réductibles à leur sexe, déterminées par leurs seules hormones… Les femmes qui, donc, sont régulables.
Quand une amie m’a raconté que la sage-femme qu’elle voyait pour son suivi de grossesse lui demandait de lui dire quand elle était prête pour le toucher vaginal, je suis une fois de plus tombée dans un abîme de perplexité et de souvenirs humiliants. Tout au long de mes rapports avec des gynécologues, je me suis laissée pénétrer et je n’ai pas le souvenir d’avoir jamais eu à donner le signal moi-même que c’était bon pour moi. Et après, dans la vie de tous les jours, dans ma vie civile de femme, je me suis sentie coupable et cruche et une pauvre merde de ne pas arriver à dire : non pas maintenant, non pas comme ça, non c’est trop tôt, ou non, tout compte fait, ça ne me le fait pas, retire-toi, je ne veux plus. Pauvre gourde, faible et responsable par-dessus le marché d’avoir su intégrer très vite que son corps ne lui appartient pas, que tout un tas de choses allait pouvoir y rentrer en se passant de son avis, qu’elle n’a pas dans ce monde à exiger d’exister dans un corps intègre qui a une valeur en soi. Alors quand on affirme qu’en dépit de tout contexte, une femme doit avoir le droit de dire “non” même quand elle est nue, au lit avec un homme ou une femme … ça me fait doucement rigoler. Parce que chez bien des médecins ça ne se passe pas comme ça. À l’endroit même, dans le rapport précis où nous sommes censées prendre soin de nos corps et de notre sexualité. Bien sûr qu’on le sait quand on va chez le gynéco qu’on va se prendre un speculum dans la chatte. Mais le consentement qui n’est jamais que l’autorisation ou l’accord donné à un acte, ne peut être tacite, par définition. Elle n’est déjà pas mirobolante cette liberté qui consiste à avoir encore le droit d’éventuellement pouvoir donner son accord à une proposition. Alors si nos médecins s’en passent comme d’une formalité de bas étage, il n’y a pas beaucoup de chemin à parcourir pour admettre comme un fait que dans notre monde, le consentement des femmes n’est effectivement qu’une formalité de bas étage.

Parce que non, nous n’avons pas été élevées, loin s’en faut, dans la méfiance des mécanismes de domination que nous aurions à subir de la part des hommes. Nous n’avons même pas été exercées à les remarquer… alors les mécanismes de prise de pouvoir par les médecins sur nos corps…
Parce que les hommes sont construits pour être sujets de leurs vies, tandis que nous devrions rester de jolis objets, doux au toucher, destinés à leur rendre l’existence moins merdique. Parce que, de fait, la critique est l’apanage d’hommes blancs et bourgeois, et en tous cas pas des “femmes”, et encore moins des prolotes. Parce que la technique est plutôt l’apanage des hommes, parce que le discours est plutôt l’apanage des hommes, parce que la politique, la vie sociale et publique, l’activité choisie, l’indépendance affective, l’autodétermination sont plutôt l’apanage des hommes…
Parce que c’est la médecine qui crée la frontière entre les “hommes” et les “femmes”. Parce que la science médicale se fonde sur une représentation stéréotypée de la femme et y conforme tous les êtres doté.es d’un utérus, ou de seins, ou d’ovaires. Parce qu’ « être une femme » n’est ni plus ni moins qu’un rôle dont on a plus ou moins bien intégré le texte. Enfin, parce que rien de tout cela n’est plus naturel après des milliers d’années de civilisation.
Parce que je sens combien la médecine fournit les moyens techniques nous permettant de remettre indéfiniment à demain la révolution de tous les rapports auxquels nous sommes confronté.es quotidiennement, même lorsque nous nous y sentons piétiné.es, méprisé.es ou avili.es.
Nous devrions nous saisir de tous les moments de nous parler, pour construire une critique des manières dont on nous conforme à ce rôle enfermant et niant qu’est celui d’ « être une femme ».
Parce qu’il y a encore tellement de textes à écrire qui pourraient commencer par « si l’on ne naît pas femme… ». Parce qu’il reste tant de choses à raconter et à décrire, de la pathologisation des grossesses, de la médicalisation des naissances, des intersexualités, des choix d’une contraception définitive, des transsexualités, des ménopauses, des cancers, des vieillesses dans des corps de “femme”…
Et ça n’est pas si compliqué, vous verrez, de se dire « t’es allée chez le gynéco dernièrement ? »
Puis de voir s’épanouir ce dont nos paroles sont capables, sans comprendre pourquoi on n’a pas essayé plus tôt. Parce qu’une fois qu’on le leur permet, nos mots sont tout à la fois une boîte de Pandore et une corne d’abondance qui ne se tarit jamais.

C.

