Les fossiles

Remuer les fossiles du fond de la cave, bousculer les peurs, se poser des challenges pour que les rapports changent…Voilà tout ce qu’a provoqué chez moi ma rencontre avec tout d’abord ce journal sous forme de papier, puis avec les personnes qui sont derrière. De fil en aiguille, nous sommes devenus pour ainsi dire proches. Le fait de pouvoir échanger nos ressentis, nos idées au sujet de la psychiatrie, m’a franchement bousculée de l’intérieur pour qu’enfin je puisse agir et découdre fil par fil ce que la douleur avait su tisser méticuleusement, sournoisement.

Jusqu’ici, il n’y avait pas de place en moi pour une quelconque lutte ou une profonde réflexion. J’étais un peu comme une fantôme parmi les têtes pensantes. Les discussions politiques me saoulaient étant donné que je n’y comprenais que dalle. Sans doute par manque de culture mais avant tout par manque d’intérêt. Ouvrir un journal, c’était comme essayer de m’informer sur un monde qui n’était pas le mien, toutes ces informations incompréhensibles me ramenaient quelques années en arrière, le cul sur une chaise d’école et la tête en l’air. Mais pourquoi la tête en l’air ? Pour fuir le fait que l’on m’a bien fait comprendre que je n’étais pas à la hauteur des « autres », pour fuir l’autorité et leur obligation à faire bosser mon cerveau dans leur sens. Ils m’ont crue bête et incapable. Un cerveau vide, alors qu’en fait, ils ne savaient pas que ça grouillait d’infos là-haut et que, de ce fait, il n’y avait pas de place pour le reste. J’étais envahie par mes problèmes personnels, alors essayer de me bourriner le crâne avec des dates insignifiantes ou me faire appliquer le théorème de Pythagore sans même me faire comprendre pourquoi, c’était vraiment mal me connaître.
Je suis de celles et ceux qui, pendant toutes ces années, ont réalisé de très belles illustrations dans les marges de leurs cahiers. La marge, là où on se sentait le mieux : vous êtes tous des cons, enfin surtout là où l’on nous a mis.es : t’es trop nul, tu ne serviras à rien dans ce monde. Alors à force que l’éducation nationale t’humilie en public avec tes copies rendues en dernier, ta sous-note entourée nerveusement de rouge, et les autres abruti.es qui pouffent de rire en cœur, tu finis vraiment par y croire, que t’es une sous-merde.

masqueÀ vous qui jouissez du spectacle d’une personne humiliée alors qu’elle bouffe la terre,
À vous qui vous servez de votre grande capacité à apprendre, à comprendre, pour exercer un rapport de force,
À toutes celles et ceux qui se servent d’autrui comme d’un marchepied vers le podium,
À vous qui usez de votre science pour exister et qui exercez, consciemment ou pas, ce que l’on nomme la domination,
À toutes celles et ceux qui se sont tus par crainte que l’on découvre leur ignorance, leur faiblesse,
À vous-mêmes qui avez profité du fait que j’ai osé poser les questions auxquelles vous n’aviez pas de réponse, en faisant mine d’être de ceux qui comprennent, d’être dans le rang de l’élite,
Méfiez-vous de la bête blessée.
Vous pensez que j’incarne la loose et que je vaux moins que vous. Mais j’ai un tas de choses dont vous n’imaginez même pas le goût et je vous maudis.

