La charte des internés

Diffusée fin 1975, la Charte des internés est un texte collectif qui porte la signature de cinq groupes aux horizons politiques assez divers : Marge (voir ici), l’AERLIP (association pour l’étude et la rédaction du livre des institutions psychiatriques), formée massivement d’infirmiers et fondée pour dénoncer un certain nombre de mauvais traitements dans l’HP, le GIA (groupe informations asiles), premier mouvement de psychiatrisés en France dans la lignée du GIP (groupe informations prisons), le comité de lutte des handicapés, dont le préambule précise bien qu’ils considèrent leur combat comme partie intégrante de la lutte des classes et non pas comme une lutte sectorielle, et la revue Garde-fous. Il est aussi question dans le texte d’apports des mouvements allemand SPK (voir ici) et anglais MPU (Union de malades mentaux).

Ce qui nous touche le plus dans cet appel, c’est qu’il porte de l’intérieur de l’hôpital des exigences sans conditions, formulées avec détermination. La Charte des internés nous rappelle que, même entre les murs, des luttes collectives restent possibles. Même si, 40 ans plus tard, la plupart de ces revendications seraient toujours d’actualité, ce texte porte la marque de son époque: une période d’effervescence politique où l’horizon révolutionnaire faisait se nouer des alliances qui seraient difficilement concevables de nos jours. Cette Charte est aussi le reflet d’une séquence historique assez particulière pour l’hôpital psychiatrique lui-même, en plein aggiornamento (mise à jour, ravalement de façade) mais dont le caractère asilaire saute toujours aux yeux. C’est dans ce contexte général qu’il faut resituer la place accordée dans ce texte à l’identité de travailleur, revendiquée pour l’interné qui, selon les auteurs, n’est jamais que « provisoirement dans l’incapacité de travailler » : l’infirmier psy et « l’interné » partageraient fondamentalement cette condition de travailleur, ce qui leur permettrait d’envisager de lutter ensemble, au delà des antagonismes qui traversent l’hôpital. Une position que Sans remède ne partage pas, nous l’avons suffisamment répété dans nos pages.

Cette charte ne vise pas à l’amélioration de la psychiatrie, mais vise la destruction complète de l’appareil médico-policier.
Cette charte s’inscrit dans le combat pour conquérir, dans un premier temps, les droits démocratiques les plus élémentaires qui sont enlevés aux travailleurs que la psychiatrie parvient à isoler. Ceci n’est possible qu’en brisant l’isolement des internés :
1. En détruisant l’institution carcérale par des luttes contre les modalités actuelles d’entrée et de sortie de l’hôpital (placement d’office et placement volontaire), ainsi que contre les restrictions de la libre circulation à l’intérieur des établissements psychiatriques.
2. En brisant l’isolement de l’interné dans son statut d’assisté, d’irresponsable et de fou. Il s’agit d’obtenir celui de travailleur en lutte avec tous les acquis s’y rattachant, même si certains d’entre nous se trouvent provisoirement dans l’incapacité de travailler. Ce combat, comme ceux des autres couches opprimées, rejoint en ce sens la lutte de la classe ouvrière pour la destruction de l’ordre capitaliste.
3. En brisant l’isolement dû au silence entourant la prescription médicale et obtenir ainsi le contrôle du traitement.
Cette charte est le produit des revendications exigées par des camarades internés tant en France que dans d’autres pays comme l’Angleterre par le MPU (Union de Malades Mentaux) et en Allemagne par le SPK (Collectif Socialiste de Patients).
Elle vise au développement de luttes permises par le regroupement de psychiatrisés et de travailleurs (soignants ou non) telles celles parmi les plus récentes : des « malades » de Maison-Blanche en novembre 1974 et la campagne contre les internements et la loi de 1838 menée par le GIA (groupe d’information sur les asiles).
Elle vise à déclencher d’autres luttes de travailleurs (psychiatrisés ou non) contre la psychiatrie, afin de déterminer les organisations politiques et syndicales à prendre une position claire dans ce combat.
Pour aboutir, cette charte doit être reprise massivement par l’ensemble des camarades internés et des travailleurs (soignants ou non) qui les soutiennent.
En ce sens elle peut être le point de départ à la création de groupes, comités, commissions, etc, visant à organiser la lutte dans le plus grand nombre d’établissements psychiatriques, ainsi qu’à l’extérieur de l’institution où le problème de la psychiatrisation des conflits est de plus en plus à l’ordre du jour. Elle doit donc également susciter un travail similaire en ce qui concerne la psychiatrie hors des murs en se plaçant sur un terrain de solidarité de travailleur à travailleur.
C’est ainsi que cette charte issue d’un projet élaboré au cours des luttes menées plus particulièrement par les militants du GIA a permis, lors de son élaboration finale, le rassemblement de divers groupes militant contre l’organisation capitaliste de la production et de la santé.