 Aux amies de chacune de mes journées, à celles qui ne sont pas du quotidien mais qui inspirent chaque jour néanmoins, aux copines d’une unique conversation passionnante, aux amies des voyages, des détours, des visites, à mes frangines, à nos grand-mères, et à Catherine. (À quelques hommes aussi, rares et triés sur le volet).
À celles avec lesquelles nous avons su construire ces moments complices, confiants, drôles, tendres, d’intelligence partagée, de non-mixité.
Ce texte est tissé de vos mots, sa matière est nos histoires, et son intention la poursuite de nos amitiés jusqu’à ce que nos vies deviennent des existences. Et encore après…

Pourquoi il faut parler du docteur Hazout

Il me semble que l’on peut affirmer que le viol n’est pas une déviance mais l’intégration la plus poussée et la plus réussie, la finalité même de la construction masculine. Il semble même étonnant que certains hommes en réchappent. On le voit dans bien des conflits armés, on le voit en Syrie aujourd’hui, on l’entend dans trop d’histoires quand elles ont l’espace de se raconter. Et cette construction masculine du mépris de l’intégrité des altérités vulnérables, cette certitude d’être dans son bon droit quand on s’approprie le corps d’autrui, se révèle un cocktail détonnant quand elle s’additionne à la place sociale hyper valorisée qu’est celle de médecin.
C’est ce que j’ai pu constater en suivant dans la presse quotidienne, Libé, Le Monde, Aujourd’hui en France, et sur Internet, le déroulé du procès du Docteur Hazout aux assises de Paris, qui s’est ouvert le 4 février pour durer trois semaines.

Le Dr Hazout, 70 ans, comparaissait libre, pour répondre de viols et d’agressions sexuelles sur six patientes. André Hazout, gynécologue de renom, spécialiste de l’infertilité féminine, au milieu de ses consultations, entre deux fécondations in vitro (FIV), s’arrogeait le droit d’embrasser certaines de ses patientes, de les caresser alors qu’elles étaient nues ou en position gynécologique, et d’aller jusqu’à en pénétrer certaines avant, pendant ou après les examens.
Des femmes qui sont citées à la barre, certaines sont parties civiles, c’est-à-dire que leur parole compte pour l’accusation. Elles sont six dans ce cas de figure, elles sont les victimes officielles. Quatre seront présentes lors des débats. Vingt-sept autres femmes sont citées en qualité de témoins, leur rôle dans le grand théâtre de la justice est de venir éclairer la personnalité de l’accusé. À charge en l’occurrence. En effet, ces vingt-sept-là ont aussi été violées ou agressées par André Hazout, mais comme les faits remontent à plus de dix ans, ils sont prescrits, ils ne comptent plus.

hopital-abandonne-moscou-russie-13Car André Hazout viole des femmes depuis 1985 au moins. On se demandera pourquoi ses patientes n’ont pas parlé plus tôt. Alors laissons-les un peu dire elles-mêmes, par le biais de leurs témoignages, dans quel état d’esprit elles étaient en allant consulter cet homme, souvent leur dernier recours pour avoir un enfant. On ne parlera pas ici de l’injonction faite aux femmes de désirer se réaliser dans la maternité à n’importe quel prix, de préférence un prix qu’elles sont seules à payer, car cette réalité transpire de bien de leurs mots.
L’une d’elle raconte : « Il m’a embrassée, je me suis laissé faire. (…) Il a essayé d’enlever mon haut, j’ai dit non. Il s’est éloigné de moi et j’ai vu qu’il baissait son pantalon. C’était choquant mais que faire ? Partir ? Je n’aurais jamais eu mon enfant. Il m’a emmenée vers le fauteuil et on a eu une relation sexuelle. Au retour, je me suis mise à pleurer, je me sentais coupable. » Une autre : « Quand je me suis retournée, il avait baissé son pantalon. Il était nu. C’était malsain. Je me suis dit « que faire ? » si je pars, je n’aurai jamais d’enfant… » Puis, décrivant un autre rendez-vous : « Il m’a annoncé que la tentative de FIV avait échoué. Et puis il m’a prise par derrière. Je me suis laissée faire. Il fallait l’accepter pour avoir un enfant. C’est comme ça ! » Une autre encore : « J’avais une confiance infinie en lui. J’avais vu tous les pontes, qui m’avaient dit : « Faites le deuil, faites le deuil. » Et j’allais avoir un bébé, j’étais dans l’euphorie. Pour mes parents, pour mon mari, le Dr Hazout, c’était le bon Dieu ! » Après un nouvel examen, pour préparer une seconde grossesse, le ton du médecin change : « Il m’a dit « maintenant, ça suffit » et m’a entraînée derrière le paravent. » Elle subit alors un rapport sexuel non protégé qui aura pour conséquence une grossesse. C’est Hazout lui-même qui pratiquera l’avortement, dans son cabinet, un samedi, par souci de discrétion : « J’avais pris une barrette de Lexomil, il m’a demandé si j’avais peur, je lui ai répondu oui. Il m’a dit : « Je vais te faire l’amour, ça va te détendre. » Il m’a pénétrée et puis il m’a dit : « Bon, on y va » et il a pratiqué l’IVG. Moi, j’étais comme une automate, j’avais l’impression d’un dédoublement » ; « Quand on regarde le contexte de ces deux fois, vraiment, ce n’est pas possible d’avoir été consentante. »

