L’extension de la contrainte

La loi de juin 2011 sur les soins sans consentement

Retour sur l’élaboration d’une « petite loi » renforçant la répression, le contrôle et la surveillance exercés depuis des lustres par le pouvoir psychiatrique. Avec toujours cette volonté d’imposer les « soins » partout : dans les murs et hors les murs.

Genèse d’une loi

loijuin2011Il y eut le fameux discours du Pr. Sarkoz le 2 décembre 2008, quelques jours après le meurtre commis à Grenoble par un psychiatrisé qui avait fugué de l’hôpital psychiatrique de Saint-Egrève (1). Dans ce chapitre supplémentaire de la propagande sécuritaire, étaient annoncés un plan immédiat de sécurisation des hôpitaux psychiatriques – avec notamment la création d’unités fermées et de 200 chambres d’isolement – et une réforme sanitaire des procédures de l’hospitalisation d’office, donc l’écriture d’une nouvelle loi.
Deux ans plus tard, le constat suivant était fait : les caméras de surveillance et les chambres d’isolements ont envahi les hôpitaux psychiatriques, des grillages ont été installés, des protocoles de neutralisation physique des internés ont été mis en place.
Cette loi a été élaborée pendant deux ans mais pas votée. Avant son vote, deux recours ont été soumis au conseil constitutionnel sur la question de la conformité à la constitution des modalités d’enfermement des personnes en hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) et en hospitalisation d’office (HO) (2). En effet, les interné-e-s en HDT et en HO pouvaient rester hospitalisé-e-s aussi longtemps que les médecins le voulaient en ayant pour seul recours le juge des libertés et de la détention (JLD) ou le tribunal administratif. Ce dispositif a été jugé inconstitutionnel, ce qui a provoqué une réécriture de la loi. Désormais, les deux statuts HO et HDT doivent être confirmés systématiquement par le JLD au bout de quinze jours d’hospitalisation.

Le 22 juin 2011, cette loi sécuritaire est adoptée, malgré l’opposition, entre autres, du collectif des 39 contre la nuit sécuritaire (3) et du collectif Mais c’est un Homme… (4) qui n’auront pas réussi à la bloquer, contrairement à ce qui s’est passé récemment à deux reprises en Espagne.

La loi, ce qui va changer

  • La notion d’hospitalisation sous contrainte est remplacée par celle de « soins sans consentement », plus large, qui rend possible les prises en charge sans consentement en ambulatoire (c’est-à-dire hors de l’hôpital).
  • Le suivi ambulatoire des « patients » sans leur consentement est institué, ce qui signifie, entre autres, à domicile. Cette disposition, sous prétexte d’améliorer la continuité des soins, vise à surveiller étroitement certains « patients » dont le comportement peut, selon la formule consacrée, présenter un danger pour eux- mêmes ou pour les autres, avec toujours présente la possibilité d’une (ré)hospitalisation sous contrainte.
  • Une garde-à-vue de santé publique est mise en place : instauration d’un délai, ne pouvant excéder 72 heures, pendant lequel on pourra maintenir l’hospitalisation complète sans son consentement d’une personne sans statuer son état, sans se poser la question de la nécessité de son enfermement. Cette période est censée permettre l’observation du « malade », afin de déterminer « le mode de prise en charge le plus adapté ».
    Dans les 24 heures, un certificat médical doit être établi, en cas d’HO ou d’HDT (ou en HO un simple avis médical sur la base du dossier).
  • L’entrée dans le dispositif de « soins sans consentement » en HDT est simplifiée. L’exigence d’un deuxième certificat médical est supprimée : « en cas d’urgence », « à titre exceptionnel », une personne pourra être internée « au vu d’un seul certificat médical émanant, le cas échéant, d’un médecin exerçant dans l’établissement ».
    De plus, est créée la possibilité d’une admission sans consentement lorsqu’il est décidé, par un psy comme par un médecin de ville, qu’une personne nécessite des soins, sans qu’un tiers en ait formulé la demande et sans pour autant « causer un trouble grave à l’ordre public » (ex HO).
    L’HDT sans la demande d’un tiers mais pour cause de « péril imminent pour la santé de la personne » est donc rendue possible !
  • Dans tous les cas, le maintien de l’hospitalisation sans consentement ne peut être poursuivi au-delà d’un délai de quinze jours sans l’intervention du JLD.
  • Lorsque le juge n’a pas statué dans le délai mentionné, la mainlevée est acquise.
    Au cours de cette période, un certificat médical doit être établi après le cinquième jour et au plus tard le huitième jour. Le défaut de ce certificat entraîne la levée de la « mesure de soins ».
  • Dans le cas d’une hospitalisation sous contrainte supérieure à un an, une « évaluation approfondie de l’état mental de la personne » est prévue, par un collège composé de trois membres (dont deux psychiatres) appartenant au personnel de l’établissement.
  • Enfin, la loi prévoit la création d’un collège de soignants chargé de fournir au préfet un avis sur la levée éventuelle de l’internement des « patients » en HO à la suite d’une décision d’irresponsabilité pénale ainsi que ceux qui ont été placés en unité pour malades difficiles (UMD). En plus de l’avis du collège, deux psychiatres, choisis par le préfet ou sur une liste d’experts, doivent émettre des avis concordants.

