À des fins politiques

Sans Remède est né d’un certain nombre de volontés harmonieuses (ou du moins concordantes) : donner à entendre la parole des psychiatrisé-e-s par-delà les murs et la solitude des parcours psychiatriques, mettre en exergue le commun entre ces histoires bien trop banales pour qu’on puisse croire qu’elles ne relèvent que de l’ordre de l’intime et du familial, et ainsi recommencer à penser la psychiatrie comme un objet politique, le lieu d’antagonismes irréconciliables, et de fait un terrain de luttes.

Les histoires dont il est question dans ce dossier ne nous semblent pas relever seulement d’un récent mouvement de « psychiatrisation de la contestation et de la révolte » lié à des évolutions législatives ou d’un « tournant sécuritaire »… Comme le développe l’article de K., le ver était bien dans le fruit dès l’origine, quand la psychiatrie se constituait en discipline autonome de la médecine générale, rendant déjà plus de comptes aux pouvoirs publics dans la gestion du cheptel humain qu’à ses usagers-cibles. La psychiatrie est bien l’un des organes de répression de « la déviance » qui sont par définition politiques. Issue d’un contexte historique et d’une organisation sociale, elle s’y est fait une place et a participé à fabriquer le monde que nous habitons.

On n’oublie rien, on s’habitue, c’est tout !

L’administration du « soin », de l’asile au secteur.

Faire un petit tour dans l’histoire de la psychiatrie, non pas pour en présenter un exposé exhaustif de tous les moments. Il s’agit ici de donner un éclairage sur les fondements de cette science qui se veut médicale mais qui est probablement plus proche du politique. Et de voir comment les psychiatres se sont faits de tout temps une place auprès des instances de répression et de gestion. Il ne sera pas ici question de l’alibi thérapeutique que convoque la psychiatrie pour justifier son rôle social et ré-écrire son histoire mais bien de ses moments constitutifs.

« Il faut donc pour ces infirmes des établissements publics (…) soumis a des règles invariables de police intérieures » (1)

Tout se joue sur fond de Révolution Française. En 1790, les lettres de cachet sont abolies. Celles-ci permettaient au Roi de faire enfermer dans des maisons de force n’importe qui sans autre forme de procès. Cette forme d’internement arbitraire disparaissant, il faut trouver de nouvelles justifications et un cadre juridique à l’enfermement des malades mentaux. Tous les détenus pour cause de démence devront voir leur situation revue par un médecin ou un juge afin qu’ils soient libérés ou internés. Cela s’inscrit dans un mouvement plus général où chaque moment de la vie civile doit revêtir un caractère légal.

Schuiten2Il faut donc agir. Il y a nécessité à trouver des médecins spécialistes de la folie qui auront légitimité à la reconnaître, la diagnostiquer et éventuellement enfermer les dits fous. Il n’est pas encore question de réinsérer le fou dans le monde social mais toujours de protéger l’ordre public, et pour cela de l’identifier comme tel et de le séparer du criminel. Il faut pour que la séparation soit possible lui attribuer le caractère de malade. Se fabriquent ainsi les conditions qui permettront la séparation définitive de la prison et de l’asile. Le saut scientifique qui attribue le caractère de malade au fou est opéré par un certain Philippe Pinel (2). Ce médecin aliéniste commence à cartographier les grands types de démence et cherche aussi des moyens de « guérison ». Il mettra en place un certain nombre de principes, qui appliqués correctement sont censés conduire le « patient » vers la rémission : l’isolement du monde extérieur ne se justifie pas seulement dans un souci de protection de la société mais a aussi une visée thérapeutique. Un autre principe est l’imposition de l’ordre asilaire sensé être le moyen du retour de la raison d’un esprit qui déraisonne. On voit ici se dessiner ce que sera l’asile : un lieu fermé, à l’écart de la ville et à l’intérieur duquel le médecin aliéniste fait régner l’ordre.

Cette place que prend le médecin aliéniste vient ainsi répondre à un nouveau type de gestion sociale et vient combler un vide juridique. Contrairement à leurs collègues chirurgiens qui dissèquent sur des tables d’opération des viscères et des humeurs, les aliénistes prennent pour terrain de jeu la déviance sociale et la morale : ils sont dans les dispensaires, les maisons de force et les tribunaux car « la folie est le produit de la société et des influences intellectuelles et morales ». (3)
On voit ici qu’il y a, dès le début, une collusion entre la psychiatrie et l’ordre judiciaire en vue d’un contrôle social plus efficace : on a bien affaire à la naissance d’une science politique.

« Ce jeune homme était trop malade pour jouir de sa liberté » (4)

Cet objet commun, une société saine, la psychiatrie le partage avec la police et la justice. Il est question par exemple dans le code pénal de 1810 (article R.30) de punir « de l’amende prévue pour les contraventions de deuxième classe (…) ceux qui auront laissé divaguer les fous ou des furieux étant sous leur garde, ou des animaux malfaisants ou féroces (…). » Petit à petit, le monde judiciaire intègre la distinction entre dément et criminel. Cette alliance du juridique et du psychiatrique est pour le moins stratégique. En effet, à la même époque, la psychiatrie peine à se faire une place au sein du grand mouvement de réforme et d’unification de la médecine générale, qui part du postulat que maux et maladies trouvent leur siège au cœur même des organes.

Les aliénistes, au contraire, défendent l’idée d’une « médecine spéciale » et singulière et ne croient pas à la possibilité d’aller chercher dans le cerveau humain « une obscure raison métaphysique aux pathologies mentales » (Pinel). C’est bien dans l’héritage social et moral qu’il faut chercher l’origine de la démence. Les classes dangereuses et leurs comportements immoraux sont en cause et le traitement sera répressif et normatif.

« L’ordre et la régularité dans tous les actes de la vie commune et privée, la répression immédiate et incessante des fautes de toute espèce, et du désordre sous toutes les formes, l’assujettissement au silence et au repos pendant certains temps déterminés, l’imposition du travail à tous les individus qui en sont capables, la communauté de repas, les récréations à heure fixe et à durée déterminée, l’interdiction des jeux qui excitent les passions et entretiennent la paresse, et, par des- sus tout, l’action du médecin imposant la soumission, l’affection et le respect par son intervention incessante dans tout ce qui touche à la vie morale des aliénés : tels sont les moyens de traitement moral qui ne peuvent être employés que dans les maisons spéciales destinées au traitement de la folie, qui donnent au traitement appliqué dans ces maisons une supériorité incontestable relativement au traitement à domicile. »
Monsieur Parchappe, inspecteur général des asiles d’aliénés et du service sanitaire des prisons et médecin en chef de l’asile des aliénés de Saint-Yon, Rapport sur son service médical, 1841, cité par Robert Castel, L’ordre psychiatrique, éditions de Minuit, 1976, p.124.

Les différents postes qu’occupait Esquirol (élève de Pinel) témoignent de cette volonté de fabriquer de la norme : il n’était pas seulement chef de file de la nouvelle école de médecine mentale et inspecteur général des facultés de médecine mais aussi président du conseil d’hygiène publique et de salubrité et membre de l’académie des sciences morales et politiques. Dans cette confusion entre hygiène mentale et l’hygiène publique, Esquirol ne fait bien sûr pas exception, on retrouve parmi ses collègues et élèves bon nombre des membres d’instances de gestion morale et politique de l’époque. Ils font ainsi infuser l’idée que la maladie mentale atteint le corps social et qu’il faut donc travailler de concert avec la police et la justice pour purifier, protéger la société des déviants qui l’habitent. On trouve dans Les annales d’hygiène publique et de médecine légale de janvier 1829 (parution d’un groupe constitué à l’initiative d’Esquirol) cette citation : « La médecine n’a pas seulement pour objet d’étudier et de guérir les maladies, elle a des rapports intimes avec l’organisation sociale ; quelquefois elle aide le législateur dans la concertation des lois, souvent elle veille, avec l’administration au maintien de la santé publique. Ainsi appliquée au besoin de la société, cette partie de nos connaissances constitue l’hygiène publique et la médecine légale. »