Toutes les paroles des patientes sont signifiantes : « Je me sentais moche, stérile, avec un corps douloureux (…) tout le monde, mon mari, mes parents, attendaient de moi que je fasse un enfant. » Ou « j’avais l’impression que si je m’opposais à lui, je ne serais jamais enceinte. » Ou « j’avais tellement peur qu’il ne s’occupe plus de mon dossier pour avoir un bébé que je n’ai rien dit à personne. » Ou « je me suis dit, c’est comme ça, c’est une chose de plus pour avoir un enfant. J’ai cédé à tout ce qu’il représentait, j’avais peur de perdre son attention. Il a vu que j’étais vulnérable. » Et pour finir, car il est impossible de citer toutes les femmes qui ont eu la force de venir parler, mais parce-que l’on pourra entrevoir ici le machiavélisme d’Hazout : « J’étais en plein traitement, je ne pouvais pas envisager d’arrêter les consultations (…), je savais que j’allais devoir y passer pour avoir mon bébé. » Ou « Quand il m’a conduite à l’acte sexuel, j’étais au tout début d’une nouvelle tentative de fécondation in vitro. C’était impossible d’arrêter ses agissements. À moins de tirer un trait sur mon désir d’enfant… »
André Hazout, par ailleurs, quand il n’était pas en train de violer « pénalement » parlant ses patientes, pratiquait activement un humour plus que douteux : « Il a utilisé un nouveau speculum. Il m’a dit : « Il s’agit d’un bon gros gode ceinture, tu feras moins ta maligne après ça. » Mépris et avilissement ouvrant grandes les possibilités de s’approprier un corps pour son seul bénéfice d’homme blanc doté des pleins pouvoirs symboliques du médecin.

Toutes les patientes, parties civiles ou témoins, ont refusé que les débats se tiennent à huis clos comme c’est la règle générale pour les affaires de viols. Elles avaient déjà trop subi le huis clos du cabinet, le face-à-face avec le médecin, avec celui qui leur répète « on va y arriver », « ça va marcher », « on va le faire, ce bébé » et qu’elles le nomment le « sachant », le « magicien », le « bon Dieu », dont elles admettent qu’il est le seul capable, dans ce moment de leurs vies, de les aider à procréer. Cet homme qui sur son bureau exposait un petit badge sur lequel on pouvait lire « Trust me, I’m a doctor » : « Faites-moi confiance, je suis médecin. »
Elles se sont soutenues dans leur parole, en étant présentes pour les auditions des unes et des autres. Vingt-sept sont venues témoigner de faits prescrits, sans espoir de contrepartie autre que de participer à faire cesser les agissements d’André Hazout. Certaines femmes ont fait le choix de ne pas se constituer parties civiles mais ont décidé de témoigner lors de l’enquête « pour que cela s’arrête ». « Je me suis sentie coupable, sans doute d’autres femmes avaient été agressées après moi. Mon seul but était que ça s’arrête. Je n’avais pas de volonté de demander réparation ». Beaucoup regrettent de n’avoir pas parlé plus tôt. « À l’époque, je ne pouvais pas imaginer que je n’étais pas la seule. Je ne pensais pas qu’on était aussi nombreuses. Quand je vois toutes ces femmes défiler, j’hallucine ! »
Et c’est par la parole de l’une d’entre elles, sur un forum internet, que se sont déployées, rassurées, plus assurées, celles des autres : « Quand elle m’a raconté, je me suis dit qu’il n’était pas possible de laisser faire. »
hopital-abandonne-moscou-russie-15Si ces femmes n’ont pas parlé plus tôt, c’est pour mille raisons qui leur appartiennent et dont on ne peut parler sans les trahir. Même s’il est difficile de ne pas projeter sur elles nos propres terreurs, tous nos silences face aux agressions, aux gestes intrusifs, au viol quotidien et ordinaire de nos intégrités physique et psychique. Parce que nous sommes construites pour puer la vulnérabilité et parce que notre silence et notre honte sont organisées de manière tellement efficace.
Mais il faut dire que si André Hazout a pu violer au moins trente patientes depuis les années 80, dans le cadre de ses fonctions, c’est avec la quasi bénédiction du Conseil de l’Ordre des Médecins. Car dès 1985, le Conseil de l’Ordre reçoit des dénonciations de ses pratiques. En 1988, un homme contacte ledit Conseil pour se plaindre des agissements du médecin sur son épouse. En 1990, un courrier est envoyé disant en toutes lettres « j’ai été abusée ». D’autres courriers sont envoyés et reçus en février et novembre 1996. En 1999, au moins un coup de téléphone est passé. Le docteur Hazout ne sera radié définitivement du Conseil de l’Ordre qu’en 2013.

