Quand l’HP assume sa place dans l’arsenal répressif

L’histoire de Ch. révèle comment le pouvoir se sert allègrement de l’enfermement psy comme d’un moyen de réclusion au même titre qu’un autre. Pas même question ici d’une quelconque fonction thérapeutique.
Ch. fut arrêtée et engeolée à plusieurs reprises et entre différents murs. Elle raconte ici, à travers ce tract et ce courrier, comment, suite à deux manifs, la police « traita son cas » à coup d’HO. Mais cela ne s’arrêtera pas là. L’administration n’aime pas les fortes têtes, les médecins encore moins…
Nous ne dénoncerons pas, comme peut le faire en d’autres occasions le Collectif des 39, « l’utilisation de la psychiatrie à des fins politiques », car loin d’être un effet pervers de l’institution, l’internement, mais aussi le traitement par l’ensemble des structures médicalisantes ne sont qu’un des pans de la gestion sociale. Actuellement, Ch. est en prison et peu de chances qu’un maton l’entende dire merci…

Salut !
portebarreauxVoici un an, je découvrais le monde de l’enfermement psy. Pour souvenir, je mets le tract-BD qui avait été sorti par le Laboratoire anar de Valence à l’époque en pièce jointe.
Le 17 janvier 2009, j’ai participé à une manif à Avignon contre la guerre en Palestine. À l’heure de la dissolution, j’ai engagé la discussion avec des manifestants, leur expliquant que si nous acceptions l’autorité et défilions entre les rangs de flics qui nous encadrent, il n’ y a rien d’étonnant à ce que des jeunes militaires israéliens se soumettent également aux ordres de leurs officiers et tuent des civils. Ce discours n’a pas plu aux organisateurs et le ton est monté. On commençait à s’empoigner quand les flics sont venus m’interpeller, soit disant pour me « sauver la vie ». Comme je ne supporte pas le contact avec les forces de l’ordre, je leur ai ordonné de me lâcher immédiatement. Logiquement, ils me plaquent au sol, me mettent les menottes dans le dos, m’emmènent au commissariat. De là, ils décident de me transférer, à plat ventre dans le fourgon, à l’hôpital.
Sur place, j’ai rencontré un premier médecin. J’ai dû insister pour qu’il m’ausculte démenottée et hors de la présence policière, lui rappelant le secret médical et le serment d’Hippocrate. Il a constaté que je n’étais pas alcoolisée et a rempli le papier adéquat. Les policiers ont alors voulu me remenotter pour me ramener au commissariat. J’ai refusé, leur expliquant que je n’étais pas en garde-à-vue et qu’ils n’avaient aucune raison de m’embarquer. Le médecin leur a dit de me tenir fermement et m’a injecté un puissant sédatif. Comme je me débattais, bien que piquée, menottée dans le dos et allongée sur le brancard, le toubib m’a envoyé une baffe. Puis pendant que je dormais, il a rédigé un certificat d’Hospitalisation d’Office où il disait que je mettais ma propre vie en danger de mort.
Plus tard dans la nuit, une autre médecin a elle aussi rédigé un certificat d’HO mensonger parlant de délires, d’hallucinations et de phobie raciste. Puis, j’ai été transférée à l’hôpital psychiatrique de Montfavet.
J’en suis sortie une semaine plus tard, le médecin de l’unité où j’étais enfermée ayant rédigé un certificat médical de levée d’HO dans lequel il dit que je n’ai aucun trouble psychiatrique et donc pas besoin d’hospitalisation.

Quand je suis sortie et que j’ai eu les certificats médicaux, j’ai essayé de joindre les médecins pour savoir pourquoi ils avaient menti. J’ai eu le premier au téléphone et il m’a dit avoir écrit ce que la police lui avait dicté. Je l’ai informé que je portais plainte contre lui pour faux en écriture et violences. Bien que j’ai insisté, je ne suis jamais arrivée à joindre la deuxième. J’ai eu un collègue à elle qui refusait de me la passer et qui m’a menacée d’un dépôt de plainte pour harcèlement téléphonique et d’une mesure d’Hospitalisation à la Demande d’un Tiers.
J’ai réussi à avoir un courrier de la directrice adjointe qui confirme que je n’ai jamais eu de tendance suicidaire, de délire, d’hallucinations ou de phobie raciste.
Le 2 avril dernier, je suis retournée à l’hôpital afin d’avoir des explications sur les menaces de ce médecin (dépôt de plainte pour harcèlement et HDT), la secrétaire de la directrice adjointe m’a proposé de voir le toubib concerné. Dès qu’il est arrivé prés de moi, il m’a saisie avec trois collègues et m’a envoyé une bonne dose de neuroleptiques en intramusculaire. Même la secrétaire présente a été « choquée par la violence du guet-apens ».
Ils m’ont gardée quinze jours à l’HP de Montfavet, constamment à l’isolement et sous injections ou traitements neuroleptiques. Je suis sortie il y dix jours, je continue à faire des cauchemars. J’ai déposé plainte contre le service des urgences de l’hôpital pour agression préméditée en réunion.
Voilà.