NOUS EXIGEONS L’APPLICATION DE LA PRÉSENTE CHARTE :
AUX MINEURS COMME à TOUTE PERSONNE INTERNÉE

1. NOUS EXIGEONS L’ABOLITION DE LA LOI DE 1838 :
C’est-à-dire, la suppression du placement d’office et du placement volontaire, ainsi que la suppression de l’Infirmerie spéciale de la Préfecture de Police (rue Cabanis, à Paris-4ème) qui matérialise la relation existant entre la pseudo-science psychiatrique et l’instrument répressif qu’est la police.

NOUS EXIGEONS :
2. L’abrogation de la loi de 1954 sur les ALCOOLIQUES et celle de 1970 sur la TOXICOMANIE ; lois répressives qui, loin de résoudre les problèmes posés par l’alcoolisme et la toxicomanie ne visent qu’à orienter et contrôler dans le sens des intérêts de la classe dominante,
3. L’abrogation de la loi sur le vagabondage, l’arrêt des expulsions des travailleurs immigrés sous couvert de rapatriement sanitaire,
La suppression des hôpitaux et services de force (Henri Colin, Sarreguemines, Cadillac, Montfavet).

CONCERNANT NOTRE SÉJOUR à L’HÔPITAL, NOUS EXIGEONS :
4. L’abolition de l’envoi de renseignements aux préfectures qui les retransmettent aux commissariats, ainsi que la destruction du fichier de polices des aliénés dits « dangereux ».
5. L’affichage dans chaque chambre des règlements intérieurs et des droits des internés,
6. Le droit pour tout interné de consulter à tout moment son dossier comme de le sortir, lui permettant entre autres choses d’appeler en justice,
7. Que soit appliquée la circulaire ministérielle n° 1796 de Jacques Baudouin du 20 avril 1973 dans laquelle il est dit que : « …le secret n’est pas opposable au malade dans l’intérêt duquel il est institué ; ce dernier peut donc soit se faire remettre tout ou partie de son dossier médical ou le communiquer directement au médecin de son choix ainsi qu’à des tiers ; il peut notamment décider de produire ce dossier en justice s’il le désire. La jurisprudence de la Cour de Cassation et du Conseil d’état concourent sur ce point »,
8. Le droit de refus de la désignation administrative du lieu d’hospitalisation et du médecin traitant.

CONCERNANT LES TRAITEMENTS, NOUS EXIGEONS :
9. L’abolition des traitements irréversibles (électrochocs, psychochirurgie…),
10. La connaissance du traitement appliqué  et ses effets secondaires éventuels, et ceci avant la prescription,
11. Le droit de refus d’un traitement ou d’un médicament, c’est-à-dire un droit effectif de contrôle sur les traitements,
12. D’être informés lorsqu’un médicament en est son stade expérimental,
13. D’être en possession d’une ordonnance claire, en écriture non chiffrée, nous permettant de contrôler ce qu’on reçoit des infirmiers, qui l’exécuteront sous nos yeux et non à l’avance, afin d’éviter les traitements parallèles, comportant entre autres le surdosage.