schuitenConcernant le volet répressif, il est accordé à la psychiatrie la mission de gérer les « cas » qui ne peuvent plus relever de l’isolement carcéral, via entre autres l’article 64 du code pénal de 1810 : « Il n’y a ni crime ni délit, lorsque le prévenu était en état de démence au temps de l’action, ou lorsqu’il a été contraint par une force à laquelle il n’a pu résister. » Le droit s’actualise à mesure que les psychiatres rentrent dans les tribunaux en tant qu’experts. Aux questions que se pose la justice, le psychiatre vient apporter une réponse scientifique, non pas quant à l’exactitude des faits constituant le crime mais sur la nature du criminel. S’opère ici un glissement notable : on juge dès lors moins les faits que les hommes et c’est en fonction de leur dangerosité supposée qu’ils seront condamnés par le tribunal à tomber dans l’escarcelle des psy. Ce concept pénal nouveau donne la mesure de la peine, il n’y aura pas d’enfermement carcéral mais un isolement médical en vue d’éviter une éventuelle récidive. C’est bien un traitement pénal préventif que les experts psychiatres proposent. C’est dans les tribunaux que la psychiatrie va gagner ses galons de science reconnue et légitime. Tout est en place pour que l’État donne les moyens à la psychiatrie de s’étendre sur le territoire. La loi de 1838 fixe le cadre des internements d’office en asile et donne tout pouvoir aux médecins quant aux sorties. Dans la foulée, des médecins psychiatres fraîchement promus sont envoyés aux quatre coins de la France pour bâtir des asiles, et aménager le nouveau maillage psychiatrique. Cette diffusion permet aux psychiatres de prétendre faire de la prévention et ainsi faire en sorte que les « fous » ne se retrouvent plus devant les tribunaux mais arrivent directement à l’asile. Comme le défend en 1835 le médecin Leuret à propos du procès de Pierre Rivière : « La société a donc le droit de demander non la punition de ce malheu- reux puisque sans liberté morale il ne peut y avoir de culpabilité, mais sa séquestration par mesure administrative comme le seul moyen qui puisse la rassurer sur les actes ultérieurs de cet aliéné. » (5)

C’est bien une délégation de pouvoir qu’a réussi à conquérir la psychiatrie. Ce mandat en cohérence avec les normes judiciaires, elle l’a reçu en assurant que la réponse à la déviance qu’elle apporterait serait répressive.

« Et vous savez fort bien que des patients dont l’état s’est stabilisé pendant un certain temps peuvent devenir soudainement dangereux. » (6)

L’asile institué donc dans la seconde moitié du XIXe siècle vivra sous sa forme primitive pendant plus de cent ans, avec quelques sursauts de changements pendant et à partir de la fin de la seconde guerre mondiale. L’évolution généralisée de la psychiatrie prend corps à partir des années 1960 avec l’apparition du secteur.
Le secteur est à l’origine une entité administrative géographique de gestion des « malades mentaux », son ambition étant aussi de casser l’isolement asilaire. L’objet de ce texte n’étant pas de faire un inventaire complet de l’histoire de la psychiatrie française, il sera plus question du dispositif mis en place par le secteur que de son fond théorique.
Avec l’instauration des asiles, il y avait déjà un dispositif étendu sur le territoire mais tourné sur lui-même, c’est à dire fonctionnant en vase clos, avec très peu de porosité avec le monde extérieur. Le secteur a la volonté d’ouvrir les portes, et non pas de casser les murs. Il s’agit de fabriquer de multiples relais psychiatriques dans la ville, au plus proche des gens. Le maillage entamé par l’asile se resserre encore, à coup de centres médico-psychologiques, centres d’accueil thérapeutique à temps partiel ainsi que d’une myriade d’autres institutions se répartissant la gestion d’une population désormais sortie de l’hôpital psychiatrique mais suivie au plus près de chez elle. Si les défenseurs du secteur aiment à se féliciter de l’importante diminution du nombre de personnes internées à temps complet, il n’empêche que cette évolution aura aussi provoqué une augmentation vertigineuse du nombre de patients pris en charge, ce qui signifie un plus grand nombre de gens rattachés au dispositif de contrôle psychiatrique. (7) De fait, les raisons qui pouvaient valoir à quelqu’un de se retrouver dans le giron de la psychiatrie évoluent : auparavant c’était le caractère de dangerosité qui prévalait et qui justifiait l’internement. Dorénavant, il n’est plus question d’attendre le comportement déviant pour intervenir, mais d’isoler des groupes ou ensembles de personnes à risques, c’est-à-dire présentant une forte probabilité de déviance.

schuiten3C’est là que le concept de prévention prend vraiment son sens. Nous sommes passés d’un monde asilaire clos à une société psychiatrique ouverte sur la société où chaque « déviance » peut être traitée par une administration dédiée : une pour l’enfance, une pour le travail, une pour les ex-taulards, une pour le retour au travail, la réinsertion etc… S’il y a moins d’enfermements à vie en milieu psychiatrique, il y a désormais la constitution de parcours et de circuits fermés dans lesquels les gens sont coincés et dont ils ne peuvent plus sortir.
Ce n’est pas parce que le dispositif a changé que son objet change. Le but étant toujours de contrôler la frange déviante et potentiellement « dangereuse » de la société. Pour illustration, la dernière loi en date encadrant les enfermements en psychiatrie renforce la possibilité de se faire interner sans consentement, et étend la contrainte jusqu’au domicile puisqu’il peut désormais y avoir des mesures de soin « en ambulatoire » sous contrainte, c’est-à-dire chez soi.
La proximité avec la justice n’est pas non plus oubliée. Existe encore cette fameuse potentialité dangereuse, cette hypothétique récidive qui valait aux déments du XIX siècle d’être internés à vie sur diagnostic d’un psychiatre devant les tribunaux. Même la fameuse enquête psycho-sociale réclamée par les juges à propos d’un prévenu, où l’expertise psychiatrique vient confirmer la nature « déviante » de tel prévenu et le condamne encore plus. De manière plus directe, la loi sur la rétention de sûreté (2008) donne la possibilité à une commission composée d’un psychiatre, de membres de la pénitentiaire, d’un psychologue et de représentants de victimes de prolonger une peine accomplie sous prétexte que la personne présente « une forte probabilité de récidive » ou des « troubles de la personnalité ». Cette nouvelle loi réaffirme la force de l’expertise psychiatrique et sa prétention à faire des pronostics et à statuer sur la « dangerosité » d’une personne, c’est à dire à faire un diagnostic sur le futur.

Pour conclure, on peut dire que la psychiatrie a toujours su évoluer avec la société, et toujours pour occuper cette place répressive. Quels que soient les changements dans la manière de diagnostiquer ou expliquer les troubles mentaux, les psychiatres conservent le même rôle social. En bonne institution, la psychiatrie s’est d’abord assurée de sa propre continuité, quitte à redéfinir son objet à chaque moment de l’histoire pour conserver sa place répressive et assurer sa survie. Ainsi, le pouvoir psychiatrique se perpétue…

K.

Notes :
(1) Ph. Pinel, cité par Robert Castel, L’ordre psychiatrique, éditions de Minuit, 1976, p.95. (retour au texte)
(2) Philippe Pinel (1745-1826) : Médecin aliéniste connu pour son fameux geste. Il aurait fait libérer de leurs chaînes les « fous » de la Salpêtrière, mais fidèle à ses principes thérapeutiques, il les réenferma dans les murs de l’asile. (retour au texte)
(3) Esquirol (1772-1840) : Élève de Pinel, est à l’origine de la loi de 1838 dotant chaque département d’un asile. (retour au texte)
(4) Leuret cité in. Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sœur et mon frère…, Folio, 1973, p.253. (retour au texte)
(5) Leuret, ibid, p.379. (retour au texte)
(6) Sarkozy, discours d’Antony, décembre 2008. (retour au texte)
(7) De 1989 à 2003, le nombre de patients pris en charge par l’institution psychiatrique a augmenté de 74%. Source : DREES (Direction recherche études évaluation et statistiques). (retour au texte)

Il n’a eu de cesse de recevoir brimade sur brimade…

Ce qui fait suite est le récit d’un couple ayant subi plusieurs hospitalisations sous contrainte. Ils nous ont envoyé cette lettre et tiennent à préciser qu’ils étaient sous l’emprise des médicaments lors de sa rédaction, ce qui explique son caractère brouillon, qui ne nous avait pourtant pas heurtés. Ils nous ont aussi fait part de leur grande « souffrance psychique , souffrance due aux traitements reçus pendant leur internement« .