Quand j’ouvre un journal, il y a un tas de sales choses qui me remontent à la gueule. Cette petite voix qui est la mienne me répète en boucle des trucs très sympathiques du style : je ne comprends pas et de toute façon, je n’ai jamais rien compris, j’ai tellement de retard en terme de culture qu’il faudrait que je reprenne tout à zéro. Il y a quelques années, j’ai compris que si je n’arrivais pas à m’intéresser à la politique, c’était à cause de tout ce qui me bouffait le crâne : mes problèmes personnels et mes angoisses ne laissaient de place à rien d’autre. En conséquence, atteindre un niveau de concentration minimum me demandait et me demande encore un effort considérable. Faire du forcing me rappelait trop les coups de règle en métal sur les doigts. À partir de là, j’ai commencé à arrêter de m’en vouloir, une petite paix s’installa en moi.
Mais cela ne réglait pas le problème, il y avait toujours cette flamme éteinte au milieu de ma gamberge, je voulais m’informer, m’intéresser mais rien, pas même une allumette au fond de la poche… Un jour, dans un moment de bad, un ami me donna le n°3 de Sans Remède… étincelle.
Avant tout, j’eu un sentiment de soulagement. Je n’étais donc pas la seule proche de psychiatrisé.e au monde (hors cercle familial). Des personnes mettaient leurs vécus, leur rage contre la psychiatrie et les institutions sur papier. J’avais un livre de chevet, mais les articles théoriques ne me touchaient alors pas encore.
Quand j’ai participé à la création du numéro 4, ce fut en premier temps pour verbaliser ce que j’avais dans les tripes. Le témoignage que j’ai écrit, c’était un grand nettoyage intérieur. Puis il y a eu ces discussions, ces analyses, ces références qui m’embrouillaient encore beaucoup et sur ces quinze jours passés ensemble, nombreux sont les moments où j’ai décroché. Rome ne s’est pas faite en un jour comme dirait l’autre.

Depuis, il y a eu ma première émission de radio, des discussions dans tous les sens, des rencontres non-mixtes, un premier pas vers le féminisme. Puis, il y a eu la musique, transformant deux amitiés en un truc indéfinissable… À niquer des cahiers entiers posés sur un burlingue pendant des heures, volets fermés. À retourner les mots comme une peau de lapin et enfin tout dégobiller généreusement sur une scène en palettes.
Toutes ces choses énormes accompagnées du temps, aussi court soit il, font qu’une porte s’est ouverte, tranquille, centimètres par centimètres et que petit à petit je regarde ce qui se passe de l’autre côté, j’observe et ça m’intéresse. Alors j’y vais à tâtons, je lis un peu plus, j’essaye d’analyser, de penser par mes propres moyens en m’aidant des autres, je me forge une opinion. Maintenant que j’ai commencé à dompter mes angoisses et à ne plus les autoriser à me bouffer, j’ai de la place pour le reste. J’ai surtout compris que je pouvais faire de mes douleurs un cheval de bataille et non plus un faire-valoir. J’ai compris que la rage que j’avais ne pouvait plus indéfiniment se retourner contre moi, qu’il fallait que j’ouvre les yeux sur ce monde qui l’avait fabriquée, qu’il était l’heure pour lui de récolter la colère semée. J’ai compris que mon carburant alimentait un moteur tout pérave, celui qui tourne à l’envers et qu’en conclusion, il allait falloir le benner à la casse pour m’en fabriquer un neuf, même si cela devait prendre des années. J’ai compris.

Quand t’écris un témoignage, il y a toujours un manque de pudeur. Il est mêlé au plaisir de sortir de sa carcasse tout ce qui ne ressemble pas à des mots, mais plutôt du vécu, des émotions, du ressenti. Alors tout ce mélange de choses impalpables est parfois difficile à analyser tant que tu ne l’auras pas écrit noir sur blanc. Au moment où j’écris, j’hésite encore à ce que des personnes me lisent, il me vient fréquemment à l’idée que je devrais peut-être garder tout cela pour ma tronche. Ce qui me fait tenir, c’est que je me souviens de l’impact que certains témoignages ont eu sur moi. La verbalisation d’états tels que l’euphorie extrême m’a permis de mieux comprendre certains fonctionnements, j’ai été soulagée de me reconnaître ici et là, de voir comment certaines personnes réagissent ou pas… Tout cela me fait dire que ce que j’écris ici, ce n’est pas du divertissement, et que si ça peut provoquer des choses chez les gens, et bien, c’est déjà ça.

S.W.