S’admettre à soi-même que l’on a été violé.e est souvent un chemin long et difficile. Arriver à parler implique la lente restauration d’une estime de soi piétinée, des soutiens et interlocuteur.trices dans lesquel.les on peut placer sa confiance. Et quand il s’agit de dénoncer un ponte dans son domaine, celui par lequel est arrivée la reconnaissance sociale majeure et distinguée de votre statut de femme, la maternité… il en faut des forces pour l’ouvrir. Il faut dire combien, dans ces différentes étapes, le moindre bâton dans les roues peut faire exploser toutes les intentions de se reconstruire dans la parole et de trouver des moyens de protéger d’autres personnes vulnérables d’agissements similaires.
Le Conseil de l’Ordre, dont plusieurs représentants sont venus s’expliquer sur ses « carences » et « dysfonctionnements » à la barre, a poussé l’indécence jusqu’à vouloir se porter partie civile dans le procès. Ce qui n’a pas été permis par l’un des avocats de l’accusation et a quand même été dénoncé comme une manœuvre assez immonde de blanchissement de leur collaboration active. Collaboration qui a permis à André Hazout de violer des dizaines de patientes. Les déclarations d’un ancien secrétaire adjoint du Conseil de l’Ordre, en charge des dossiers de plaintes reçues, sont explicites : « Vu la très grosse clientèle du Dr Hazout, il y a des exercices qui présentent plus de risques que d’autres… » Il va de soi, qu’un ponte, exerçant dans le 17ème arrondissement de Paris, décoré de la légion d’honneur en 2006, et pratiquant des dépassements d’honoraires vraisemblablement exorbitants, a dû rendre bien des services à des gens de la haute. Périlleux de remonter les bretelles de ce genre de sale personnage confit dans la thune, les honneurs et les relations. C’est un exercice moins risqué, cela va de soi, de pinailler auprès de médecins de bas étage qui payent en retard leurs cotisations. On lit aussi dans ses mots sa révérence de la caste des dominants : « Si nous avions été informés par quelqu’un de [la] notoriété et de [la] qualité [du docteur Frydman, collègue du Dr Hazout et gynécologue renommé lui aussi] qu’il y avait quelqu’un dans son service aux comportements anormaux, nous aurions sévi. » Son témoignage transpire la hiérarchie indécrottable qu’il perpétue entre la parole de patientes violées et la parole de praticiens de qualité, à la renommée incontestable dont l’éthique ne souffre aucun doute. Hazout était de ces praticiens de qualité, à la renommée indiscutable.

Il y aurait tant à dire sur ce procès, qu’un tout début d’analyse s’imposait, malgré ses aspects parcellaires, raccourcis et non-développés. Il y aurait tant à dire…
La défense d’André Hazout, par exemple, aurait mérité un décorticage en règle, tant elle est digne de figurer aux annales du croisement hideux entre le pouvoir médical et la domination masculine conjugués dans cet homme. Par malheur, mais sans hasard. André Hazout parle, et c’est innommable : « Je comprends qu’elles se soient laissées entrainer par mon charme (…), je ne pensais pas qu’elles m’idolâtraient à ce point. » Bien qu’il sache aussi adopter tous les codes du tribunal, pour être jugé comme leur semblable, un de leurs pairs : « Si embrasser sur les cuisses est une agression sexuelle, alors oui, j’ai fait une agression sexuelle. Mais je ne les ai ni forcées, ni contraintes, ni surprises (exacte définition pénale du viol). À aucun moment je n’ai senti de réticence. » ; « Je ne suis pas un violeur, je n’ai jamais violé personne. » ; « Aujourd’hui, après trois semaines d’un long débat difficile, très dur, je réalise tout le mal que j’ai pu engendrer sans le vouloir, sans m’en rendre compte, et je veux demander pardon à ces femmes, à mon épouse et à mes pairs.« , tout en réclamant de ne pas être condamné « pour l’exemple ».
Son avocate s’est permis un « il est incontestable qu’A. Hazout s’est un certain nombre de fois mal comporté, mais ce n’est pas un criminel » qui reste une lecture plutôt euphémisée des faits vraiment cradingues relatés trois semaines durant. Hazout n’est pas juste un sale garnement qui a fait une grosse bêtise. Elle se permettra même d’être plus qu’insultante avec les patientes violées en déclarant que : « La frontière entre l’admiration et la séduction est fragile. » Comme de nier sans complexes la réalité sociale du viol en déclarant « mais un viol, ce n’est pas une question, c’est un fait hurlant. » La défense de sa classe sociale prime par trop souvent sur la défense de sa classe de sexe. Me Caroline Toby nous en fait l’éclatante démonstration.
En effet, nous serons moins surpris.es de savoir que l’autre avocat de la défense, Me Francis Spintzer, a pu déclarer dans sa plaidoirie finale : « Vous allez condamner André Hazout, mais je vous demande de répondre « non » à la question des viols (…), vous le déclarerez coupable d’avoir commis des atteintes sexuelles, mais vous écarterez la circonstance aggravante de la vulnérabilité des victimes et de l’autorité qui s’attache à la qualité de médecin gynécologue. » Il va de soi qu’il a accueilli la condamnation de son client avec « déception ». Me Spintzer a annoncé son intention de faire appel de la décision du tribunal en affirmant que « le combat continue ». On ne pouvait en attendre moins dans la mesure où la défense des violeurs, la sublimation du viol comme modèle des rapports et l’écrasement par le mépris des personnes ayant subi un viol est de tout temps, et dans bien des cultures, un ciment social dont les puissants ne peuvent se passer.
Après les trois semaines de débats, l’avocate générale avait requis contre André Hazout une peine de douze années de prison. Sur ces douze années, elle réclamait dix années incompressibles, c’est-à-dire sans possibilité d’aménagement de peine, parce que c’est le « minimum pour un crime ». Elle demandait que cette peine soit assortie d’une interdiction d’exercer. En même temps, Hazout est un vieux croulant dégueu, peu de chance qu’il ait pu repartir au turbin. La cour et les jurés ont délibéré quatre heures durant pour prononcer une peine de huit années, assortie de l’interdiction d’exercer. Huit années, c’est affirmer qu’Hazout n’est pas un criminel, que ses actes relèvent du délit.