Depuis leur sortie, ils sont tous deux soumis à un « programme de soins sous contrainte », et ce pour une durée d’un an, sur décision de leur psychiatre respectif. J. doit rester chez lui car les infirmiers se pointent trois fois par jour pour l’obliger à prendre ses médicaments. Il doit aussi se rendre au CMP (Centre médico- psychologique) tous les quinze jours pour se faire administrer des neuroleptiques sous forme de piqûre retard. Se rajoute à cela une visite mensuelle, elle aussi obligatoire, chez un psychiatre afin « d’ajuster » son traite- ment. Et bien entendu, si soustraction il y a à l’une de ces astreintes, c’est le retour à la case internement. De son côté, A. doit se rendre chaque mois chez un autre psychiatre et suivre son traitement.
On perçoit quelque peu ce que la nouvelle loi permet, dans son volet « soins sans consentement en ambulatoire »…

Après avoir été moult fois hospitalisés de plusieurs manières à Paris et ayant fait le choix avec mon époux de venir vivre à Soucy, l’enfer recommence avec deux mesures préfectorales d’enfermement psychiatrique d’office. Le 27 janvier 2012, la gendarmerie et la mairesse de Soucy se présentent à notre domicile pour nous séparer et nous éloigner loin l’un de l’autre, afin, j’espère qu’ils n’en sont pas conscients, de nous y faire souffrir pendant un mois et demi. Moi, A. à l’unité Henry Hey et J. au CHSY d’Auxerre. Ces mesures d’enfermement ressemblent plus à une détention dans un univers carcéral qu’à un lieu de soins, si tant est besoin de soins il y ait.
Nous en sommes arrivés là car nous avions cessé nos traitements médicamenteux, tellement heureux d’avoir pu quitter Paris pour vivre à la campagne et enfin donner un sens à notre vie commune.
À l’hôpital, les conditions de vie sont répressives et totalement judiciarisées. C’est pourquoi il est urgent d’agir, pour remettre chaque compétence à sa juste place et ne pas faire de la psychiatrie une médecine toute puissante, comme c’est le cas en ce moment. Certains peuvent penser à ce titre, que la création de l’institution du juge des libertés et de la détention est une avancée considérable. En réalité, cette nouvelle loi est bien hypocrite. Elle ne constitue en rien une avancée des droits et des libertés publiques pour le patient hospitalisé. Par exemple, pour ce qui concerne J., mon époux, lors de sa seconde HO du 8 juin 2012, il s’est vu aller devant les juges des libertés comme la loi le prévoit. Il a demandé une contre-expertise psychiatrique. Elle lui a été accordée,mais a été à sa charge. Depuis et comme au début de son hospitalisation, il n’a eu de cesse de recevoir brimade sur brimade, humiliation sur humiliation. Ceci sans raison car son comportement est irréprochable et sa saisine relève de l’application de la loi.
Pour ce qui me concerne et l’hospitalisation du 27 janvier 2012, j’ai été placée en chambre d’isolement pendant dix jours alors que mon comportement était calme, afin de rater la date de l’audience devant le juge des libertés. Cette audience m’a finalement été accordée ultérieurement.

En ce qui concerne la seconde hospitalisation de mon époux, il faut vous dire que la contre-expertise a permis à la préfecture et l’Agence régionale de santé (ARS) de justifier la prolongation de son hospitalisation d’office le mardi 10 juillet 2012 pour un mois ou plus, alors que tout le monde pensait que l’ARS et la préfecture lèveraient à cette date la mesure d’hospitalisation complète. Les conditions de vie des patients, hospitalisés ou non, dépendants de la médecine psychiatrique sont totalement carcérales et répressives.

Les atteintes à la dignité des patients sont quotidiennes et absurdes et non-fondées. Je crois qu’il serait urgent de déjudiciariser la psychiatrie ce qui n’empêcherait pas -dans certains cas si besoin était- de faire appel à la justice.
Enfin, la charte des patients (hospitalisés ou non) soignés en psychiatrie est violée dans son application chaque jour. Par exemple, dans le cas de mon époux, il se voit interdit de choisir librement son médecin. Cette situation a pour conséquence de mauvaises relations patient-médecin. Ce dernier augmentant la médicamentation de mon époux de façon scandaleuse, dangereuse car inadaptée. Il s’ensuit un rapport de force conflictuel (entre le médecin psychiatre et mon époux) qui est néfaste pour sa santé et son équilibre.
Depuis le 30 juillet (date de sortie de J. de sa seconde HO),mon époux est totalement épuisé par son traitement et souffre de fortes douleurs au dos (dues certainement au mauvais état des lits en chambre d’isolement et en chambres et à l’inactivité durant un mois et trois semaines de HO) qui ont généré un traitement supplémentaire d’anti-inflammatoires et antalgiques.

Quand tous ces abus seront-ils dénoncés et la situation des « malades psychiatriques » améliorée sérieusement ? À voir ?

A. & J.

De la radiophobie, et autres pathologies psy…

Dans la droite ligne négationniste des médecins et psychiatres français du programme SAGE, qui inventèrent le concept de « radiophobie » afin de faire passer les effets de la radioactivité sur les populations vivant autour de Tchernobyl pour une sorte de stress post-traumatique, le gouvernement indien projetait jusqu’à récemment d’employer l’arsenal psychiatrique pour briser les luttes antinucléaires locales. La tentative ayant fuité dans la presse et suscité un tollé, elle fera finalement long feu.

Retour en France où des chercheurs s’évertuent en ce moment même à faire de « l’électrosensibilité » une pathologie strictement psychosomatique. L’électrosensibilité, c’est cette sensibilité au brouillard électromagnétique produit par les antennes-relais, téléphones portables et autres ondes wifi. Mais pas lieu de s’alarmer apparemment : à en croire les pouvoirs publics, « la maladie des ondes, c’est dans la tête » comme le titre ironiquement « Le Canard enchainé ».

Et l’harton553ebdomadaire satyrique de nous décrire par le menu les résultats de la « grande étude » sur le sujet promise en 2009 par la ministre de la Santé Roselyne Bachelot. On n’y trouve pas trace d’analyses biologiques, de relevés d’IRM ou de groupe témoin ne serait-ce que pour donner une caution scientifique à l’étude. Non, non, on aura droit aux analyses éclairées d’un sociologue, d’un psychiatre et d’un journaliste pour nous assurer du caractère « mythique », voire carrément pathologique de cette nouvelle « mode ». « Pas mal d’entre nous ont peur de participer à l’étude, de peur de se retrouver en psychiatrie », dénonce un membre du collectif des électrosensibles de France. La psychiatrie, c’est politique, qu’on vous disait…

Sources : Arkadi Filine, Oublier Fukushima, Les éditions du bout de la ville, 2012 ; « Courrier International », 28/06/12 ; « Le Canard enchainé », 21/03/12

Quand l’HP assume sa place dans l’arsenal répressif

L’histoire de Ch. révèle comment le pouvoir se sert allègrement de l’enfermement psy comme d’un moyen de réclusion au même titre qu’un autre. Pas même question ici d’une quelconque fonction thérapeutique.
Ch. fut arrêtée et engeolée à plusieurs reprises et entre différents murs. Elle raconte ici, à travers ce tract et ce courrier, comment, suite à deux manifs, la police « traita son cas » à coup d’HO. Mais cela ne s’arrêtera pas là. L’administration n’aime pas les fortes têtes, les médecins encore moins…
Nous ne dénoncerons pas, comme peut le faire en d’autres occasions le Collectif des 39, « l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques », car loin d’être un effet pervers de l’institution, l’internement, mais aussi le traitement par l’ensemble des structures médicalisantes ne sont qu’un des pans de la gestion sociale. Actuellement, Ch. est en prison et peu de chances qu’un maton l’entende dire merci…

Salut !
portebarreauxVoici un an, je découvrais le monde de l’enfermement psy. Pour souvenir, je mets le tract-BD qui avait été sorti par le Laboratoire anar de Valence à l’époque en pièce jointe.
Le 17 janvier 2009, j’ai participé à une manif à Avignon contre la guerre en Palestine. À l’heure de la dissolution, j’ai engagé la discussion avec des manifestants, leur expliquant que si nous acceptions l’autorité et défilions entre les rangs de flics qui nous encadrent, il n’ y a rien d’étonnant à ce que des jeunes militaires israéliens se soumettent également aux ordres de leurs officiers et tuent des civils. Ce discours n’a pas plu aux organisateurs et le ton est monté. On commençait à s’empoigner quand les flics sont venus m’interpeller, soit disant pour me « sauver la vie ». Comme je ne supporte pas le contact avec les forces de l’ordre, je leur ai ordonné de me lâcher immédiatement. Logiquement, ils me plaquent au sol, me mettent les menottes dans le dos, m’emmènent au commissariat. De là, ils décident de me transférer, à plat ventre dans le fourgon, à l’hôpital.
Sur place, j’ai rencontré un premier médecin. J’ai dû insister pour qu’il m’ausculte démenottée et hors de la présence policière, lui rappelant le secret médical et le serment d’Hippocrate. Il a constaté que je n’étais pas alcoolisée et a rempli le papier adéquat. Les policiers ont alors voulu me remenotter pour me ramener au commissariat. J’ai refusé, leur expliquant que je n’étais pas en garde-à-vue et qu’ils n’avaient aucune raison de m’embarquer. Le médecin leur a dit de me tenir fermement et m’a injecté un puissant sédatif. Comme je me débattais, bien que piquée, menottée dans le dos et allongée sur le brancard, le toubib m’a envoyé une baffe. Puis pendant que je dormais, il a rédigé un certificat d’Hospitalisation d’Office où il disait que je mettais ma propre vie en danger de mort.
Plus tard dans la nuit, une autre médecin a elle aussi rédigé un certificat d’HO mensonger parlant de délires, d’hallucinations et de phobie raciste. Puis, j’ai été transférée à l’hôpital psychiatrique de Montfavet.
J’en suis sortie une semaine plus tard, le médecin de l’unité où j’étais enfermée ayant rédigé un certificat médical de levée d’HO dans lequel il dit que je n’ai aucun trouble psychiatrique et donc pas besoin d’hospitalisation.