Ch.

Retour sur le S.P.K.

Nous n’avons pas la prétention ici de décortiquer un mouvement, mais d’en présenter quelques lignes, dont le caractère offensif nous a plus. Nous joignons la préface écrite par Jean-Paul Sartre du livre du S.P.K. Faire de la maladie une arme qui nous semble éclairer les propos très théoriques du S.P.K. (Sozialistisches PatientenKollectiv / Collectif socialiste de patients). Nous ne reprenons pas à notre compte l’intégralité de l’analyse théorique de ce groupe marxiste. Il nous semble que la part de gestion sociale assurée par le pouvoir psychiatrique n’est pas assez prise en considération dans leurs analyses. C’est un exemple allemand d’antipsychiatrie dont la singularité est de replier complètement la critique du psychiatrique sur celle des rapports de production capitalistes.

Le S.P.K. est un collectif qui s’est constitué au début de l’année 1970 dans la clinique psychiatrique universitaire de Heidelberg, et ce autour du psychiatre Huber. Ils ont mené un certain nombre d’actions, notamment ils occupèrent leur clinique, qui devint leur local. Ce groupe s’inscrit dans les mouvements diffus qui traversaient l’Europe et qui visaient à critiquer la psychiatrie. Ce mouvement, dans sa forme primitive, a duré jusqu’à la fin de l’année 1972 et l’arrestation de Huber, qui fut condamné à 4 ans et demi de prison pour « association criminelle ». Le S.P.K. lui-même n’a été à aucun moment ni condamné ni interdit. Pour autant ça n’a pas empêché une répression violente (1) de s’abattre sur ses membres. Le mouvement perdura et existe encore actuellement sous une autre forme.

Chers camarades,
cerveauJ’ai lu votre livre avec le plus grand intérêt. J’y ai trouvé non seulement l’unique radicalisation possible de l’anti-psychiatrie mais une pratique cohérente qui vise à se substituer aux prétendues « cures » de la maladie mentale.