CONCERNANT LA SORTIE, NOUS EXIGEONS :
14. Qu’un logement soit assuré après la sortie,
15. Que l’absence d’un emploi à la sortie ne soit pas un obstacle à celle-ci,
16. Qu’un emploi dans le métier de son choix puisse être assuré à la sortie par l’intermédiaire de l’Agence Nationale pour l’Emploi, sans discrimination et avec formation professionnelle si nécessaire,
17. La suppression des restrictions à l’embauche telles que l’inaptitude pour raisons psycho-pathologiques,
18. Qu’une indemnité de chômage, au moins égale au SMIC soit allouée à ceux ne trouvant pas de travail.

CONCERNANT LA VIE à L’INTÉRIEUR DE L’HôPITAL, NOUS EXIGEONS :
19. Le droit de nous syndiquer dans les sections syndicales du lieu d’hospitalisation et de nous organiser de façon autonome pour la lutte dans les comités incluant le personnel soutenant notre combat,
20. L’abolition du travail FORCé sous prétexte d’ERGOTHéRAPIE (ménage, service de cantine ou travail à façon…),
21. Que tout travail d’un hospitalisé soit rémunéré au temps de travail, par un salaire au minimum égal au SMIC ; sans salaire au rendement ni cadence,
22. Le droit de pouvoir refuser un concessionnaire ou ses tarifs pratiqués,
23. Le droit d’accès et de contrôle des comptes en détail des comités gérant le travail et le salaire des hospitalisés,
24. L’organisation collective par les hospitalisés eux-mêmes de la vie à l’hôpital : horaires de lever, de coucher, des repas, etc…,
25. La suppression du droit des visites pour raisons médicales ou autres,
26. La suppression de toute censure tant du courrier que des communications téléphoniques,
27. La liberté de presse effective à l’intérieur de l’hôpital,
28. Le droit effectif d’affichage avec tableau sans aucune censure,
29. Une salle commune de réunion interservices, ouverte en permanence et à tout le monde, y compris à toute personne et à tous groupes extérieurs,
30. La suppression de la permission de parc : celui-ci est à tout le monde,
31. Le droit de conserver ses vêtements et affaires personnelles et de pouvoir les mettre en sécurité sans intervention du personnel,
32. La suppression des grands dortoirs,
33. L’extension de la mixité à tous les pavillons des hôpitaux psychiatriques et la possibilité de vie commune à l’intérieur des services afin que cette mixité ne soit pas un simple mot,
34. Le libre accès à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à la grossesse et à toutes les informations concernant ces quatre points,
35. Nous refusons les changements d’hôpital, de service ou de chambre sans l’accord de l’interné lui-même,
36. Nous exigeons d’être présents et assistés par la personne de notre choix pour tout entretien nous concernant entre les membres du corps médical ou administratif ainsi que de ce personnel avec des tiers.

MOUVEMENT MARGE
REVUE ET GROUPE GARDE-FOUS
L’AERLIP
COMITéS DE LUTTE DES HANDICAPéS
GROUPE INFORMATION ASILES

Retour sur le S.P.K.

Nous n’avons pas la prétention ici de décortiquer un mouvement, mais d’en présenter quelques lignes, dont le caractère offensif nous a plus. Nous joignons la préface écrite par Jean-Paul Sartre du livre du S.P.K. Faire de la maladie une arme qui nous semble éclairer les propos très théoriques du S.P.K. (Sozialistisches PatientenKollectiv / Collectif socialiste de patients). Nous ne reprenons pas à notre compte l’intégralité de l’analyse théorique de ce groupe marxiste. Il nous semble que la part de gestion sociale assurée par le pouvoir psychiatrique n’est pas assez prise en considération dans leurs analyses. C’est un exemple allemand d’antipsychiatrie dont la singularité est de replier complètement la critique du psychiatrique sur celle des rapports de production capitalistes.