hopital-abandonne-moscou-russie-20Qu’il soit bien clair que je ne ferai aucun commentaire sur la peine d’André Hazout, je suis de ces gens qui refusent, théoriquement au moins, d’exercer le moindre pouvoir sur leurs congénères, et qui en toutes circonstances refusent de prétendre participer à l’organisation ou à la gestion de ce monde. Néanmoins, je pense que la justice, comme la médecine, a des rôles et fonctions sociales précises, et notamment celle de s’adresser directement au corps social. Cette peine, je la reçois donc comme un message très clair. J’étais fin janvier au procès en appel de Philippe Lalouel, un prisonnier longue peine, que j’ai vu être condamné à dix-sept années de prison pour avoir braqué trois agences postales avec une arme volontairement non-chargée. Philippe, qui à 46 ans a passé 23 années de sa vie en prison a été contaminé par le VIH lors d’une transfusion sanguine à l’hôpital, en 1986. J’ai vu cet homme, encore debout malgré tout, la taule, la maladie, l’isolement, malgré sa vie volée… j’ai vu ce survivant dire qu’il n’a pas violenté les guichetières, mais que c’est le jeu dans un braquage de faire peur à celui ou celle qui tient la caisse. J’ai vu les guichetières bien obligées d’assumer que si elles sont revenues à l’appel, c’est pour s’assurer que la peur qu’elles ont vécue, leurs traumatismes soient validés par des années de prison ferme, encore plus, toujours plus… c’est à l’aune du traumatisme que ce calculent les indemnités. Mais elles ont eu beau tenter, marionnettes de la Banque Postale, appâtées par le gain, de faire passer une grosse trouille pour des violences, c’était risible, car de violences il n’y a point. Pour la peur infligée à ces femmes, qu’il reconnaît, et pour laquelle il s’excuse, Philippe a été condamné à rester en prison jusqu’en 2039. Tant pis si le sida ou la taule le crèvent avant qu’il n’ait eu une chance de vivre…
Parions qu’en 2022, s’il n’est pas mort, Hazout sera en train de se refaire une santé avec le magot soutiré aux femmes dont il jouissait par-dessus le marché. Parions en tous cas que si l’un des deux meurt en prison, ce sera Philippe, car Hazout, de par sa position sociale, bénéficiera sûrement, lui, le vieux libidineux, de la loi Kouchner, contrairement à la majorité des prisonnier.es atteint.es par le sida.

Alors c’est on ne peut plus clair, à vous tous et toutes qui êtes vulnérables pour quelque raison que ce soit, à un moment donné de votre vie, retenez bien que l’argent que vous avez mis à la banque est défendu avec un acharnement singulier par la justice, tandis que l’intégrité de vos corps ne vaut rien. Retenez que la société par sa mascarade judiciaire enfermera jusqu’à l’élimination les méchants braqueurs qui en veulent à l’argent des banques parce qu’ils en ont besoin, mais que si vous avez été contraint.es à l’avilissement, au viol, si votre intégrité a été malmenée, niée, annihilée, la réponse judiciaire le martèle : c’est bien moins grave.
Il va falloir que nous inventions des manières de ripostes ensemble, par la parole, par l’écriture, par l’entraide active, par l’action, mais que nous arrêtions d’imaginer une seconde que nous valons plus que les moyens de spéculation que nous offrons à la Banque Postale. Ou que la justice n’existe que pour réparer les torts que nous pourrions subir.
Ils défendent la propriété, nous combattons pied à pied l’appropriation de nos corps à leurs desseins…
Nous ne sommes pas du même bord, et c’est irréductible.

C.

De la radiophobie, et autres pathologies psy…

Dans la droite ligne négationniste des médecins et psychiatres français du programme SAGE, qui inventèrent le concept de « radiophobie » afin de faire passer les effets de la radioactivité sur les populations vivant autour de Tchernobyl pour une sorte de stress post-traumatique, le gouvernement indien projetait jusqu’à récemment d’employer l’arsenal psychiatrique pour briser les luttes antinucléaires locales. La tentative ayant fuité dans la presse et suscité un tollé, elle fera finalement long feu.