Ce que Marx appelait l’aliénation, fait général dans une société capitaliste, il semble que vous lui donniez le nom de maladie, à prendre les choses en gros. Il me paraît que vous avez raison. En 1845, Engels écrivait dans Situation de la classe laborieuse : « (l’industrialisation a créé un monde tel que) seule une race déshumanisée, dégradée, rabaissée à un niveau bestial, tant du point de vue intellectuel que du point de vue moral, physiquement morbide peut s’y retrouver chez soi. » Comme les forces atomisantes s’appliquaient à dégrader systématiquement une classe d’hommes en sous-hommes, de l’extérieur et de l’intérieur, on peut comprendre que l’ensemble des personnes dont parle Engels aient été affectées de la « maladie » qui peut se saisir à la fois et tout ensemble comme un dommage qu’on a fait subir aux salariés et comme une révolte de la vie contre ce dommage qui tend à les réduire à la condition d’objet. Depuis 1845, les choses ont profondément changé mais l’aliénation demeure et elle demeurera aussi longtemps que le système capitaliste car elle est, comme vous le dites, « condition et résultat » de la production économique. La maladie, dites vous, est la seule forme de vie possible dans le capitalisme. Du coup, le psychiatre, qui est un salarié, est un malade comme tout le monde. Simplement la classe dirigeante lui donne le pouvoir de « guérir » ou d’interner. La « guérison », cela va de soi, ne peut être, dans notre régime, la suppression de la maladie: c’est la capacité de continuer à produire tout en restant malade. Dans notre société il y a donc les sains et les guéris (deux catégories de malades qui s’ignorent et observent les normes de la production) et, d’autre part, les « malades » reconnus, ceux qu’une trouble révolte met hors d’état de produire contre un salaire et qu’on livre au psychiatre. Ce policier commence par les mettre hors la loi en leur refusant les droits les plus élémentaires. Il est naturellement complice des forces atomisantes: il envisage les cas individuels isolément comme si les troubles psychonévrotiques étaient des tares propres à certaines subjectivités, des destins particuliers. Rapprochant alors des malades qui paraissent se ressembler en tant que singularité il étudie des conduites diverses – qui ne sont que des effets – et les relie entre elles, constituant ainsi des entités nosologiques qu’il traite comme des maladies et soumet ensuite à une classification. Le malade est donc atomisé en tant que malade et rejeté dans une catégorie particulière (schizophrénie, paranoïa, etc.) dans laquelle se trouvent d’autres malades qui ne peuvent avoir de rapport social avec lui parce qu’ils sont tous considérés comme des exemplaires identiques d’une même psycho- névrose. Vous, cependant, vous vous êtes proposés, par delà la variété des effets de venir au fait fondamental et collectif: la maladie « mentale » est liée indissolublement au système capitaliste que transforme la force de travail en marchandise et par conséquent, les salariés en choses (Verdinglichung). Il vous paraît que l’isolement des malades ne peut que poursuivre l’atomisation commencée au niveau des relations de production et que dans la mesure où les patients, dans leur révolte, réclament obscurément une société autre, il convient qu’ils soient ensemble et qu’ils agissent les uns sur les autres et par les autres, bref, qu’ils constituent un collectif socialiste. Et puisque le « psychiatre » est lui aussi un malade vous vous refusez à considérer le malade et le médecin comme deux individus organiquement séparés: cette distinction, en effet, a toujours eu pour effet de faire du « psychiatre » le seul signifiant et du malade isolé et mis hors la loi le seul signifié donc le pur objet. Vous considérez, au contraire, la relation patient-médecin comme une liaison dialectique qu’on trouve en chacun et qui, selon la conjoncture, une fois les malades réunis, manifestera surtout l’un ou l’autre de ces deux termes dans la mesure où les patients insisteront davantage sur les éléments réactionnaires de la maladie ou dans celle où ils prennent davantage conscience de leur révolte et de leurs vrais besoins, niés ou défigurés par la société. Il devient nécessaire puisque la maladie, par-delà les divers effets, est une contradiction commune et puisque chaque individu est un signifiant-signifié, de mettre les malades ensemble pour qu’ils dégagent les uns par les autres les éléments réactionnaires de la maladie (p.ex. idéologie bourgeoise) et les éléments progressistes (exigence d’une société autre dont la fin suprême soit l’homme et non plus le profit). Il va de soi que ces collectifs ne visent pas à guérir puisque la maladie est produite en tout homme par le capitalisme et que la «guérison» psychiatrique n’est qu’une réintégration des malades dans notre société mais qu’ils tendent à pousser la maladie vers son épanouissement c’est-à- dire vers le moment où elle deviendra, par la prise de conscience commune,une force révolutionnaire.

Ce qui me paraît saisissant dans le SPK c’est que les patients sans médecin individuel – c’est-à-dire sans pôle individué des significations – établissent des relations humaines et s’aident les uns les autres à une prise de conscience de leur situation en se regardant dans les yeux, c’est-à-dire en tant que sujets signifiants-signifiés alors que dans la forme moderniste de la psychiatrie, la psychanalyse, le malade ne regarde personne et que le médecin est placé derrière lui pour enregistrer ses propos et pour les grouper comme il l’entend, cette détermination spatiale du rapport patient-médecin mettant le premier dans la situation d’un pur objet et faisant du second le signifiant absolu, déchiffrant le discours de la maladie par une herméneutique dont il prétend avoir seul le secret.

Je suis heureux d’avoir compris le progrès réel que le SPK constitue. En appréciant vos recherches je comprends aussi qu’elles vous exposent à la pire répression de la société capitaliste et qu’elles doivent déchaîner contre vous, outre les représentants de la « culture », les politiques et les policiers.Il vous faudra lutter par tous les moyens car les dirigeants de notre société prétendent vous empêcher de poursuivre vos travaux pratiques. Fut-ce en vous accusant gratuitement de conspiration. Ce n’est pas sur des emprisonnements imbéciles qu’on vous jugera mais sur les résultats que vous aurez obtenus.