Quand je suis sortie et que j’ai eu les certificats médicaux, j’ai essayé de joindre les médecins pour savoir pourquoi ils avaient menti. J’ai eu le premier au téléphone et il m’a dit avoir écrit ce que la police lui avait dicté. Je l’ai informé que je portais plainte contre lui pour faux en écriture et violences. Bien que j’ai insisté, je ne suis jamais arrivée à joindre la deuxième. J’ai eu un collègue à elle qui refusait de me la passer et qui m’a menacée d’un dépôt de plainte pour harcèlement téléphonique et d’une mesure d’Hospitalisation à la Demande d’un Tiers.
J’ai réussi à avoir un courrier de la directrice adjointe qui confirme que je n’ai jamais eu de tendance suicidaire, de délire, d’hallucinations ou de phobie raciste.
Le 2 avril dernier, je suis retournée à l’hôpital afin d’avoir des explications sur les menaces de ce médecin (dépôt de plainte pour harcèlement et HDT), la secrétaire de la directrice adjointe m’a proposé de voir le toubib concerné. Dès qu’il est arrivé prés de moi, il m’a saisie avec trois collègues et m’a envoyé une bonne dose de neuroleptiques en intramusculaire. Même la secrétaire présente a été « choquée par la violence du guet-apens ».
Ils m’ont gardée quinze jours à l’HP de Montfavet, constamment à l’isolement et sous injections ou traitements neuroleptiques. Je suis sortie il y dix jours, je continue à faire des cauchemars. J’ai déposé plainte contre le service des urgences de l’hôpital pour agression préméditée en réunion.
Voilà.

Ch.

Retour sur le S.P.K.

Nous n’avons pas la prétention ici de décortiquer un mouvement, mais d’en présenter quelques lignes, dont le caractère offensif nous a plus. Nous joignons la préface écrite par Jean-Paul Sartre du livre du S.P.K. Faire de la maladie une arme qui nous semble éclairer les propos très théoriques du S.P.K. (Sozialistisches PatientenKollectiv / Collectif socialiste de patients). Nous ne reprenons pas à notre compte l’intégralité de l’analyse théorique de ce groupe marxiste. Il nous semble que la part de gestion sociale assurée par le pouvoir psychiatrique n’est pas assez prise en considération dans leurs analyses. C’est un exemple allemand d’antipsychiatrie dont la singularité est de replier complètement la critique du psychiatrique sur celle des rapports de production capitalistes.

Le S.P.K. est un collectif qui s’est constitué au début de l’année 1970 dans la clinique psychiatrique universitaire de Heidelberg, et ce autour du psychiatre Huber. Ils ont mené un certain nombre d’actions, notamment ils occupèrent leur clinique, qui devint leur local. Ce groupe s’inscrit dans les mouvements diffus qui traversaient l’Europe et qui visaient à critiquer la psychiatrie. Ce mouvement, dans sa forme primitive, a duré jusqu’à la fin de l’année 1972 et l’arrestation de Huber, qui fut condamné à 4 ans et demi de prison pour « association criminelle ». Le S.P.K. lui-même n’a été à aucun moment ni condamné ni interdit. Pour autant ça n’a pas empêché une répression violente (1) de s’abattre sur ses membres. Le mouvement perdura et existe encore actuellement sous une autre forme.

Chers camarades,
cerveauJ’ai lu votre livre avec le plus grand intérêt. J’y ai trouvé non seulement l’unique radicalisation possible de l’anti-psychiatrie mais une pratique cohérente qui vise à se substituer aux prétendues « cures » de la maladie mentale.

Ce que Marx appelait l’aliénation, fait général dans une société capitaliste, il semble que vous lui donniez le nom de maladie, à prendre les choses en gros. Il me paraît que vous avez raison. En 1845, Engels écrivait dans Situation de la classe laborieuse : « (l’industrialisation a créé un monde tel que) seule une race déshumanisée, dégradée, rabaissée à un niveau bestial, tant du point de vue intellectuel que du point de vue moral, physiquement morbide peut s’y retrouver chez soi. » Comme les forces atomisantes s’appliquaient à dégrader systématiquement une classe d’hommes en sous-hommes, de l’extérieur et de l’intérieur, on peut comprendre que l’ensemble des personnes dont parle Engels aient été affectées de la « maladie » qui peut se saisir à la fois et tout ensemble comme un dommage qu’on a fait subir aux salariés et comme une révolte de la vie contre ce dommage qui tend à les réduire à la condition d’objet. Depuis 1845, les choses ont profondément changé mais l’aliénation demeure et elle demeurera aussi longtemps que le système capitaliste car elle est, comme vous le dites, « condition et résultat » de la production économique. La maladie, dites vous, est la seule forme de vie possible dans le capitalisme. Du coup, le psychiatre, qui est un salarié, est un malade comme tout le monde. Simplement la classe dirigeante lui donne le pouvoir de « guérir » ou d’interner. La « guérison », cela va de soi, ne peut être, dans notre régime, la suppression de la maladie: c’est la capacité de continuer à produire tout en restant malade. Dans notre société il y a donc les sains et les guéris (deux catégories de malades qui s’ignorent et observent les normes de la production) et, d’autre part, les « malades » reconnus, ceux qu’une trouble révolte met hors d’état de produire contre un salaire et qu’on livre au psychiatre. Ce policier commence par les mettre hors la loi en leur refusant les droits les plus élémentaires. Il est naturellement complice des forces atomisantes: il envisage les cas individuels isolément comme si les troubles psychonévrotiques étaient des tares propres à certaines subjectivités, des destins particuliers. Rapprochant alors des malades qui paraissent se ressembler en tant que singularité il étudie des conduites diverses – qui ne sont que des effets – et les relie entre elles, constituant ainsi des entités nosologiques qu’il traite comme des maladies et soumet ensuite à une classification. Le malade est donc atomisé en tant que malade et rejeté dans une catégorie particulière (schizophrénie, paranoïa, etc.) dans laquelle se trouvent d’autres malades qui ne peuvent avoir de rapport social avec lui parce qu’ils sont tous considérés comme des exemplaires identiques d’une même psycho- névrose. Vous, cependant, vous vous êtes proposés, par delà la variété des effets de venir au fait fondamental et collectif: la maladie « mentale » est liée indissolublement au système capitaliste que transforme la force de travail en marchandise et par conséquent, les salariés en choses (Verdinglichung). Il vous paraît que l’isolement des malades ne peut que poursuivre l’atomisation commencée au niveau des relations de production et que dans la mesure où les patients, dans leur révolte, réclament obscurément une société autre, il convient qu’ils soient ensemble et qu’ils agissent les uns sur les autres et par les autres, bref, qu’ils constituent un collectif socialiste. Et puisque le « psychiatre » est lui aussi un malade vous vous refusez à considérer le malade et le médecin comme deux individus organiquement séparés: cette distinction, en effet, a toujours eu pour effet de faire du « psychiatre » le seul signifiant et du malade isolé et mis hors la loi le seul signifié donc le pur objet. Vous considérez, au contraire, la relation patient-médecin comme une liaison dialectique qu’on trouve en chacun et qui, selon la conjoncture, une fois les malades réunis, manifestera surtout l’un ou l’autre de ces deux termes dans la mesure où les patients insisteront davantage sur les éléments réactionnaires de la maladie ou dans celle où ils prennent davantage conscience de leur révolte et de leurs vrais besoins, niés ou défigurés par la société. Il devient nécessaire puisque la maladie, par-delà les divers effets, est une contradiction commune et puisque chaque individu est un signifiant-signifié, de mettre les malades ensemble pour qu’ils dégagent les uns par les autres les éléments réactionnaires de la maladie (p.ex. idéologie bourgeoise) et les éléments progressistes (exigence d’une société autre dont la fin suprême soit l’homme et non plus le profit). Il va de soi que ces collectifs ne visent pas à guérir puisque la maladie est produite en tout homme par le capitalisme et que la «guérison» psychiatrique n’est qu’une réintégration des malades dans notre société mais qu’ils tendent à pousser la maladie vers son épanouissement c’est-à- dire vers le moment où elle deviendra, par la prise de conscience commune,une force révolutionnaire.