Retour en France où des chercheurs s’évertuent en ce moment même à faire de « l’électrosensibilité » une pathologie strictement psychosomatique. L’électrosensibilité, c’est cette sensibilité au brouillard électromagnétique produit par les antennes-relais, téléphones portables et autres ondes wifi. Mais pas lieu de s’alarmer apparemment : à en croire les pouvoirs publics, « la maladie des ondes, c’est dans la tête » comme le titre ironiquement « Le Canard enchainé ».

Et l’harton553ebdomadaire satyrique de nous décrire par le menu les résultats de la « grande étude » sur le sujet promise en 2009 par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot. On n’y trouve pas trace d’analyses biologiques, de relevés d’IRM ou de groupe témoin ne serait-ce que pour donner une caution scientifique à l’étude. Non, non, on aura droit aux analyses éclairées d’un sociologue, d’un psychiatre et d’un journaliste pour nous assurer du caractère « mythique », voire carrément pathologique de cette nouvelle « mode ». « Pas mal d’entre nous ont peur de participer à l’étude, de peur de se retrouver en psychiatrie », dénonce un membre du collectif des électrosensibles de France. La psychiatrie, c’est politique, qu’on vous disait…

Sources : Arkadi Filine, Oublier Fukushima, Les éditions du bout de la ville, 2012 ; « Courrier International », 28/06/12 ; « Le Canard enchainé », 21/03/12

Paroles de retenus…

arton996Paroles de retenus depuis la prison pour étrangers de Vincennes, est une brochure publiée en 2012 par un groupe de personnes qui ont décidé d’appeler les cabines publiques du Centre de rétention administratif (CRA) suite à une manifestation. Ils expliquent leur démarche: « Il nous semblait important d’avoir le ressenti des retenus par rapport à la manif’, savoir ce qui c’était passé à l’intérieur à ce moment-là. Nous avons par la suite entretenu un contact régulier avec des retenus pendant plusieurs mois. (…)
Être régulièrement en contact avec les retenus permet tout d’abord de faire sortir leur parole de ces lieux d’enfermement, sans la médiation des associations qui collaborent à l’intérieur ou de celle des flics.(…)Relayer la parole des retenus est un moyen d’estomper le flou entretenu autour de ces lieux et d’être au courant des luttes à l’intérieur, nous laissant la possibilité de les soutenir. C’est donc une source de motivation réciproque, qui brise le mur entre l’intérieur et l’extérieur et permet de se sentir moins isolés, dedans comme dehors. »
La démarche des auteurs de la brochure nous a particulièrement touché-e-s car nous estimons crucial de publier des témoignages de personnes directement soumises à un pouvoir sans que ceux-ci ne soient médiés ou filtrés par ceux qui l’exercent sur elles.
Mais surtout à la lecture de ces Paroles de retenus, nous avons été interpellés par le fait que près d’un témoignage sur deux fait mention d’un rapport avec le corps médical. « Sur 30 détenus y en a 25 qui sont cachetonnés. En fait même si on essaie de discuter avec les nouveaux arrivants pour qu’ils refusent de prendre certains médicaments, les médecins incitent la plupart des gens à en prendre. Ils leur donnent du Valium, du Semesta et des substituts de drogues. Certains veulent arrêter les médicaments, les médecins les laissent tranquilles un jour, puis leur redonnent un rendez-vous le lendemain pour leur refaire prendre des médicaments. Y’a rien à faire à part dialoguer entre nous. » On voit que, dès l’arrivée au CRA, les soignants prennent en charge les retenus.
« J’ai vu le médecin, il m’a donné des médicaments, je suis pas malade, mais il m’a donné des trucs pour être tranquille. »
« L’infirmière… bah franchement les infirmières elles donnent des cachetons, les mecs ils sont comme desf ous.Tout le monde réclame des cachetons, ils prennent des cachetons pour dormir, pour ça, pour ça, pour
ça…Ils sont fous ils sont accrocs à des… On dirait on est à la Colombie ou j’sais pas. Tous les jours les mecs ils avalent n’importe quoi, des cachetons rouges, des cachetons bleus, des cachetons jaunes… J’sais pas. »
« Le Valium tu vois, y’a des gens ils sont drogués avec le Valium, ils deviennent des toxicos… »
On constate, sans trop de surprise, que les médecins ont pour rôle d’écraser toute révolte potentielle en assommant les retenus, ce qui a pour conséquence d’en rendre certains dépendants aux somnifères, aux calmants, aux antidépresseurs… Alors que ceux dont l’état de santé nécessite un traitement, ne l’obtiennent pas automatiquement.
« Moi par exemple j’ai une grippe, je tousse très fort. J’ai demandé des médicaments, ils m’en ont pas donné, ils disent qu’y’en a pas, qu’il faut se les faire amener de dehors.Par contre si tu veux des drogues et des somnifères,là y’a pas de problème ils te les donnent très facilement, tout comme les calmants. En fait y’a pas de Doliprane, Aspirine, Fervex, tout ça pour soigner un rhume, mais y’a des trucs pour te calmer, pour que tu t’énerves pas, quand tu prends ça t’es sur une autre planète. »
« J’ai vu le médecin car moi j’ai une maladie, j’ai une hépatite B. Normalement il faut que je me soigne dehors, parce que j’ai mon docteur dehors, mais non ils veulent pas me libérer, c’est comme ça. En plus j’ai un régime alimentaire, parce que cette maladie elle attaque le foie, il me faut un régime alimentaire mais ils en ont rien à foutre de moi, ils me laissent ici crever, voilà. J’ai les preuves, j’ai les ordonnances, les prises de sang, j’ai toutes les preuves. Ils me donnent pas les médicaments, ils m’ont dit « on n’a pas ton traitement ». Alors je lui ai dit « tu peux me libérer pour que je me soigne, pourquoi je reste ici ? » Il m’a rien répondu. Ici y’a que des cachets, que des calmants, c’est tout. Si t’as besoin de calmants, de drogues, des anti-stress et tout, d’accord, si t’as besoin de ça, sinon à part ça y’a rien. » Pourtant les médecins ont le pouvoir de faire sortir les retenus sur simple avis médical:
« Moi deux fois j’ai été libéré par le médecin pour cause médicale, j’ai une broche au pied. Ça arrive souvent qu’il libère des gens sur avis médical. »
Mais ce que l’on constate c’est qu’en toute conscience, le plus souvent, les médecins ramènent les détenus dans leur prison : « Y’a trois mecs qui ont fait des tentatives de suicide en deux jours, ils les ont amenés à l’hôpital et ils les ont ramenés ici après une journée à l’hôpital. »
Alors que, comme le dit très bien un retenu, quand les conditions de vie sont aussi épouvantables que dans un CRA, la médecine n’y peut rien: « Moi, je vais pas voir le médecin, moi j’ai pas besoin de cachets, moi j’ai besoin de liberté, moi j’ai besoin de voir ma fille dehors. »
Que ne se montre-t-elle sous son vrai visage, collaboratrice active de la rétention d’individus qui sont enfermés pour la simple raison qu’ils ne possèdent pas de papiers d’identité…