Jean-Paul Sartre
17 avril 1972

Onze fois la maladie

  1. La maladie est la condition et le résultat des rapports de production capitalistes.
  2. En tant que condition de rapports de production capitalistes, la maladie est force productive pour le capital.
  3. En tant que résultat des rapports de production capitalistes, la maladie est, sous sa forme développée de protestation de la vie contre le capital, force productive révolutionnaire pour les hommes.
  4. La maladie est la seule forme possible de « vie » sous le capitalisme.
  5. Maladie et capital sont identiques : l’intensité et l’étendue de la maladie augmentent à mesure que s’accumule le capital mort, – mouvement qui va de pair avec la destruction du travail humain, appelée destruction du capital humain.
  6. Les rapports de production capitalistes impliquent la transformation du travail vivant en matériau mort (marchandise, capital). la maladie est l’expression de ce processus en perpétuelle extension centrifuge.
  7. En tant que chômage voilé et sous la forme des charges sociales, la maladie est le tampon des crises dans le capitalisme développé.
  8. La maladie sous la forme non développée, l’inhibition, est la prison intérieure de l’individu.
  9. Si on retire aux instances de l’appareil de santé l’administration, l’utilisation et la conservation de la maladie, et si celle-ci prend la forme de la résistance collective des patients, l’état doit alors passer à l’attaque et remplacer l’absence de prison intérieure des patients par de « éritables » prisons extérieures.
  10. L’appareil de santé peut s’occuper de la maladie à la seule condition que le patient n’ait aucun droit.
  11. La santé est une chimère biologico-fasciste qui a pour fonction de voiler la nécessité sociale de la maladie et sa fonction aux yeux des abrutisseurs et des abrutis de ce monde.

in SPK, Faire de la maladie une arme, Champ libre, 1973, p.17

Notes:
(1) « Le 21 juillet 1971, plusieurs centaines de policiers armés, transportés par hélicoptères, faisaient irruption dans les locaux du S.P.K. qui alors regroupait environ cinq cents patients. Onze d’entre eux étaient emprisonnés, huit seulement allaient être remis en liberté… ».
SPK, Faire de la maladie une arme, Champ libre, 1973. (retour au texte)

La réponse pour les fous

« Je vénère les fous, c’est mon plaisir intime
Et dans l’antre des crimes, je les illusionnerai libres »

lapierreaucouIL FAUDRA RESTER FOU !
Devenus fou par de mauvaises raisons
Quelle chance d’être différents de ceux qui nous regardent mal
Provoquer la rupture et s’en faire une alliée
Il n’y a plus à respecter
Il faut rester fou
Devant le jugement de la réticence
Il faut rester fou et ouverts
A tous ceux qui causent notre remord
Il faut résister ouverts
Se prendre pour eux sans les comprendre
Les devenir pour les dépasser
IL FAUDRA RESTER FOU !

Quand partout pour tout vous dire *
Barré instable, inaccessible comme l’horizon d’aujourd’hui l’est
Je ne trouve que la folie pour répondre à mon attente
Quand la folie me craint comme je l’ai
Quand partout je l’aime tant elle me disperse

Quand partout pour dire encore *
Son lot de souffrances me purifiant d’un raisonnable trop ancré
Je lui appartiens
Quand partout les atmosphères mêmes la respirent
Mon cœur la désirant palpable

Quand partout *
Folie pure bien entendue, folie de mes origines
Y creuser encore, en prendre une poignée et filer avec
Quand partout la répandre en allant
Sentir l’éternité me vivre
Lui répondre fou
Elle me souhaitant de le rester

Et c’est ainsi et j’étourdis mes manières d’être pour une autre prophétique sincère…

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !
Accourons sur l’autel
Tels des poètes et jouissons !

Nos humeurs bipolaires nous ouvrent à d’autres horizons
Aller par-ci… Aller par-là… Allons-y vraiment !
Nos psychoses en étincelles métalliques et rayons du ouï-dire
Nos grands délires à régénérer en allant combattre les jugements du faux

Nous irons danser dans les cimetières
Et sur la tombe d’Œdipe
Nous ferons l’amour à en faire jouir la pudeur
A décomplexer la norme de ses pleins pouvoirs

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !
Que tout le monde danse !
Plaisir et résistance !

Et ceux pour qui la violence est trop grande
Vous aurez le choix des armes

Ne nous soucions plus de ces peurs que nos désirs vont transcender

Vouloir être seul, rester triste et vouloir mourir
Seront des vœux pleins de surprises
Quand nous ferons des prisons, des hp, des églises
Des ruines à les faire exaucer

Quant aux regards baissés, attentifs au désespoir
Répliques patientes du regard d’un dieu dans le ciel
Votre manque de confiance sera un plus pour mieux voir nos racines

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !

Repousser les limites au-delà du visible sera notre politique sécuritaire à nous
Car pour notre survie
Nous croyons en ce qui n’a pas été découvert

Nous verrons que nos pensées paranoïaques sont des vérités à venir
Qu’elles nous étonneront au point de nous voir de l’extérieur

Nos angoisses nous nourrissent d’un trop plein
Nous allons entendre, entre douleurs et dérisions
Ce à quoi ce cœur nous appelle

Nous irons digérer de nouvelles émotions
Surgissantes inédites, avouées, exaltées

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !

Nous ferons l’éducation à Dame Nature
Que lorsqu’elle nous aura appris ce qu’est vraiment la mort

Les mystères réapparus, les réhabiter ensemble et sans se cacher

Nous deviendrons ces épouvantails à têtes de clown
Et dans l’obscure et fondus au soleil
Nous en oublierons nos identités et pour nous reconnaître
Nous serons différents
Nous deviendrons les phares de l’absolu
Des miroirs déformants pour aller voir ailleurs

Ah ! Mes fidèles, mes compagnons !
Accourons sur l’autel
Jurons sur le destin de l’incompréhensible
Revenons idiots afin d’être nous-mêmes dans cet accord fatal
Accourons sur l’autel
Laissons faire un tourbillon de toutes les logiques
Accourons sur l’autel
Tels des poètes et jouissons !

T.

Les clefs de soi

enchainesMon parcours m’a conduit à goûter à de nombreuses institutions, que ce soit d’un côté ou de l’autre de la barrière. Parce qu’une institution, c’est d’abord une barrière. Lorsque je suis entré dans un service de psychiatrie, le premier objet qui m’a été remis était une clef. Parmi les individus qui fréquentaient ce lieu, il y avait ceux qui avaient la clef, et ceux qui ne l’avaient pas ; ceux qui étaient libres d’aller et venir, et ceux qui restaient dépendants du bon vouloir des porteurs de clef.
Lorsqu’est venu le temps de quitter ce service, je ne l’ai pas rendue, cette clef. Je crois que j’avais peur de ne plus l’avoir. M’en donnerait-on encore une si je devais revenir ici ?
Nous passons une large part de notre temps à chercher des clefs, celles qui nous permettraient de sortir de nous-mêmes. Parce qu’on a été enfermé en soi. Comment ? Par qui ? Si je suis toujours à la recherche de ces clefs aux formes multiples, j’en ai trouvé quelques-unes sur ma route que j’aime à partager.

Quand je suis devenu père, ce n’est pas une clef que j’ai reçue, mais un véritable trousseau. Je me suis senti immensément responsable – ce qui voulait dire que j’avais maintenant « à répondre de » quelque chose, d’un résultat attendu. Comme un travail, ou un devoir à rendre. Mille portes se devaient d’être fermement gardées. Je le savais, j’en étais convaincu – me l’avait-on suffisamment enseigné ! – et j’avais largement cédé : j’étais devenu un bon élève.
L’institution psychiatrique est punitive, comme toute institution. L’enfermement est une punition en soi, d’autant plus qu’il est « libre » et se fait « avec le consentement du patient ». Je ne parle pas simplement de l’enfermement des corps, que nous voyons à peine tellement nous y sommes habitués ; comme dans ce service, dans une chambre d’enfant ou dans une cour d’école. C’est aussi, plus subtilement, la construction d’une représentation de soi qui nous modèle, largement induite et conforme aux volontés de l’institution. Et à force, nous obtempérons. Ici un être veut « guérir » dit-on, mais ce sont les soignants qui balisent le parcours et en définissent par avance le résultat à atteindre. Là un autre veut explorer la vie qu’il découvre, mais ce sont les enseignants qui lui fournissent les mots qu’il faut employer pour dire son expérience du monde, les outils à utiliser, les buts à atteindre. « Tu seras à mon image, mon fils ». Au nom de…

Là, les variantes sont multiples et les alternatives nombreuses. Autant de méthodes que de centres d’accueil. La palette reste large et nous donnerait même parfois l’avant-goût d’un choix. Une société libérale, tout de même. « Mais il y a des limites. » Ça, c’est sûr ! Et c’est bien le problème. Toutes les institutions sont là pour nous le rappeler au quotidien, chacune à sa façon et selon son intérêt propre, mais bien coordonnées entre elles.
Le maillage paraît serré, mais il y a une faille : une « institution », ça n’existe pas. Je n’ai jamais rencontré que des porteurs de clefs.