Ce qui me paraît saisissant dans le SPK c’est que les patients sans médecin individuel – c’est-à-dire sans pôle individué des significations – établissent des relations humaines et s’aident les uns les autres à une prise de conscience de leur situation en se regardant dans les yeux, c’est-à-dire en tant que sujets signifiants-signifiés alors que dans la forme moderniste de la psychiatrie, la psychanalyse, le malade ne regarde personne et que le médecin est placé derrière lui pour enregistrer ses propos et pour les grouper comme il l’entend, cette détermination spatiale du rapport patient-médecin mettant le premier dans la situation d’un pur objet et faisant du second le signifiant absolu, déchiffrant le discours de la maladie par une herméneutique dont il prétend avoir seul le secret.

Je suis heureux d’avoir compris le progrès réel que le SPK constitue. En appréciant vos recherches je comprends aussi qu’elles vous exposent à la pire répression de la société capitaliste et qu’elles doivent déchaîner contre vous, outre les représentants de la « culture », les politiques et les policiers.Il vous faudra lutter par tous les moyens car les dirigeants de notre société prétendent vous empêcher de poursuivre vos travaux pratiques. Fut-ce en vous accusant gratuitement de conspiration. Ce n’est pas sur des emprisonnements imbéciles qu’on vous jugera mais sur les résultats que vous aurez obtenus.

Jean-Paul Sartre
17 avril 1972

Onze fois la maladie

  1. La maladie est la condition et le résultat des rapports de production capitalistes.
  2. En tant que condition de rapports de production capitalistes, la maladie est force productive pour le capital.
  3. En tant que résultat des rapports de production capitalistes, la maladie est, sous sa forme développée de protestation de la vie contre le capital, force productive révolutionnaire pour les hommes.
  4. La maladie est la seule forme possible de « vie » sous le capitalisme.
  5. Maladie et capital sont identiques : l’intensité et l’étendue de la maladie augmentent à mesure que s’accumule le capital mort, – mouvement qui va de pair avec la destruction du travail humain, appelée destruction du capital humain.
  6. Les rapports de production capitalistes impliquent la transformation du travail vivant en matériau mort (marchandise, capital). la maladie est l’expression de ce processus en perpétuelle extension centrifuge.
  7. En tant que chômage voilé et sous la forme des charges sociales, la maladie est le tampon des crises dans le capitalisme développé.
  8. La maladie sous la forme non développée, l’inhibition, est la prison intérieure de l’individu.
  9. Si on retire aux instances de l’appareil de santé l’administration, l’utilisation et la conservation de la maladie, et si celle-ci prend la forme de la résistance collective des patients, l’état doit alors passer à l’attaque et remplacer l’absence de prison intérieure des patients par de « éritables » prisons extérieures.
  10. L’appareil de santé peut s’occuper de la maladie à la seule condition que le patient n’ait aucun droit.
  11. La santé est une chimère biologico-fasciste qui a pour fonction de voiler la nécessité sociale de la maladie et sa fonction aux yeux des abrutisseurs et des abrutis de ce monde.

in SPK, Faire de la maladie une arme, Champ libre, 1973, p.17

Notes:
(1) « Le 21 juillet 1971, plusieurs centaines de policiers armés, transportés par hélicoptères, faisaient irruption dans les locaux du S.P.K. qui alors regroupait environ cinq cents patients. Onze d’entre eux étaient emprisonnés, huit seulement allaient être remis en liberté… ».
SPK, Faire de la maladie une arme, Champ libre, 1973. (retour au texte)

La réponse pour les fous

« Je vénère les fous, c’est mon plaisir intime
Et dans l’antre des crimes, je les illusionnerai libres »

lapierreaucouIL FAUDRA RESTER FOU !
Devenus fou par de mauvaises raisons
Quelle chance d’être différents de ceux qui nous regardent mal
Provoquer la rupture et s’en faire une alliée
Il n’y a plus à respecter
Il faut rester fou
Devant le jugement de la réticence
Il faut rester fou et ouverts
A tous ceux qui causent notre remord
Il faut résister ouverts
Se prendre pour eux sans les comprendre
Les devenir pour les dépasser
IL FAUDRA RESTER FOU !

Quand partout pour tout vous dire *
Barré instable, inaccessible comme l’horizon d’aujourd’hui l’est
Je ne trouve que la folie pour répondre à mon attente
Quand la folie me craint comme je l’ai
Quand partout je l’aime tant elle me disperse

Quand partout pour dire encore *
Son lot de souffrances me purifiant d’un raisonnable trop ancré
Je lui appartiens
Quand partout les atmosphères mêmes la respirent
Mon cœur la désirant palpable

Quand partout *
Folie pure bien entendue, folie de mes origines
Y creuser encore, en prendre une poignée et filer avec
Quand partout la répandre en allant
Sentir l’éternité me vivre
Lui répondre fou
Elle me souhaitant de le rester

Et c’est ainsi et j’étourdis mes manières d’être pour une autre prophétique sincère…

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !
Accourons sur l’autel
Tels des poètes et jouissons !

Nos humeurs bipolaires nous ouvrent à d’autres horizons
Aller par-ci… Aller par-là… Allons-y vraiment !
Nos psychoses en étincelles métalliques et rayons du ouï-dire
Nos grands délires à régénérer en allant combattre les jugements du faux

Nous irons danser dans les cimetières
Et sur la tombe d’Œdipe
Nous ferons l’amour à en faire jouir la pudeur
A décomplexer la norme de ses pleins pouvoirs

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !
Que tout le monde danse !
Plaisir et résistance !

Et ceux pour qui la violence est trop grande
Vous aurez le choix des armes

Ne nous soucions plus de ces peurs que nos désirs vont transcender

Vouloir être seul, rester triste et vouloir mourir
Seront des vœux pleins de surprises
Quand nous ferons des prisons, des hp, des églises
Des ruines à les faire exaucer

Quant aux regards baissés, attentifs au désespoir
Répliques patientes du regard d’un dieu dans le ciel
Votre manque de confiance sera un plus pour mieux voir nos racines

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !

Repousser les limites au-delà du visible sera notre politique sécuritaire à nous
Car pour notre survie
Nous croyons en ce qui n’a pas été découvert

Nous verrons que nos pensées paranoïaques sont des vérités à venir
Qu’elles nous étonneront au point de nous voir de l’extérieur

Nos angoisses nous nourrissent d’un trop plein
Nous allons entendre, entre douleurs et dérisions
Ce à quoi ce cœur nous appelle

Nous irons digérer de nouvelles émotions
Surgissantes inédites, avouées, exaltées

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !

Nous ferons l’éducation à Dame Nature
Que lorsqu’elle nous aura appris ce qu’est vraiment la mort

Les mystères réapparus, les réhabiter ensemble et sans se cacher

Nous deviendrons ces épouvantails à têtes de clown
Et dans l’obscure et fondus au soleil
Nous en oublierons nos identités et pour nous reconnaître
Nous serons différents
Nous deviendrons les phares de l’absolu
Des miroirs déformants pour aller voir ailleurs

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !
Accourons sur l’autel
Jurons sur le destin de l’incompréhensible
Revenons idiots afin d’être nous-mêmes dans cet accord fatal
Accourons sur l’autel
Laissons faire un tourbillon de toutes les logiques
Accourons sur l’autel
Tels des poètes et jouissons !

T.

Les clefs de soi

enchainesMon parcours m’a conduit à goûter à de nombreuses institutions, que ce soit d’un côté ou de l’autre de la barrière. Parce qu’une institution, c’est d’abord une barrière. Lorsque je suis entré dans un service de psychiatrie, le premier objet qui m’a été remis était une clef. Parmi les individus qui fréquentaient ce lieu, il y avait ceux qui avaient la clef, et ceux qui ne l’avaient pas ; ceux qui étaient libres d’aller et venir, et ceux qui restaient dépendants du bon vouloir des porteurs de clef.
Lorsqu’est venu le temps de quitter ce service, je ne l’ai pas rendue, cette clef. Je crois que j’avais peur de ne plus l’avoir. M’en donnerait-on encore une si je devais revenir ici ?
Nous passons une large part de notre temps à chercher des clefs, celles qui nous permettraient de sortir de nous-mêmes. Parce qu’on a été enfermé en soi. Comment ? Par qui ? Si je suis toujours à la recherche de ces clefs aux formes multiples, j’en ai trouvé quelques-unes sur ma route que j’aime à partager.