L’intégralité de cette brochure, qui ne parle pas que du pouvoir médical, est lisible et téléchargeable sur ici.

Contre les implants auditifs…

arton1027Contre les implants auditifs et la loi sur le dépistage ultra précoce de la surdité. Cette brochure nous aide à comprendre la problématique de la communauté sourde, son histoire, sa bataille permanente pour faire admettre sa différence linguistique et les nombreuses tentatives des pouvoirs publiques et médicaux de la réduire au seul statut de minorité d’ »handicapés ».

Cette brochure a été écrite par une interprète bilingue Français-Langue des Signes Française (LSF). Nous- mêmes, sommes entendants et non-signants, donc nous ne prétendons pas comprendre l’intégralité des enjeux des revendications de la communauté sourde française, mais un certain nombre de leurs critiques liées au pouvoir médical nous paraissent importantes à relayer. Et notamment les écrits du groupe OSS2007, « Opération de Sauvegarde des Sourds et de leur langue la LSF », qui entre autres, a écrit une lettre aux députés, au président de la République de l’époque (Sarkozy) et pour cinq de ses membres, se sont mis en grève de la faim, pour faire entendre leur voix contre l’implant cochléaire et le dépistage ultra précoce de la surdité (1). Profitons en pour redire que les Sourds ne sont pas muets mais que lorsqu’ils écrivent le français, ils s’expriment dans une langue étrangère.

Et voilà ce qu’ils disent dans leur « Lettre aux députés » (2) pour leur demander de s’opposer au projet de loi les concernant:
« Vous, presque tous, nous regardez comme des malades ! Parce que nous sommes malades, nous ne pouvons pas nous penser de manière saine. Forcément, puisque nous sommes malades, notre pensée est malade. Heureusement, devez-vous penser, que vous, qui êtes sains de corps et d’esprit puisque vous n’êtes pas handicapés, êtes là pour bien penser sur nous et agir sur et pour nous dans notre meilleur intérêt! Ce qui nous rend malades en fait,ce n’est pas notre déficit auditif mais VOTRE REGARD! Un regard qui pense sur nous, mais qui ne se confronte pas à nous, à notre réalité. (…)
Ceux qui, parmi nous, ont hélas grandi dans l’acharnement thérapeutique et éducatif centré sur la vocalisation et dans la privation de la langue visuelle sont loin des résultats attendus comparativement aux moyens investis.(…) Le résultat est qu’ils ne sont pas pour autant devenus entendants et en plus ils ont perdu la possibilité d’être bien-Sourds. Une double perte en somme… (…) Nous n’acceptons pas votre mépris sur notre langue ! (…) Le devenir des « têtes blondes » sourdes est au centre de nos préoccupations. Des vôtres sûrement. Elles, ces têtes qui rêvent, qui souffrent, qui aspirent au meilleur de la vie, ce n’est pas d’un bistouri, ni du lourd casque de la cabine de rééducation, qu’elles auraient besoin. (…) »