En finir avec l’internement : ni psychiatre, ni préfet, ni juge

Dans un communiqué de presse (5), le collectif Mais c’est un homme…, considérant – avec justesse – que la loi du 27 juin 1990 n’est qu’un simple toilettage de celle du 30 juin 1838, réclame son abrogation en faveur d’une loi de droit commun. Et il critique la décision du 26 novembre 2010 du conseil constitutionnel parce qu’elle « rejette le placement de l’intégralité de la procédure d’hospitalisation sous contrainte sous l’autorisation et le contrôle du juge ».
Ce collectif affirme que « la psychiatrie gagnerait en dignité, en légitimité, en éthique de la responsabilité, à ce que l’autorité judiciaire remplisse son rôle de « gardienne de la liberté individuelle » dans ce domaine »(6).
Très attaché aux droits de l’homme et du citoyen, ce collectif répète que « le patient psychiatrique est un citoyen », qu’il « doit conserver ses droits », qu’il « doit bénéficier d’un droit de recours périodique et effectif (y compris sur les traitements) ». Sauf que, à nos yeux, les soi-disant citoyens au-dehors le sont déjà très peu et que ce vernis est soluble dans la psychiatrie : sous le pyjama bleu, vous trouvez quelqu’un-e qui subit le pouvoir psychiatrique, un-e psychiatrisé-e, pas quelqu’un-e qui a encore les moyens de se fantasmer citoyen-ne.
Jouer la carte du pouvoir judiciaire, contre le pouvoir psychiatrique et le pouvoir étatique, est une stratégie qui, outre les magistrats, ne peut séduire que les adorateurs des droits de l’homme et du citoyen. Bien que toute remise en question du pouvoir psychiatrique nous paraisse, dans un premier temps, bienvenue, si elle n’amène que la proposition du renforcement du pouvoir judiciaire, elle nous semble politiquement totalement vaine. En matière d’enfermement psychiatrique, penser que l’introduction d’un troisième pouvoir et l’équilibrage des forces qui en résulterait protègeraient le désigné usager de tout
excès de pouvoir est un pari hasardeux. La loi de 1838, loi de l’aliénisme, relookée 1990, reste une excellente base pour attenter à ce qui nous reste de liberté. Bientôt deux siècles… les années passent, elle demeure, convenant à tous les pouvoirs politiques et défendue par la psychiatrie en tant que socle de son
exorbitant pouvoir à l’intérieur des murs.
Mais avec cette mini-loi de 2011, nous sommes loin du bouleversement de la législation réclamé ci-dessus. Concrètement, il faudra voir si cette introduction partielle d’un juge bénéficie aux psychiatrisé-e-s. Ces derniers temps, dans un contexte de désignation frénétique de responsables, on a vu des psychiatres peu enclins à demander des levées d’HO, relayés par des préfets ne les accordant pas ! L’avis obligatoire du JLD après quinze jours d’internement et la saisine automatique de ce même juge en cas de refus du préfet de lever une HO auront-ils pour conséquence une diminution significative de la durée globale d’HO, sur un an par exemple ?
Il faudrait déjà que la mini-loi puisse être appliquée : rien que sur l’« avis des quinze jours » qui va nécessiter à peu près 80.000 décisions par an, il y a un gros doute…

J.

Notes :
(1) Discours qui en a réveillé certains, qui ronronnaient dans leur pratique d’une psychiatrie prétendument désaliéniste… (retour au texte)
(2) Le Conseil constitutionnel, sur décision du 26 novembre 2010 a déclaré contraire à la Constitution l’article L. 337 du code de la santé publique qui prévoyait que l’hospitalisation à la demande d’un tiers (HDT) pouvait être maintenue au-delà de quinze jours sans intervention d’une juridiction de l’ordre judiciaire. Et il a fixé au 1er août 2011 la prise d’effet de cette déclaration d’inconstitutionnalité afin de permettre au législateur d’y remédier.
Et le 9 juin 2011, le Conseil constitutionnel a déclaré contraires à la Constitution les articles L. 3213-1 et L. 3213-4 du code de la santé publique sur les instaurations et les maintiens de l’hospitalisation d’office (HO), tout en conservant la même date de prise d’effet de la déclaration, à savoir le 1er août 2011. Les prises en compte de ces deux décisions ont été ajoutées au projet de loi, mais pour la seconde dans la précipitation, à cause du délai très court.
(retour au texte)
(3) Le collectif des 39 se définit comme un collectif de défense de la psychiatrie constitué presque essentiellement de professionnels. Défendre du sécuritaire la psychiatrie ne peut que rassembler la plupart des forces. Mais en profiter pour tenter de se refaire une virginité en pronant une psychiatrie humaniste qui n’a jamais existé relève du tour de passe-passe. (retour au texte)
(4) Le collectif « Mais c’est un Homme… » regroupe diverses orgas, syndicats et partis politiques, tel le Syndicat de la magistrature, l’Union syndicale de la psychiatrie, la LDH, ATTAC, Advocacy France, etc. (retour au texte)
(5) « Décision du Conseil constitutionnel à propos des internements psychiatriques : petit pas ou premier pas ? », 02/12/2010, voir ici. (retour au texte)
(6) Diable ! Tout discours évoquant la dignité, la légitimité et l’éthique de la responsabilité de la psychiatrie ne peut que nous écorcher gravement les oreilles… (retour au texte)