Quand je suis devenu père, ce n’est pas une clef que j’ai reçue, mais un véritable trousseau. Je me suis senti immensément responsable – ce qui voulait dire que j’avais maintenant « à répondre de » quelque chose, d’un résultat attendu. Comme un travail, ou un devoir à rendre. Mille portes se devaient d’être fermement gardées. Je le savais, j’en étais convaincu – me l’avait-on suffisamment enseigné ! – et j’avais largement cédé : j’étais devenu un bon élève.
L’institution psychiatrique est punitive, comme toute institution. L’enfermement est une punition en soi, d’autant plus qu’il est « libre » et se fait « avec le consentement du patient ». Je ne parle pas simplement de l’enfermement des corps, que nous voyons à peine tellement nous y sommes habitués ; comme dans ce service, dans une chambre d’enfant ou dans une cour d’école. C’est aussi, plus subtilement, la construction d’une représentation de soi qui nous modèle, largement induite et conforme aux volontés de l’institution. Et à force, nous obtempérons. Ici un être veut « guérir » dit-on, mais ce sont les soignants qui balisent le parcours et en définissent par avance le résultat à atteindre. Là un autre veut explorer la vie qu’il découvre, mais ce sont les enseignants qui lui fournissent les mots qu’il faut employer pour dire son expérience du monde, les outils à utiliser, les buts à atteindre. « Tu seras à mon image, mon fils ». Au nom de…

Là, les variantes sont multiples et les alternatives nombreuses. Autant de méthodes que de centres d’accueil. La palette reste large et nous donnerait même parfois l’avant-goût d’un choix. Une société libérale, tout de même. « Mais il y a des limites. » Ça, c’est sûr ! Et c’est bien le problème. Toutes les institutions sont là pour nous le rappeler au quotidien, chacune à sa façon et selon son intérêt propre, mais bien coordonnées entre elles.
Le maillage paraît serré, mais il y a une faille : une « institution », ça n’existe pas. Je n’ai jamais rencontré que des porteurs de clefs.

Ma fille et moi, ça a failli nous gâcher la vie, toutes ces clefs ; toutes ces phrases, tous ces gestes répétés à trente ans d’intervalle. Lorsque je me suis entendu être père, j’ai cru entendre parler le mien. Je me suis même demandé s’il n’était pas dans la pièce ! Même pas. Je crois simplement que je commençais à me métamorphoser en père. Les clefs me brûlaient les doigts, et je voyais ma fille s’éloigner derrière les barrières que je lui construisais peu à peu, très appliqué, et avec l’assentiment général. Et cette relation magnifique, l’intense bonheur partagé de sa venue au monde, se décolorait lentement et commençait à ressembler doucement à l’image d’une publicité pour la CAF.

La famille est une institution. Ailleurs sur mon chemin, j’ai rencontré des êtres de tout âge et de toute condition qui s’en passaient très bien et qui rayonnaient de joie de vivre. En leur présence, j’ai appris qu’on vit bien mieux hors de la peur. Alors, j’ai donné ma démission ; mais j’ai gardé les clefs qui me restent pour pouvoir les offrir à ceux qui n’y ont pas droit. Ceux qu’on appelle les « mineurs », entre autres. Ma fille par exemple à qui j’ai ouvert les portes de l’école dans laquelle je l’avais placée sans lui demander son avis. Elle n’aura hésité que quelques semaines avant de choisir de s’en sortir. Il m’arrive de lui rappeler qu’elle peut y aller si elle veut. Et nous éclatons de rire.

Maintenir la barrière de la différence – entre ceux qui prétendent savoir et ceux qui devront admettre ce qui est bon pour eux – implique de la contrainte, donc de la violence. Toute barrière est grosse de répression. Pour le savoir, il suffit simplement d’essayer d’en franchir une sans y être invité par l’autre côté. Le maintien de cette différence prévaut sur notre liberté, autant la tienne que la mienne, de quelque côté que nous soyons. Toute barrière est limitante pour chacun, et les porteurs de clefs y tiennent beaucoup. Parce qu’ils ont peur. Ils se sentent protégés et ils y croient. Ils y croient parce qu’on leur a dit, on leur a inculqué. Par la peur. Puis en leur posant des barrières qu’ils ont cru solution à la peur. Ce qu’ils transmettent. Et ça recommence. Dites, si on arrêtait un peu pour voir ? Qu’est-ce qu’on risque à ne plus propager nos entraves ?
Une institution est une organisation qui produit et distribue des clefs. Leur but est de maintenir les différences qu’elles proclament : adultes enfants, médecins patients, français étrangers, normal pas normal. Et nous dans tout ça ? Et nos amours, nos tendresses, nos bonheurs, nos tristesses, tous ces cris et ces sourires qui surgissent, ces mots que tu m’adresses, mon enfant, mon ami.e, et qu’on me commande de te retenir, ces gestes spontanés que tu voudrais m’offrir pour dire ton affection et qu’il m’est demandé de réprimer avant même leur apparition, avant même qu’ils ne m’atteignent et ne me touchent. Pourquoi avons-nous si peur d’être touchés ?
Au nom de quelle absurdité devrais-je t’orienter vers un avenir commun dont je ne sais rien, qui ne sera ja- mais que celui que j’imagine sous influence, alors que ta créativité me surprend chaque jour, que tu connais encore d’évidence ce que j’ai parfois bien du mal à ne pas oublier de cette intensité de vivre ?
Parce que simplement je suis plus grand que toi, plus fort, mieux armé et largement soutenu par toute une société ?

La violence, comme la punition, ça s’explique, mais ça ne se justifie pas. Ça s’impose. Nous pouvons choisir de faire avec. Nous pouvons tout aussi bien choisir son abolition. Parce qu’alors la peur cesse. À partir de là, on peut respirer, reprendre du souffle, et réfléchir, sereinement. Comment va-t-on faire alors ? Je ne sais pas. Mais nous ne sommes pas seuls. Il y a, ensemble, un monde à réinventer chaque matin. Rien moins que la beauté de la vie qui court et n’en finit pas de venir au monde.

Vi., Marivieille, juin 2012.

Retour sur des rencontres – La Borie – Marivieille

Les journées « La liberté est thérapeutique » au squat La Titanik en juin 2010 à Montreuil ont été un déclencheur : depuis, plusieurs rencontres ont eu lieu, mettant en relation des dizaines de personnes mues par le désir de résister à la psychiatrie, dont celle du Mas d’Azil en septembre 2011. Petit retour sur celles de La Borie dans les Cévennes et Marivieille dans la Drôme, avec, intercalé, le témoignage d’un participant à La Borie.

La Borie août 2012

marivieilleInvitation est lancée un ou deux mois avant avec l’idée de se retrouver sur 5/6 jours autour de questions qui tarraudent, d’institutions qui rebutent, de situations rencontrées, d’alternatives à imaginer, construire…
Tout cela plus ou moins en résonance avec ce qui est appelé le mouvement antipsychiatrique (1), dans la lignée duquel certains s’inscrivent parfois, du moins en partie…
À La Borie, rien n’était programmé : ces journées ont été ce que les personnes sur place en ont fait.
« Ce que j’aime dans les rencontres qu’il y a eu au Mas ou à La Borie, c’est qu’en fait on se pose beaucoup de questions, on a tout à déconstruire, et il n’y a pas beaucoup d’affirmations (…) on se demande comment on peut faire, c’est le début d’un mouvement, de la renaissance d’un mouvement et ça, c’est super intéressant ! »
« À l’écoute de nos désirs et à l’écoute du désir des autres, sans stigmatisation, sans jugement, d’une manière un peu inconditionnelle. Et du coup, ça libère les imaginaires… » « Moi, je me rouvre petit à petit grâce à ce genre de rencontres et après, toute l’année, avec les permanences (2). Pour moi, c’est hyper important, ça m’a presque sauvé la vie psychique, de rencontrer les gens qui militent sur l’antipsy. » (3)
La beauté du lieu, le temps, la qualité des relations ont créé une alchimie particulière, toute-s sont reparti-e-s gonflées à bloc, avec une patate d’en- fer ! Prêt-e-s à bouger dans leur région…

Parmi les ateliers et discussion proposés :
– Question de la cohérence politique. Lutte antipsy, dynamique de recherche autour du soin : quelle réalité à défendre ? Contre quoi / pour quoi se battre ? Comment alternatives et radicalité peuvent elles se compléter et non s’opposer ? Présentation d’ »Icarus project ».
– Dépendances aux psychotropes (médocs / non médocs), expériences de sevrage – si tant est qu’il faille se sevrer, a-t-il été précisé. Discussion en vue de la réalisation d’une brochure sur le sevrage neuroleptiques.
– Discussion sur « Délires et bouffées délirantes ».
– Discussion sur l’enfance / question de l’infantilisation des soigné-e-s.
– Ateliers corporels : yoga, res- piration, expression corporelle, théâtre de l’Opprimé.

Un temps d’émancipation individuelle et collective

A La Borie : plus qu’une fédération des consciences, ce fut une fédération des Imaginaires ; l’élan vital d’une construction des identités ; une Révolution – pour moi – , et j’y ai trouvé une famille Vraie. Chacun – avec ses épreuves de feu de la psychiatrie – a pu, avec une sensibilité touchante, et un éveil tendu vers l’Autre, témoigner de son désir de transformer ses propres expériences en une vacuité de ses vécus ; afin de visualiser la rencontre des regards vers des stades ultérieurs de recomposition politique. Face et contre des réalités effroyables que nous a infligées la psychiatrie et qu’elle nous réserve – Assassine – dans le silence psychotrope de ses hôpitaux-prisons.