Le pavé dans la mare

Dans le dernier numéro, j’ai vidé mon sac dans un témoignage.
J’y faisais part de mes visites à un proche interné en HP.
En l’écrivant et en participant à l’élaboration de ce journal, je signais comme un contrat avec moi-même : celui de ne plus laisser pourrir la relation que j’avais avec E.
Alors je ne parle pas ici de révolution ni de raz de marée dans les rouages de la psychiatrie. Je n’ai pas pour prétention de changer le monde. Par contre, je me sens capable de changer le mien. Et ça passe par des petites choses, comme accepter qu’un délire n’est pas dénué de sens, qu’entendre des voix n’est pas inévitablement une souffrance ou que la peur ne protège pas, qu’elle enferme.

Dans Visite en neuroleptie, je n’ai pas précisé la nature de mes liens avec E. À présent, je me sens capable d’en dire un peu plus à ce sujet et j’aimerais ici faire état des changements et progressions qui se sont produits. Je n’ai pas pour habitude d’écrire sur un ton positif comme je tente de le faire. Mon créneau, c’est plutôt dark and down si vous voyez ce que je veux dire. Mais au vu de ce qui a décanté en moi ces derniers temps, je ne voyais pas pourquoi j’irais tirer vers le bas ce qui tente de me pousser vers le haut. Et puis j’aime les défis, ça bouscule.

E., c’est mon grand frère. Ça fait presque 20 ans qu’il fait des aller et retour à l’HP, avec tout ce que cela comporte. L’idée d’écrire à son sujet ne m’a pas mise à l’aise, plusieurs sentiments pas cools m’ont traversée. Tout d’abord, il allait falloir que je couche tout mon intérieur sur papier, puis qu’il serait lu par un paquet de gens dont E., mais surtout, j’eus un sentiment de non légitimité à divulguer des infos le concernant. Malgré tout cela, j’avais une réelle envie de témoigner.
Ce n’est pas sans peine que je pris mon téléphone pour lui demander l’autorisation d’écrire à son sujet. Réponse positive.
Premier fossile déterré. À partir de là, j’enclenchais un nouveau mécanisme : communiquer avec lui autrement, cesser les banalités.
Nous nous sommes revus plusieurs fois depuis, il n’a jamais demandé à lire mon récit et je ne lui ai pas proposé non plus. Mais j’ai mis en place de nouvelles discussions, tout d’abord en lui présentant verbalement le journal, ce qui ne fut pas facile, car démonter tout ce qui construit sa vie est plutôt violent. Il fut réfractaire au fait de critiquer le système de la psychiatrie, ce que je conçois. Nous avons discuté librement, sans que je sois virulente. Auparavant, mon point de vue était plus de l’ordre du jugement que du positionnement. J’avais la hargne et mes aboiements n’étaient que le reflet de mon état. Je ne rigolais pas en famille.
Avant, je n’admettais pas la réalité de mon frère. La personne qui lui occupe la tête depuis de longues années m’énervait au plus haut point, surtout qu’étant très médiatisée, je connais vaguement son profil qui n’est pas pour me plaire. Un jour, il me parla d’elle et j’ai pris en compte qu’elle existait vraiment, nous avons discuté d’elle comme si elle venait de passer cinq minutes auparavant, nous avons même plaisanté à son sujet et je me suis surprise à le conseiller en termes de communication avec elle, nous avons ri.
Je ne vais pas détailler ici toutes nos « nouvelles discussions », toutes les petites choses qui font que j’ai le sentiment que la situation évolue entre nous. Le fossé se remplit, et ce n’est pas de la flotte, mais plutôt un truc en béton armé en perpétuelle construction, bizarrement toujours prêt à s’effondrer. Les tonnes de précautions que je prenais avec mes petites pincettes ont laissé place à un rapport plus franc. Mon comportement était presque sécuritaire, je me censurais pour éviter de troubler les rapports plats que nous avions, pour ne pas enclencher des discussions qui me mettraient mal à l’aise. Ne pas lui dire ce qu’est réellement ma vie pour ne pas le perturber, ou par flip que cela fasse naître un nouveau “délire”. Il y a encore du chemin ; cette voie encombrée de caillasse, je la dégage petit à petit, soit en passant par de multiples prises de têtes, soit tout naturellement.
Au sein de la famille, il y a eu beaucoup de moments difficiles dus à l’histoire de mon frère. Nous restons soudés, mais ce n’est pas sans quelques failles. Il y a des moments où ça clash, ça explose… Pendant de longues périodes, tout était concentré autour de E., la centrifugeuse en action. Alors il y a des moments où tu ne trouves plus ta place, ou tu ne sais même plus si t’en as une, ça provoque des sales choses.
L’hôpital infantilise et les parents prennent le relais. Par bienveillance : nous le ferons à sa place, ce sera plus simple pour lui, par peur : si la situation échoue, son état va se détériorer, pour se protéger : s’il tombe, nous aussi, etc…
Je ne mets pas leur comportement au rang de la naïveté, mais je dirais que c’est plutôt dû à l’influence qu’ont les médecins sur les proches, mixée à tout un tas de difficultés comme celle d’être parent, d’être isolé.e face au problème, et de garder le cap malgré les souffrances qui règnent au quotidien.
Alors les parents infantilisent et le reste de la famille suit, comme un schéma tout tracé qu’il ne fallait pas modifier, ou plutôt parce qu’on ne connaît rien d’autre.