Le S.P.K. est un collectif qui s’est constitué au début de l’année 1970 dans la clinique psychiatrique universitaire de Heidelberg, et ce autour du psychiatre Huber. Ils ont mené un certain nombre d’actions, notamment ils occupèrent leur clinique, qui devint leur local. Ce groupe s’inscrit dans les mouvements diffus qui traversaient l’Europe et qui visaient à critiquer la psychiatrie. Ce mouvement, dans sa forme primitive, a duré jusqu’à la fin de l’année 1972 et l’arrestation de Huber, qui fut condamné à 4 ans et demi de prison pour « association criminelle ». Le S.P.K. lui-même n’a été à aucun moment ni condamné ni interdit. Pour autant ça n’a pas empêché une répression violente (1) de s’abattre sur ses membres. Le mouvement perdura et existe encore actuellement sous une autre forme.

Chers camarades,
cerveauJ’ai lu votre livre avec le plus grand intérêt. J’y ai trouvé non seulement l’unique radicalisation possible de l’anti-psychiatrie mais une pratique cohérente qui vise à se substituer aux prétendues « cures » de la maladie mentale.

Ce que Marx appelait l’aliénation, fait général dans une société capitaliste, il semble que vous lui donniez le nom de maladie, à prendre les choses en gros. Il me paraît que vous avez raison. En 1845, Engels écrivait dans Situation de la classe laborieuse : « (l’industrialisation a créé un monde tel que) seule une race déshumanisée, dégradée, rabaissée à un niveau bestial, tant du point de vue intellectuel que du point de vue moral, physiquement morbide peut s’y retrouver chez soi. » Comme les forces atomisantes s’appliquaient à dégrader systématiquement une classe d’hommes en sous-hommes, de l’extérieur et de l’intérieur, on peut comprendre que l’ensemble des personnes dont parle Engels aient été affectées de la « maladie » qui peut se saisir à la fois et tout ensemble comme un dommage qu’on a fait subir aux salariés et comme une révolte de la vie contre ce dommage qui tend à les réduire à la condition d’objet. Depuis 1845, les choses ont profondément changé mais l’aliénation demeure et elle demeurera aussi longtemps que le système capitaliste car elle est, comme vous le dites, « condition et résultat » de la production économique. La maladie, dites vous, est la seule forme de vie possible dans le capitalisme. Du coup, le psychiatre, qui est un salarié, est un malade comme tout le monde. Simplement la classe dirigeante lui donne le pouvoir de « guérir » ou d’interner. La « guérison », cela va de soi, ne peut être, dans notre régime, la suppression de la maladie: c’est la capacité de continuer à produire tout en restant malade. Dans notre société il y a donc les sains et les guéris (deux catégories de malades qui s’ignorent et observent les normes de la production) et, d’autre part, les « malades » reconnus, ceux qu’une trouble révolte met hors d’état de produire contre un salaire et qu’on livre au psychiatre. Ce policier commence par les mettre hors la loi en leur refusant les droits les plus élémentaires. Il est naturellement complice des forces atomisantes: il envisage les cas individuels isolément comme si les troubles psychonévrotiques étaient des tares propres à certaines subjectivités, des destins particuliers. Rapprochant alors des malades qui paraissent se ressembler en tant que singularité il étudie des conduites diverses – qui ne sont que des effets – et les relie entre elles, constituant ainsi des entités nosologiques qu’il traite comme des maladies et soumet ensuite à une classification. Le malade est donc atomisé en tant que malade et rejeté dans une catégorie particulière (schizophrénie, paranoïa, etc.) dans laquelle se trouvent d’autres malades qui ne peuvent avoir de rapport social avec lui parce qu’ils sont tous considérés comme des exemplaires identiques d’une même psycho- névrose. Vous, cependant, vous vous êtes proposés, par delà la variété des effets de venir au fait fondamental et collectif: la maladie « mentale » est liée indissolublement au système capitaliste que transforme la force de travail en marchandise et par conséquent, les salariés en choses (Verdinglichung). Il vous paraît que l’isolement des malades ne peut que poursuivre l’atomisation commencée au niveau des relations de production et que dans la mesure où les patients, dans leur révolte, réclament obscurément une société autre, il convient qu’ils soient ensemble et qu’ils agissent les uns sur les autres et par les autres, bref, qu’ils constituent un collectif socialiste. Et puisque le « psychiatre » est lui aussi un malade vous vous refusez à considérer le malade et le médecin comme deux individus organiquement séparés: cette distinction, en effet, a toujours eu pour effet de faire du « psychiatre » le seul signifiant et du malade isolé et mis hors la loi le seul signifié donc le pur objet. Vous considérez, au contraire, la relation patient-médecin comme une liaison dialectique qu’on trouve en chacun et qui, selon la conjoncture, une fois les malades réunis, manifestera surtout l’un ou l’autre de ces deux termes dans la mesure où les patients insisteront davantage sur les éléments réactionnaires de la maladie ou dans celle où ils prennent davantage conscience de leur révolte et de leurs vrais besoins, niés ou défigurés par la société. Il devient nécessaire puisque la maladie, par-delà les divers effets, est une contradiction commune et puisque chaque individu est un signifiant-signifié, de mettre les malades ensemble pour qu’ils dégagent les uns par les autres les éléments réactionnaires de la maladie (p.ex. idéologie bourgeoise) et les éléments progressistes (exigence d’une société autre dont la fin suprême soit l’homme et non plus le profit). Il va de soi que ces collectifs ne visent pas à guérir puisque la maladie est produite en tout homme par le capitalisme et que la «guérison» psychiatrique n’est qu’une réintégration des malades dans notre société mais qu’ils tendent à pousser la maladie vers son épanouissement c’est-à- dire vers le moment où elle deviendra, par la prise de conscience commune,une force révolutionnaire.