Car, purement et simplement, nous visons à sa destruction. Elle-même a voulu nous détruire (servons-nous de sa destruction comme lame de fond), mais cette Grande Faucheuse ne peut venir à bout si facilement d’individus déterminés à ne pas se faire dépecer vivants par le cauchemar dans lequel elle nous entraîne… et nous draine jusque dans ses phantasmes en trompant nos cailloux blancs… et dans lequel nous rêvons les yeux ouverts pour contrer ses projets cannibaliques !

Ainsi, près des méandres d’une rivière où nous nous baignions les corps nus, nous touchions de près la lumière. Nous dormions dans des tentes, d’autres dans un squat, quelques-uns dans un tipi (les rêves, la nuit, peut-être incarnaient dans les corps endormis les âmes des Indiens morts ou sur leur sentier de guerre). Et il y avait, aussi, une yourte où nous nous réunissions le jour comme la nuit pour y échanger nos messages, pour y lire la documentation sur les tables de presse, pour y discuter de l’organisation des ateliers, pour nous y dé- tendre, pour y construire des liens…

D’ailleurs, l’atelier « Cohérence politique » était une touche caméléone qui apportait à notre arc-en-ciel de nouvelles manières de voir et nommer les couleurs. C’était une super-vision des processus créatifs dés- orientés – peut-être ? – vers une co-errance (en recherche de nouvelles pistes…) puisant sa force dans les parcours intermédiaires de chacun (le tirant vers ses propres nuances), un projecteur pour construire un feu, et le braquer sur le projet Icarus… premiers balbutiements (pour sortir de son labyrinthe-en-langue-étrangère), dont la traduction vient, s’acheminera…
Autour, les reliefs couverts de végétation prédisposaient à un socle commun ; le désir conscient de nous déshabiller de nos vêtements de paroles des « Nations civilisées » pour nous dépouiller du superflu et ne plus voir nos regards dans les miroirs : ceux de la société de consommation, et pour lui interdire l’accès à nos incons- cients, pour lui barrer délibérément la route, et pour que nos regards émargent les uns dans les autres. Chacun et chacune s’exprimant librement ; personne ne jugeant l’Autre. Une confiance commune était à l’oeuvre. Une « Œuvre au noir ». Elle rayonnait sa force, et la nuit, au- tour du feu en flammes, le ciel constellé d’étoiles, les silences solitaires et les conversations multiples donnaient au contexte de notre résistance à la psychiatrie l’élan vital d’une lutte contre l’obsession qui nous envisage de son regard de mort.

Nous. Nous portions la vie. Nous transe-portions nos eaux. Parfois, elles coulaient sur nos joues – comme volonté et puissance (sensible) ou bien se retenaient aux chutes de nos pensées. Il y avait aussi l’atelier théâtral axé plus sur les corps (leur langage) que sur les paroles (nous éloquions leurs silences) ; axé sur notre animalité (fauve et /ou herbivore) et notre sens de la spontanéité, de notre imprévisible questionnement intérieur trouvant des réponses dans la danse des sentiments et des émo- tions… dans nos regards se tournant autour, comme des bêtes sauvages… dans le miroir tendu vers l’Autre et son Ailleurs ; pour l’aider à se découvrir, dans ce décalage naturel et vital opérant ses fractures-du-réconciliable en contre-point des postures dé-stéréo-typant le familier-vécu et l’invisibilisant clairement, lorsque nous sommes mis-en-situation. Et un corps retrouvant le Sauvage qui-est-en-lui, ses instincts primitifs, fera tout pour éviter les divertissements ou sa diversion ; pour éviter, de retour dans Babylone (mot de NN.), sa concentration dans les réserves et les captivités des espaces organisés. À cela, s’est ajoutée une expérience rare, et partagée par tous et chacun, lors d’une construction organique d’une machine-humaine (un Inconscient machinique déstructurant nos automatismes) où chacun avait une fonction isolée dans les engrenages – rouages pensants –, dans les agencements collectifs ; fonction isolée mais aussi reliée dans ces rouages libérant la créativité de l’engrenage du corps-rendu-fou en communiquant sa conscience collective, trouvant sa rythmique non-normative dans un assemblage de forces en gestes et en sons ; en images intériorisées du film en développement incorporant le regard extérieur sur sa propre scène de particules élémentaires ou moi peauétisant, s’auto-gestionnant… ce fut un exercice du théâtre de l’Opprimé, impulsé par D. et I…

L’atelier « Délire et bouffées délirantes »; F. m’en a touché quelques mots qui avaient l’intelligence d’y voir du positif,une revendication du délire comme forme organisée–ou vécu pleinement dans un plaisir non-intellectualisé, une expression de l’être touché par la grâce… Mais encore des ateliers d’écriture (avec N.); une écriture à plusieurs voix ; des mots choisis par chacun au hasard de rencontres avec d’autres. Avec des temps de silence où jaillissaient des thèmes – en correspondances et conjonctions – , une recherche qui débouchera sur une édition de nos écrits…

Ces réunions librement choisies, et nos rencontres (alors qu’une mélodie s’élevait au-dessus de nos êtres) se sont déroulées sur 5/6 jours.Elles furent redistribuées –en tributs et en contenus – lors de nos repas et dans nos pas parés d’étoffes… et ailleurs au coeur de l’Autre.Des secrets se créaient. Défaisaient les robes de clarté. D’autres ateliers comme : le sevrage des traitements chimiques (avec R.), les lectures sous la yourte: avec L. et ses slams, A. –féminin A.– conteur clair obscur, P. et ses invocations chamaniques, S. le révolté, A. touchante et touchée, et moi-même électrisé.Les échanges sur la thématique de l’Enfance (ce Sanctuaire en danger) et bien d’autres sujets (qui témoignent de parcours individuels, de corps de textes, de biographies, de nos analyses et de nos identités luttant sans relâche contre l’Empire de la Raison médicalisante)… mots jaculés… comme sous les noisetiers, au bord de la rivière ou dans un champ d’étoiles et de jachères ; de friches à déchiffrer…

Ce fut un temps d’émancipation individuelle et collective, des lieux propices pour affûter nos armes critiques et nos larmes aiguisées enfouissant nos plaies en eaux vives, un champ d’énergies et de désirs, une refonte des Imaginaires pour contrer un Réel connu et dénoncé par tous, pour le démasquer, peindre nos visages de couleurs guerrières; quand les enfants –en liberté– sauvages et beaux, vivaient leurs propres jeux… expérimentaient l’univers tout autour, vaste et profond… d’interdits à transgresser…

Oui,une refonte des Imaginaires sous les frondaisons des arbres et sous la voûte de nos ciels étoilant l’Avenir : nous, météorites aveugles dessinant nos perspectives à dessein ! Pour contrer en nous ce Réel-éprouvé, nos épreuves, et nos preuves…
Quand sur le départ, après avoir plié le camp… les étreintes chaleureuses et amicales et Amoureuses… les embrassades et les mots-derniers échangés, comme changés dans l’instantané; déconstruire la réalité venant, où nous nous retournons vers l’extérieur, vers ses rapports de domination, ses langages totalitaires…

Nous nous renforcions par l’étreinte, dans les tissus de nos mots: enveloppes de silences relâchant sans la dessaisir la force contractée dans un désir de Révolution… La post-psychiatrie, nous la faisons! Défaire –en nous– ce que d’autres veulent faire de (et dans) nos corps, et de nos pensées ! Nos pensées qui osent le magnifique. Sur les ailes du Chant, un Vol de papillons nous attire loin des filets : une autre rencontre est prévue à Marivieille, du 10 au 16 octobre !

Nos rêves sont en colère !

V.

Marivieille, octobre 2012

Un lieu, en petite montagne, dans le Diois, très beau mais avec le soleil estival en moins. Le même principe d’im- provisation totale et la présence d’une quinzaine de personnes qui avaient été à La Borie deux mois avant.
À noter que ces six journées se sont déroulées dans une ambiance de bienveillance collective, de solidarité, avec un grand respect, une grande attention portée les un-e-s aux autres, faisant la « démonstration », s’il en était besoin, qu’en un lieu et un temps donnés des personnes peuvent commencer à changer leurs relations…

Parmi les ateliers et discussions mis en place, des points communs avec La Borie bien sûr et des propositions nouvelles, telle la discussion « Normalité, diagnostics, étiquettes » : interroger la normalité dans toutes ses dimensions : médicale, sociale, politique. Une des fonctions sociales de la normalité : faire en sorte que les personnes normées soient insérées dans le monde du travail et donc soient productives… Le DSM, outil d’enfermement massif dans une idéologie de la normalité, n’a pas manqué d’être évoqué. Une question parmi d’autres : comment avoir entre nous des relations le plus possible débarrassées de ces références au normal ?