C’est à l’heure de la bûche, un soir de Noël, que j’ai jeté un pavé dans la mare de mes parents.
E. n’était pas présent ; si ça avait été le cas, je ne me le serais pas permis. Il fallait cesser l’infantilisation. Ce n’était bon ni pour lui, ni pour eux, ni pour nous.
Il fallait arrêter de le considérer comme un malade et ce n’était pas le respecter que de l’assister en permanence. Il y avait peut-être des choses sur lesquelles il avait besoin d’être conseillé, mais dans la mise en place des choses, il est parfaitement capable d’agir seul, comme toi, comme moi.
Être sans cesse derrière quelqu’un ne fabrique pas de bons rapports. Prendre systématiquement les devants ne lui rendait vraiment pas service.
On ne laissait pas à mon frère le choix d’être acteur de sa vie. Tout ça provoque de la colère, surtout dans le cas où c’est enveloppé de non-dits. J’ai soulevé que dans mes paroles, je ne dénonçais pas l’aide qu’on pouvait lui porter dans les moments difficiles, je ne dénonçais pas notre bienveillance, notre solidarité.

Autour de la table, les bouches sont bées et les yeux, ronds.
La crème glacée fond, et moi, je laisse comme un gros froid à table. Les larmes de ma mère coulent dans son assiette, elle me remercie pour le pavé, pour ma conscience et ma force. Je suis nerveuse, mais je ne me suis jamais sentie aussi bien un 24 décembre. Lorsque je parlais, j’avais au fond de moi toutes ces discussions et ces lectures autour de la psychiatrie. Et tout l’aplomb que j’en ai tiré m’a permis d’exprimer à ma famille ce que je pensais de nos rapports fossilisés.

S.W.

La charte des internés

Diffusée fin 1975, la Charte des internés est un texte collectif qui porte la signature de cinq groupes aux horizons politiques assez divers : Marge (voir ici), l’AERLIP (association pour l’étude et la rédaction du livre des institutions psychiatriques), formée massivement d’infirmiers et fondée pour dénoncer un certain nombre de mauvais traitements dans l’HP, le GIA (groupe informations asiles), premier mouvement de psychiatrisés en France dans la lignée du GIP (groupe informations prisons), le comité de lutte des handicapés, dont le préambule précise bien qu’ils considèrent leur combat comme partie intégrante de la lutte des classes et non pas comme une lutte sectorielle, et la revue Garde-fous. Il est aussi question dans le texte d’apports des mouvements allemand SPK (voir ici) et anglais MPU (Union de malades mentaux).