Ce qui me paraît saisissant dans le SPK c’est que les patients sans médecin individuel – c’est-à-dire sans pôle individué des significations – établissent des relations humaines et s’aident les uns les autres à une prise de conscience de leur situation en se regardant dans les yeux, c’est-à-dire en tant que sujets signifiants-signifiés alors que dans la forme moderniste de la psychiatrie, la psychanalyse, le malade ne regarde personne et que le médecin est placé derrière lui pour enregistrer ses propos et pour les grouper comme il l’entend, cette détermination spatiale du rapport patient-médecin mettant le premier dans la situation d’un pur objet et faisant du second le signifiant absolu, déchiffrant le discours de la maladie par une herméneutique dont il prétend avoir seul le secret.

Je suis heureux d’avoir compris le progrès réel que le SPK constitue. En appréciant vos recherches je comprends aussi qu’elles vous exposent à la pire répression de la société capitaliste et qu’elles doivent déchaîner contre vous, outre les représentants de la « culture », les politiques et les policiers.Il vous faudra lutter par tous les moyens car les dirigeants de notre société prétendent vous empêcher de poursuivre vos travaux pratiques. Fut-ce en vous accusant gratuitement de conspiration. Ce n’est pas sur des emprisonnements imbéciles qu’on vous jugera mais sur les résultats que vous aurez obtenus.