Autre moment fort, la discussion sur « Lieu de vie, alternative concrète de survie ». Le groupe a passé en revue toutes les possibilités de faire exister un lieu de vie et/ou d’accueil et a tenté d’apporter des réponses aux multiples questions que cela pose. La question « Un lieu ? Et si oui, lequel ? » dépend avant tout de l’intentionnalité. Premier cas de figure : pas d’intentionnalité déclarée, donc pas de lieu fixe spécifique, les choses se passent alors beaucoup plus dans le quotidien, avec un groupe de personnes aidant à un moment donné une personne « allant mal ». À l’opposé, il y a l’option du lieu d’accueil qui n’existe que pour remplir cette fonction. Mais alors n’est-ce pas recréer un lieu institutionnel ? Avec les options intermédiaires : un lieu fixe, mais qui à côté est aussi une habitation ; un lieu temporaire mis à la disposition d’un groupe de personnes accompagnantes. Une question très liée et qui n’est pas la moindre : celle qui porte sur la qualité des personnes qui accompagnent… (Entre autres, quelle est leur position ? Quelle est leur expérience ?)
Parmi les autres discussions et ateliers proposés : présentation de la technique de la co-écoute (avec mise en pra- tique), présentation de W. Reich en deux temps : éléments biographiques et théoriques, expérimentation), ateliers d’expression et d’exploration corporelle (pour commencer la journée).

Dommage tout de même que la discussion « La lutte antipsy, cohérence politique entre hier et aujourd’hui », n’ayant trouvé personne pour la porter, n’ait finalement pas pu se dérouler. Il semblerait que ce thème provoque un double mouvement collectif d’attraction-répulsion. Mais qu’aurions-nous à gagner à opposer lutte politique contre la psychiatrie et mise en place d’éléments concrets de soutien à des personnes « allant plus ou moins mal », sinon de marcher sur une jambe ?

Quoi qu’il en soit, continuons à faire vivre de telles rencontres, qu’elles soient inorganisées ou plus ou moins pré- parées. Elles tiennent une place importante dans toutes les actions et initiatives de résistance à la psychiatrie, en contribuant notamment à créer une continuité.

J.

Notes:
(1) Ce terme est devenu usuel pour signifier « contre la psychiatrie » mais le fait qu’il fasse référence à des mouvements historiques rend son usage problématique. (retour au texte)
(2) Une permanence « Résister à la psychiatrie », à l’initiative du collectif Sans Remède se tenait jusqu’à récemment au Rémouleur, 106 rue Victor Hugo 93170 Bagnolet. Pour plus d’infos sur les activités du Rémouleur, c’est ici. (retour au texte)
(3) Quelques propos tenus dans le cadre de l’émission L’entonnoir, animée par Denis, avec Nathalie et Malik, sur Radio-Libertaire, 89.4, le mercredi de 9h30 à 10h30. (retour au texte)

Paroles de retenus…

arton996Paroles de retenus depuis la prison pour étrangers de Vincennes, est une brochure publiée en 2012 par un groupe de personnes qui ont décidé d’appeler les cabines publiques du Centre de rétention administratif (CRA) suite à une manifestation. Ils expliquent leur démarche: « Il nous semblait important d’avoir le ressenti des retenus par rapport à la manif’, savoir ce qui c’était passé à l’intérieur à ce moment-là. Nous avons par la suite entretenu un contact régulier avec des retenus pendant plusieurs mois. (…)
Être régulièrement en contact avec les retenus permet tout d’abord de faire sortir leur parole de ces lieux d’enfermement, sans la médiation des associations qui collaborent à l’intérieur ou de celle des flics.(…)Relayer la parole des retenus est un moyen d’estomper le flou entretenu autour de ces lieux et d’être au courant des luttes à l’intérieur, nous laissant la possibilité de les soutenir. C’est donc une source de motivation réciproque, qui brise le mur entre l’intérieur et l’extérieur et permet de se sentir moins isolés, dedans comme dehors. »
La démarche des auteurs de la brochure nous a particulièrement touché-e-s car nous estimons crucial de publier des témoignages de personnes directement soumises à un pouvoir sans que ceux-ci ne soient médiés ou filtrés par ceux qui l’exercent sur elles.
Mais surtout à la lecture de ces Paroles de retenus, nous avons été interpellés par le fait que près d’un témoignage sur deux fait mention d’un rapport avec le corps médical. « Sur 30 détenus y en a 25 qui sont cachetonnés. En fait même si on essaie de discuter avec les nouveaux arrivants pour qu’ils refusent de prendre certains médicaments, les médecins incitent la plupart des gens à en prendre. Ils leur donnent du Valium, du Semesta et des substituts de drogues. Certains veulent arrêter les médicaments, les médecins les laissent tranquilles un jour, puis leur redonnent un rendez-vous le lendemain pour leur refaire prendre des médicaments. Y’a rien à faire à part dialoguer entre nous. » On voit que, dès l’arrivée au CRA, les soignants prennent en charge les retenus.
« J’ai vu le médecin, il m’a donné des médicaments, je suis pas malade, mais il m’a donné des trucs pour être tranquille. »
« L’infirmière… bah franchement les infirmières elles donnent des cachetons, les mecs ils sont comme desf ous.Tout le monde réclame des cachetons, ils prennent des cachetons pour dormir, pour ça, pour ça, pour
ça…Ils sont fous ils sont accrocs à des… On dirait on est à la Colombie ou j’sais pas. Tous les jours les mecs ils avalent n’importe quoi, des cachetons rouges, des cachetons bleus, des cachetons jaunes… J’sais pas. »
« Le Valium tu vois, y’a des gens ils sont drogués avec le Valium, ils deviennent des toxicos… »
On constate, sans trop de surprise, que les médecins ont pour rôle d’écraser toute révolte potentielle en assommant les retenus, ce qui a pour conséquence d’en rendre certains dépendants aux somnifères, aux calmants, aux antidépresseurs… Alors que ceux dont l’état de santé nécessite un traitement, ne l’obtiennent pas automatiquement.
« Moi par exemple j’ai une grippe, je tousse très fort. J’ai demandé des médicaments, ils m’en ont pas donné, ils disent qu’y’en a pas, qu’il faut se les faire amener de dehors.Par contre si tu veux des drogues et des somnifères,là y’a pas de problème ils te les donnent très facilement, tout comme les calmants. En fait y’a pas de Doliprane, Aspirine, Fervex, tout ça pour soigner un rhume, mais y’a des trucs pour te calmer, pour que tu t’énerves pas, quand tu prends ça t’es sur une autre planète. »
« J’ai vu le médecin car moi j’ai une maladie, j’ai une hépatite B. Normalement il faut que je me soigne dehors, parce que j’ai mon docteur dehors, mais non ils veulent pas me libérer, c’est comme ça. En plus j’ai un régime alimentaire, parce que cette maladie elle attaque le foie, il me faut un régime alimentaire mais ils en ont rien à foutre de moi, ils me laissent ici crever, voilà. J’ai les preuves, j’ai les ordonnances, les prises de sang, j’ai toutes les preuves. Ils me donnent pas les médicaments, ils m’ont dit « on n’a pas ton traitement ». Alors je lui ai dit « tu peux me libérer pour que je me soigne, pourquoi je reste ici ? » Il m’a rien répondu. Ici y’a que des cachets, que des calmants, c’est tout. Si t’as besoin de calmants, de drogues, des anti-stress et tout, d’accord, si t’as besoin de ça, sinon à part ça y’a rien. » Pourtant les médecins ont le pouvoir de faire sortir les retenus sur simple avis médical:
« Moi deux fois j’ai été libéré par le médecin pour cause médicale, j’ai une broche au pied. Ça arrive souvent qu’il libère des gens sur avis médical. »
Mais ce que l’on constate c’est qu’en toute conscience, le plus souvent, les médecins ramènent les détenus dans leur prison : « Y’a trois mecs qui ont fait des tentatives de suicide en deux jours, ils les ont amenés à l’hôpital et ils les ont ramenés ici après une journée à l’hôpital. »
Alors que, comme le dit très bien un retenu, quand les conditions de vie sont aussi épouvantables que dans un CRA, la médecine n’y peut rien: « Moi, je vais pas voir le médecin, moi j’ai pas besoin de cachets, moi j’ai besoin de liberté, moi j’ai besoin de voir ma fille dehors. »
Que ne se montre-t-elle sous son vrai visage, collaboratrice active de la rétention d’individus qui sont enfermés pour la simple raison qu’ils ne possèdent pas de papiers d’identité…

L’intégralité de cette brochure, qui ne parle pas que du pouvoir médical, est lisible et téléchargeable sur ici.