Ce qui nous touche le plus dans cet appel, c’est qu’il porte de l’intérieur de l’hôpital des exigences sans conditions, formulées avec détermination. La Charte des internés nous rappelle que, même entre les murs, des luttes collectives restent possibles. Même si, 40 ans plus tard, la plupart de ces revendications seraient toujours d’actualité, ce texte porte la marque de son époque: une période d’effervescence politique où l’horizon révolutionnaire faisait se nouer des alliances qui seraient difficilement concevables de nos jours. Cette Charte est aussi le reflet d’une séquence historique assez particulière pour l’hôpital psychiatrique lui-même, en plein aggiornamento (mise à jour, ravalement de façade) mais dont le caractère asilaire saute toujours aux yeux. C’est dans ce contexte général qu’il faut resituer la place accordée dans ce texte à l’identité de travailleur, revendiquée pour l’interné qui, selon les auteurs, n’est jamais que « provisoirement dans l’incapacité de travailler » : l’infirmier psy et « l’interné » partageraient fondamentalement cette condition de travailleur, ce qui leur permettrait d’envisager de lutter ensemble, au delà des antagonismes qui traversent l’hôpital. Une position que Sans remède ne partage pas, nous l’avons suffisamment répété dans nos pages.

Cette charte ne vise pas à l’amélioration de la psychiatrie, mais vise la destruction complète de l’appareil médico-policier.
Cette charte s’inscrit dans le combat pour conquérir, dans un premier temps, les droits démocratiques les plus élémentaires qui sont enlevés aux travailleurs que la psychiatrie parvient à isoler. Ceci n’est possible qu’en brisant l’isolement des internés :
1. En détruisant l’institution carcérale par des luttes contre les modalités actuelles d’entrée et de sortie de l’hôpital (placement d’office et placement volontaire), ainsi que contre les restrictions de la libre circulation à l’intérieur des établissements psychiatriques.
2. En brisant l’isolement de l’interné dans son statut d’assisté, d’irresponsable et de fou. Il s’agit d’obtenir celui de travailleur en lutte avec tous les acquis s’y rattachant, même si certains d’entre nous se trouvent provisoirement dans l’incapacité de travailler. Ce combat, comme ceux des autres couches opprimées, rejoint en ce sens la lutte de la classe ouvrière pour la destruction de l’ordre capitaliste.
3. En brisant l’isolement dû au silence entourant la prescription médicale et obtenir ainsi le contrôle du traitement.
Cette charte est le produit des revendications exigées par des camarades internés tant en France que dans d’autres pays comme l’Angleterre par le MPU (Union de Malades Mentaux) et en Allemagne par le SPK (Collectif Socialiste de Patients).
Elle vise au développement de luttes permises par le regroupement de psychiatrisés et de travailleurs (soignants ou non) telles celles parmi les plus récentes : des « malades » de Maison-Blanche en novembre 1974 et la campagne contre les internements et la loi de 1838 menée par le GIA (groupe d’information sur les asiles).
Elle vise à déclencher d’autres luttes de travailleurs (psychiatrisés ou non) contre la psychiatrie, afin de déterminer les organisations politiques et syndicales à prendre une position claire dans ce combat.
Pour aboutir, cette charte doit être reprise massivement par l’ensemble des camarades internés et des travailleurs (soignants ou non) qui les soutiennent.
En ce sens elle peut être le point de départ à la création de groupes, comités, commissions, etc, visant à organiser la lutte dans le plus grand nombre d’établissements psychiatriques, ainsi qu’à l’extérieur de l’institution où le problème de la psychiatrisation des conflits est de plus en plus à l’ordre du jour. Elle doit donc également susciter un travail similaire en ce qui concerne la psychiatrie hors des murs en se plaçant sur un terrain de solidarité de travailleur à travailleur.
C’est ainsi que cette charte issue d’un projet élaboré au cours des luttes menées plus particulièrement par les militants du GIA a permis, lors de son élaboration finale, le rassemblement de divers groupes militant contre l’organisation capitaliste de la production et de la santé.

NOUS EXIGEONS L’APPLICATION DE LA PRÉSENTE CHARTE :
AUX MINEURS COMME à TOUTE PERSONNE INTERNÉE

1. NOUS EXIGEONS L’ABOLITION DE LA LOI DE 1838 :
C’est-à-dire, la suppression du placement d’office et du placement volontaire, ainsi que la suppression de l’Infirmerie spéciale de la Préfecture de Police (rue Cabanis, à Paris-4ème) qui matérialise la relation existant entre la pseudo-science psychiatrique et l’instrument répressif qu’est la police.