Jean-Paul Sartre
17 avril 1972

Onze fois la maladie

  1. La maladie est la condition et le résultat des rapports de production capitalistes.
  2. En tant que condition de rapports de production capitalistes, la maladie est force productive pour le capital.
  3. En tant que résultat des rapports de production capitalistes, la maladie est, sous sa forme développée de protestation de la vie contre le capital, force productive révolutionnaire pour les hommes.
  4. La maladie est la seule forme possible de « vie » sous le capitalisme.
  5. Maladie et capital sont identiques : l’intensité et l’étendue de la maladie augmentent à mesure que s’accumule le capital mort, – mouvement qui va de pair avec la destruction du travail humain, appelée destruction du capital humain.
  6. Les rapports de production capitalistes impliquent la transformation du travail vivant en matériau mort (marchandise, capital). la maladie est l’expression de ce processus en perpétuelle extension centrifuge.
  7. En tant que chômage voilé et sous la forme des charges sociales, la maladie est le tampon des crises dans le capitalisme développé.
  8. La maladie sous la forme non développée, l’inhibition, est la prison intérieure de l’individu.
  9. Si on retire aux instances de l’appareil de santé l’administration, l’utilisation et la conservation de la maladie, et si celle-ci prend la forme de la résistance collective des patients, l’état doit alors passer à l’attaque et remplacer l’absence de prison intérieure des patients par de « éritables » prisons extérieures.
  10. L’appareil de santé peut s’occuper de la maladie à la seule condition que le patient n’ait aucun droit.
  11. La santé est une chimère biologico-fasciste qui a pour fonction de voiler la nécessité sociale de la maladie et sa fonction aux yeux des abrutisseurs et des abrutis de ce monde.

in SPK, Faire de la maladie une arme, Champ libre, 1973, p.17

Notes:
(1) « Le 21 juillet 1971, plusieurs centaines de policiers armés, transportés par hélicoptères, faisaient irruption dans les locaux du S.P.K. qui alors regroupait environ cinq cents patients. Onze d’entre eux étaient emprisonnés, huit seulement allaient être remis en liberté… ».
SPK, Faire de la maladie une arme, Champ libre, 1973. (retour au texte)

Marge

Dans les années 60 et 70, ont existé en Europe plusieurs mouvements différents pouvant être qualifiés d’anti-psychiatriques. En France la thérapie institutionnelle, développée par François Tosquelles et Jean Oury, semble avoir occupé le terrain de la contestation de la psychiatrie traditionnelle et empêché le mouvement antipsychiatrique de pleinement se développer, comme par exemple en Grande-Bretagne, avec David Cooper.

Un mouvement radical contre la psychiatrie a tout de même existé dans l’effervescence post 68, avec entre autres le Groupe Information Asiles (GIA), et son journal Psychiatrisés en lutte, et Marge. Dans ce dernier, se sont retrouvés « délinquants », psychiatrisé-e-s, « toxicomanes », « prostituées », féminist-e-s, homosexuel-le-s… « On y a vu aussi des intellectuels, psychiatres, psychanalystes, psychologues, sociologues, journalistes, philosophes et écrivains. C’est une auberge espagnole et un melting-pot in- vraisemblable. » (J. Lesage de La Haye, La mort de l’asile). Les idées étaient libertaires, la critique de l’asile radicale et les actions nombreuses. Marge a publié un journal qui a eu seize numéros. La plupart étaient centrés sur un thème : prison, « délinquance », « toxicomanie », homosexualité, féminisme, psychiatrie, littérature, musique… La psychiatrie était un des objets investis par un combat politique exaltant la révolte des « marginaux ».

Le n°6 (avril-mai 1975) s’appelait Pourriture de Psychiatrie, nous avons choisi d’en reprendre un texte intitulé « Le désir de psychiatrie ». Pour autant, cela ne signifie pas que nous sommes d’accord avec tout ce qu’il contient. Mais il nous semble incontournable de se confronter à l’histoire des différents mouvements ayant existé, aux ouvrages et publications, afin d’apporter des éléments de réponse aux questions suivantes : quelles étaient les composantes liées spécifiquement à cette époque, à son contexte politique ? Quelles idées, réflexions et formes d’action pourrions-nous reprendre, partiellement ou totalement ?

orthopedie-andry.2Le désir de psychiatrie

Assez de mensonges, messieurs les spécialistes et que cela soit bien clair dans l’esprit de tous, à savoir que nos objectifs sont :

  • la destruction de la psychiatrie,
  • la libération de tous les « malades mentaux »,
  • la suppression de tous les asiles.