La lecture de la brochure nous a donné envie de chercher de plus amples informations sur la manière dont les Sourds jugent le sort qui leur est fait. Le groupe OSS2007 de Rennes publie sur internet un texte de soutien aux grévistes de la faim dont voici des extraits:
« Ce n’est pas de ne pas entendre que nous souffrons.
Notre souffrance est de ne pas être entendus.
Vous voulez nous faire entendre, nous faire parler.
Vous vous acharnez sur nos oreilles et nos cordes vocales.
Que n’inventez-vous pour chasser notre surdité ?
Depuis le premier cornet acoustique jusqu’aux manipulations génétiques, en passant par l’implant cochléaire, votre génie n’a d’égal que votre haine de notre surdité. (…)
NOUS EXISTONS !
Notre vie serait bien plus simple et plus heureuse si vous nous laissiez suivre le cours de la nature… (…) Car le monde nous apparaît hostile puisque nous ne sommes pas désirés. L’intégration nous prive de la joie bien humaine d’être ensemble, de nous retrouver entre semblables et d’être portés par le tissu vivifiant de la Communauté Sourde internationale qui compte 7 millions de membres. (…)
Pourquoi nous refusez-vous le droit d’exister non pas avec notre handicap qui en fait est une vue de votre esprit, mais avec notre différence linguistique et culturelle porteuse de mille possibles? (…) Nous savons ce qui est bon pour nous et vous n’avez pas à vous targuer de savoir ce qui est bon pour nous !
Nous n’acceptons plus de souffrir de votre bêtise, de votre aveuglement, de votre entêtement, de votre refus de nous entendre ! (…) Nous refusons d’être refusés ! »
Et quand le groupe breton appelle à la manifestation c’est dans des termes on ne peut plus clairs.
Extraits :
« NON les sourds ne veulent pas être soignés contre leur gré
OUI les sourds sont en bonne santé
OUI les médecins ORL sont des spécialistes de l’oreille
NON les médecins ORL ne sont pas des spécialistes de la vie des sourds
NON l’implant cochléaire n’est pas un miracle
NON les sourds implanté n’entendent pas normalement
OUI de nombreux sourds implantés ont besoin de la LSF
NON les parents de sourds ne sont pas bien informés
NON les professionnels de la surdité ne leur donnent pas une information totale et non orientée
OUI les sourds ont l’expérience de la surdité
OUI les sourds peuvent informer et rassurer les parents (…)
NON les sourds ne veulent pas que les entendants continuent à prendre leur place pour tout décider »

Sans en être très étonné-e-s, nous avons, par cette brochure,pris la mesure de la force destructrice d’un regard normalisant sur une communauté quand il est étayé par des justifications médicales: « bien- vivre », « épanouissement » des individus selon les normes dominantes. En revanche, nous avons été très agréablement surpris par la radicalité et la force de la critique des Sourds d’OSS2007, et leur proximité « camarade » dans l’analyse qu’ils portent sur le pouvoir médical. Nous affirmons avec eux qu’il n’y a pas lieu de réparer des individus qui ne se vivent pas comme déficients. Les Sourds ne sont pas cassés, quand bien même leur différence linguistique les posent comme de pures altérités pour nous les entendants non-signants. Restons attentifs avec l’auteur de la brochure à ce que nos regards n’imposent pas qu’une « personne (doive) être réparée pour accéder au statut supposé enviable d’ « entendant »« , ou à un quelconque autre statut que nous jugerions indispensable : être travailleur, vivre en couple, faire des enfants… Si « Pour vivre dans ce monde, il faut se conformer à la norme quitte à se transformer en homme bionique » nous ré-affirmons que dans un tel monde, nous ne nous sentirons jamais « épanouis« .

La brochure est téléchargeable ici.

Notes :
(1) Tiré de la brochure « L’opération consiste à ouvrir la boite crânienne, y installer un aimant sur lequel se pose un récepteur extérieur. L’intervention porte aussi sur l’oreille interne (on remplace des éléments déficients de la cochlée). Siemens, entre autres, fabrique ces appareils. Ces interventions se sont massivement répandues depuis. L’enfant et l’adulte sont condamnés à repasser régulièrement sur le billard pour changer les appareillages. » Et voilà comment Siemens, le fabriquant des appareils conçoit le dépistage: il « doit être réalisé quelques jours après la naissance, avant que l’enfant ne sorte de l’hôpital. Le test ne prend que quelques minutes et peut être réalisé pendant le sommeil du bébé ». C’est net, aucun enfant ne pourra plus y échapper et plus aucun parent ne pourra rencontrer son enfant sans être préalablement informé de toutes ses supposées déficiences. (retour au texte)
(2) Cette lettre est reproduite dans son intégralité dans la brochure. (retour au texte)