NOUS EXIGEONS :
2. L’abrogation de la loi de 1954 sur les ALCOOLIQUES et celle de 1970 sur la TOXICOMANIE ; lois répressives qui, loin de résoudre les problèmes posés par l’alcoolisme et la toxicomanie ne visent qu’à orienter et contrôler dans le sens des intérêts de la classe dominante,
3. L’abrogation de la loi sur le vagabondage, l’arrêt des expulsions des travailleurs immigrés sous couvert de rapatriement sanitaire,
La suppression des hôpitaux et services de force (Henri Colin, Sarreguemines, Cadillac, Montfavet).

CONCERNANT NOTRE SÉJOUR à L’HÔPITAL, NOUS EXIGEONS :
4. L’abolition de l’envoi de renseignements aux préfectures qui les retransmettent aux commissariats, ainsi que la destruction du fichier de polices des aliénés dits « dangereux ».
5. L’affichage dans chaque chambre des règlements intérieurs et des droits des internés,
6. Le droit pour tout interné de consulter à tout moment son dossier comme de le sortir, lui permettant entre autres choses d’appeler en justice,
7. Que soit appliquée la circulaire ministérielle n° 1796 de Jacques Baudouin du 20 avril 1973 dans laquelle il est dit que : « …le secret n’est pas opposable au malade dans l’intérêt duquel il est institué ; ce dernier peut donc soit se faire remettre tout ou partie de son dossier médical ou le communiquer directement au médecin de son choix ainsi qu’à des tiers ; il peut notamment décider de produire ce dossier en justice s’il le désire. La jurisprudence de la Cour de Cassation et du Conseil d’état concourent sur ce point »,
8. Le droit de refus de la désignation administrative du lieu d’hospitalisation et du médecin traitant.

CONCERNANT LES TRAITEMENTS, NOUS EXIGEONS :
9. L’abolition des traitements irréversibles (électrochocs, psychochirurgie…),
10. La connaissance du traitement appliqué  et ses effets secondaires éventuels, et ceci avant la prescription,
11. Le droit de refus d’un traitement ou d’un médicament, c’est-à-dire un droit effectif de contrôle sur les traitements,
12. D’être informés lorsqu’un médicament en est son stade expérimental,
13. D’être en possession d’une ordonnance claire, en écriture non chiffrée, nous permettant de contrôler ce qu’on reçoit des infirmiers, qui l’exécuteront sous nos yeux et non à l’avance, afin d’éviter les traitements parallèles, comportant entre autres le surdosage.

CONCERNANT LA SORTIE, NOUS EXIGEONS :
14. Qu’un logement soit assuré après la sortie,
15. Que l’absence d’un emploi à la sortie ne soit pas un obstacle à celle-ci,
16. Qu’un emploi dans le métier de son choix puisse être assuré à la sortie par l’intermédiaire de l’Agence Nationale pour l’Emploi, sans discrimination et avec formation professionnelle si nécessaire,
17. La suppression des restrictions à l’embauche telles que l’inaptitude pour raisons psycho-pathologiques,
18. Qu’une indemnité de chômage, au moins égale au SMIC soit allouée à ceux ne trouvant pas de travail.