Il faut crier, hurler qu’il n’y a pas d’autre alternative à la psychiatrie que celle de sa destruction.
C’est pourquoi il est nécessaire de dénoncer le discours anti-psychiatrique qui n’est que le retour du même. L’anti-psychiatrie, c’est encore et toujours la psychiatrie et son discours, la répétition sans la différence. Le temps n’est plus à dire mais à faire, non pas l’action pour l’action, mais bien l’intervention généralisée sur les lieux mêmes de la répression sauvage et aveugle qui demain peut tous nous frapper, car nous sommes tous des malades mentaux en puissance et nous savons trop ce qui nous attend si nous ne faisons rien. Là est le seul discours qui peut fonder notre pratique contre l’institution psychiatrique.

Nous affirmons tranquillement que la maladie mentale, ça n’existe pas et que ce n’est qu’une invention de psychiatres. De plus nous sommes persuadés qu’il s’agit bien là d’un phénomène racial, d’une négation de l’autre qui passe par le refus de cette différence qu’est le comportement du « malade mental ».

Il n’est plus nécessaire de démontrer qu’en plus de son caractère profondément répressif, la machine psychiatrique est un immense instrument (et de premier ordre S. V. P. !) aux mains de la bourgeoisie, de qui les psychiatres, libéraux, gauchisants, pseudo- révolutionnaires ne sont que des alliés objectifs qui norment, encadrent, codent, gardent, emprisonnent, lobotomisent, normalisent, neuroleptisent, classifient, électrochoquisent, analysent ces dits « malades mentaux ».

La vérité, c’est qu’on appelle la folie maladie mentale, parce que la folie fait peur, qu’elle dérange, qu’elle décode et court-circuite tout le système. C’est ça l’investissement politique inconscient ou conscient du champ social. Ce que nous disons, c’est que la folie est politique, que ses origines sont politiques et que, comme la délinquance, elle est une fantastique révolte de l’homme contre le pouvoir de cette société de misère, que tous les « malades mentaux » sont des prisonniers politiques et que c’est pour des raisons fondamentalement politiques qu’on les enferme, que la folie ça existe bel et bien et que ça fonctionne très bien, mais que ça n’a rien à voir avec une maladie et qu’il s’agit de tout autre chose que ce que les spécialistes en question voudraient bien y voir.

Alors voilà, on peut se demander ce que ça veut dire, ce désir de psychiatrie ? Qu’est-ce que ça signifie et à quoi ça sert un psychiatre ? Coureur de vacations, de chimères ou de fantasmes ?

L’extraordinaire, c’est que nous avons même rencontré des psychiatres heureux, qui aiment leur travail, en sont fiers et défendent l’institution. Ils ont bonne conscience, ils répondent à la demande, on peut d’ailleurs se demander laquelle puisque c’est eux qui la créent, ils aident et soulagent. On croit rêver, eux les complices des flics, des juges, des patrons, eux qui utilisent leur pouvoir à enfermer, eux qui se déchargent du sale travail sur ces larbins, les leurs, que sont les infirmiers psychiatriques. Que dire ? Que faire ? Chaque année de brillants médiocres petits cons d’étudiants en médecine font leur entrée en psychiatrie. Ce qu’ils veulent, c’est voir les fous de près, les étudier, comprendre pourquoi ils sont fous et comment ils ont pu en arriver là, ces malheureux… Ça ne risque pas de leur arriver. Qu’on se souvienne de ces mots de Cooper qui, parlant des psychiatres, disait « qu’ils ne sont en fait que des médecins médiocres, des gens qui n’ont pas pu « réussir » en médecine générale ».

Mais après tout qu’importe, « la violence qui crève les yeux, continue Cooper, c’est cette violence subtile et masquée que les autres, les hommes normaux, exercent sur ceux qu’on a baptisés fous ».
Ce qu’il se passe, c’est qu’il existe une catégorie d’hommes qui n’acceptent pas la différence, c’est alors que leur soif de rationnel les conduit au sadisme.

Gérald Dittmar