CONCERNANT LA VIE à L’INTÉRIEUR DE L’HôPITAL, NOUS EXIGEONS :
19. Le droit de nous syndiquer dans les sections syndicales du lieu d’hospitalisation et de nous organiser de façon autonome pour la lutte dans les comités incluant le personnel soutenant notre combat,
20. L’abolition du travail FORCé sous prétexte d’ERGOTHéRAPIE (ménage, service de cantine ou travail à façon…),
21. Que tout travail d’un hospitalisé soit rémunéré au temps de travail, par un salaire au minimum égal au SMIC ; sans salaire au rendement ni cadence,
22. Le droit de pouvoir refuser un concessionnaire ou ses tarifs pratiqués,
23. Le droit d’accès et de contrôle des comptes en détail des comités gérant le travail et le salaire des hospitalisés,
24. L’organisation collective par les hospitalisés eux-mêmes de la vie à l’hôpital : horaires de lever, de coucher, des repas, etc…,
25. La suppression du droit des visites pour raisons médicales ou autres,
26. La suppression de toute censure tant du courrier que des communications téléphoniques,
27. La liberté de presse effective à l’intérieur de l’hôpital,
28. Le droit effectif d’affichage avec tableau sans aucune censure,
29. Une salle commune de réunion interservices, ouverte en permanence et à tout le monde, y compris à toute personne et à tous groupes extérieurs,
30. La suppression de la permission de parc : celui-ci est à tout le monde,
31. Le droit de conserver ses vêtements et affaires personnelles et de pouvoir les mettre en sécurité sans intervention du personnel,
32. La suppression des grands dortoirs,
33. L’extension de la mixité à tous les pavillons des hôpitaux psychiatriques et la possibilité de vie commune à l’intérieur des services afin que cette mixité ne soit pas un simple mot,
34. Le libre accès à la sexualité, à la contraception, à l’avortement, à la grossesse et à toutes les informations concernant ces quatre points,
35. Nous refusons les changements d’hôpital, de service ou de chambre sans l’accord de l’interné lui-même,
36. Nous exigeons d’être présents et assistés par la personne de notre choix pour tout entretien nous concernant entre les membres du corps médical ou administratif ainsi que de ce personnel avec des tiers.

MOUVEMENT MARGE
REVUE ET GROUPE GARDE-FOUS
L’AERLIP
COMITéS DE LUTTE DES HANDICAPéS
GROUPE INFORMATION ASILES

En allumant des feux

Ce texte est une traduction. Il a été écrit par des psychiatrisé.es en lutte de Madrid. Les membres de ce groupe d’auto-support – auto-ayud – se filent des plans en terme de médication, empêchent des internements, publient des textes et des affiches et bientôt un livre.… Qui a dit que le soutien mutuel entre psychiatrisé.es et une approche radicalement critique de la psychiatrie étaient incompatibles ?

cracheurdefeuCette société rend les gens fous, chaque jour de plus en plus. Ceci est notre point de départ. Il ne semble pas insensé d’affirmer que dans l’environnement dans lequel nous vivons, qui n’expérimente pas personnellement quelque problème en rapport avec la santé mentale (de différente nature, qui peuvent aller d’une dépression à une psychose, en passant par tous les types de pétages de plombs, comme on dit), connaîtra très probablement quelqu’un de proche en train de souffrir psychiquement. Le mal-être et les pathologies mentales augmentent de manière exponentielle. La consommation de psychotropes se généralise à tel point qu’on considère comme normal le fait que des enfants, adultes et personnes âgées ingèrent quotidiennement des substances chimiques pour s’adapter aux exigences et à l’urgence de ce monde. Nous survivons, certains sont plus chanceux que d’autres. Certains d’entre nous deviennent fous. L’existence de l’être humain a été réduite à une compétition adaptative, à une danse des images dans la quelle personne ne sait qui est qui. Cette société qui nous rend fou ne connaît qu’une logique et c’est la logique mercantile : nous produisons des marchandises et nous sommes produites par elles. Le besoin lucratif dégrade la vie, et finalement, la tue. En Espagne, les statistiques démontrent une moyenne de neuf suicides par jour. Si les libertés qui sont inhérentes à l’être humain ont été remplacées par le besoin d’accumuler des biens et de la reconnaissance une fois qu’on les a obtenus, si le bonheur se chiffre à la quantité de matière acquise et l’amour, l’affection, la créativité ou l’intelligence se réduisent à des images grotesques avec lesquelles la publicité nous frappe à chaque instant… est-il si difficile de comprendre que dans un contexte si hostile les têtes arrivent à se casser ? Pourtant, l’ordre social a su protéger ses arrières, en nous faisant vivre une guerre dans laquelle ceux qui commandent traitent comme de la merde ceux qui obéissent et ceux qui sont en bas se traitent comme de la merde entre eux, celui qui tombe est considéré comme coupable. De sa propre faiblesse et de sa propre nature. Cette opération de stigmatisation et de nettoyage est mise en place par la psychiatrie. Une discipline qui à ce moment de l’histoire ne veut rien savoir des différences sociales, des vécus personnels ou des rapports familiaux. Elle se limite à dicter des sentences et en appel à l’organisme de chaque individu pour innocenter la société de la douleur qu’elle provoque. Le plus curieux est que ses prétendues bases biologiques continuent à être aussi faibles que lors de ses premiers pas. Nous disons « dicte » précisément parce qu’elle est incapable d’émettre un diagnostic basé sur des preuves objectives, de laboratoire. Et si les psychiatres ne sont pas capables de dire précisément ce que sont nos maladies, leurs médicaments ne peuvent pas non plus nous soigner. C’est-à-dire qu’ils sont incapables de rétablir une santé qui, en effet, a été perdue. C’est la raison pour laquelle vous, chers lecteurs, ne connaissez personne qui ait été “soigné” par des drogues psychiatriques, et c’est aussi la raison pour la quelle ces drogues ont des effets secondaires si dévastateurs que nous qui les prenons les arrêtons souvent.

Nous en sommes là. Les psychiatres affirment catégoriquement que pour la plupart des pathologies mentales qu’ils nous assignent il n’y a pas de guérison possible et que la seule façon d’atteindre une certaine “qualité de vie’’ passe par la prise de médicaments. Et souvent nous n’avons pas le choix et nous le faisons, sachant que nous pourrons pallier quelque symptômes mais que la cause de la douleur nous devrons aller la chercher. Pour cela nous disons que nous sommes en lutte, parce que nous pensons que l’autonomie c’est la santé et que nous n’avons d’autre choix que de nous battre pour elle. Les sorties que nous offrent les agents de cette société sont murées et nous laisser traiter comme un problème d’ordre publique n’est pas autre chose qu’attenter contre ce que nous sommes, et surtout, contre ce que nous pouvons être. Dénoncer les injustices d’un système qui provoque la folie est évidemment une nécessité, mais plongés dans une situation où les conditions de vie se dégradent à un rythme vertigineux (et avec le contexte économique actuel, plus encore), nous pensons que la principale urgence doit être celle de construire des stratégies qui nous permettent non seulement de résister aux attaques de ce monde, mais aussi qui reflète ce à quoi nous aspirons. Personne ne va venir nous sauver, donc nous sommes en train d’apprendre à nous rencontrer au milieu de l’obscurité, nous allumons des feux et nous reconnaissons entre égaux à la chaleur des flammes. Ceux qui en savent le plus au sujet de la folie, du traitement ou du stigmate social sont ceux qui vivent avec. Nous parlons en assemblées horizontales, sans hiérarchie. Nous partageons des expériences, des peurs et des désirs. Nous nous formons et mettons en commun chaque savoir qui peut nous être utile. Nous essayons d’organiser et de socialiser tout ce que nous apprenons et vivons. Nous cherchons la liberté – dans la plus radicale de ses acceptions – parce que nous savons que c’est dans la pratique que coïncident le changement des situations que nous vivons et le changement dans nos têtes. Nous connaissons les risques et les conséquences de ce pari, et nous essayons que la peur ne nous paralyse pas ni ne nous fasse sentir coupables. C’est cela la véritable maladie qui traverse la société, celle qui maintient les hommes paralysés, ancrés à des simulacres et des certitudes qui en réalité leur sont étrangers, diminuant toute autonomie et empêchant n’importe quelle expérience personnelle, et partant de là, d’une santé réelle. Nous avons la volonté de vivre une vie dans laquelle personne ne commande et personne n’obéit, ce qui suppose de sortir de soi-même et de s’ouvrir aux autres, ce qui suppose en définitive une autre manière d’être dans le monde, mais avec l’intention précisément de le faire couler.

Psychiatrisés en Lutte / Groupe de Soutien Mutuel de Madrid