Ma fille et moi, ça a failli nous gâcher la vie, toutes ces clefs ; toutes ces phrases, tous ces gestes répétés à trente ans d’intervalle. Lorsque je me suis entendu être père, j’ai cru entendre parler le mien. Je me suis même demandé s’il n’était pas dans la pièce ! Même pas. Je crois simplement que je commençais à me métamorphoser en père. Les clefs me brûlaient les doigts, et je voyais ma fille s’éloigner derrière les barrières que je lui construisais peu à peu, très appliqué, et avec l’assentiment général. Et cette relation magnifique, l’intense bonheur partagé de sa venue au monde, se décolorait lentement et commençait à ressembler doucement à l’image d’une publicité pour la CAF.

La famille est une institution. Ailleurs sur mon chemin, j’ai rencontré des êtres de tout âge et de toute condition qui s’en passaient très bien et qui rayonnaient de joie de vivre. En leur présence, j’ai appris qu’on vit bien mieux hors de la peur. Alors, j’ai donné ma démission ; mais j’ai gardé les clefs qui me restent pour pouvoir les offrir à ceux qui n’y ont pas droit. Ceux qu’on appelle les « mineurs », entre autres. Ma fille par exemple à qui j’ai ouvert les portes de l’école dans laquelle je l’avais placée sans lui demander son avis. Elle n’aura hésité que quelques semaines avant de choisir de s’en sortir. Il m’arrive de lui rappeler qu’elle peut y aller si elle veut. Et nous éclatons de rire.

Maintenir la barrière de la différence – entre ceux qui prétendent savoir et ceux qui devront admettre ce qui est bon pour eux – implique de la contrainte, donc de la violence. Toute barrière est grosse de répression. Pour le savoir, il suffit simplement d’essayer d’en franchir une sans y être invité par l’autre côté. Le maintien de cette différence prévaut sur notre liberté, autant la tienne que la mienne, de quelque côté que nous soyons. Toute barrière est limitante pour chacun, et les porteurs de clefs y tiennent beaucoup. Parce qu’ils ont peur. Ils se sentent protégés et ils y croient. Ils y croient parce qu’on leur a dit, on leur a inculqué. Par la peur. Puis en leur posant des barrières qu’ils ont cru solution à la peur. Ce qu’ils transmettent. Et ça recommence. Dites, si on arrêtait un peu pour voir ? Qu’est-ce qu’on risque à ne plus propager nos entraves ?
Une institution est une organisation qui produit et distribue des clefs. Leur but est de maintenir les différences qu’elles proclament : adultes enfants, médecins patients, français étrangers, normal pas normal. Et nous dans tout ça ? Et nos amours, nos tendresses, nos bonheurs, nos tristesses, tous ces cris et ces sourires qui surgissent, ces mots que tu m’adresses, mon enfant, mon ami.e, et qu’on me commande de te retenir, ces gestes spontanés que tu voudrais m’offrir pour dire ton affection et qu’il m’est demandé de réprimer avant même leur apparition, avant même qu’ils ne m’atteignent et ne me touchent. Pourquoi avons-nous si peur d’être touchés ?
Au nom de quelle absurdité devrais-je t’orienter vers un avenir commun dont je ne sais rien, qui ne sera ja- mais que celui que j’imagine sous influence, alors que ta créativité me surprend chaque jour, que tu connais encore d’évidence ce que j’ai parfois bien du mal à ne pas oublier de cette intensité de vivre ?
Parce que simplement je suis plus grand que toi, plus fort, mieux armé et largement soutenu par toute une société ?

La violence, comme la punition, ça s’explique, mais ça ne se justifie pas. Ça s’impose. Nous pouvons choisir de faire avec. Nous pouvons tout aussi bien choisir son abolition. Parce qu’alors la peur cesse. À partir de là, on peut respirer, reprendre du souffle, et réfléchir, sereinement. Comment va-t-on faire alors ? Je ne sais pas. Mais nous ne sommes pas seuls. Il y a, ensemble, un monde à réinventer chaque matin. Rien moins que la beauté de la vie qui court et n’en finit pas de venir au monde.

Vi., Marivieille, juin 2012.

Retour sur des rencontres – La Borie – Marivieille

Les journées « La liberté est thérapeutique » au squat La Titanik en juin 2010 à Montreuil ont été un déclencheur : depuis, plusieurs rencontres ont eu lieu, mettant en relation des dizaines de personnes mues par le désir de résister à la psychiatrie, dont celle du Mas d’Azil en septembre 2011. Petit retour sur celles de La Borie dans les Cévennes et Marivieille dans la Drôme, avec, intercalé, le témoignage d’un participant à La Borie.

La Borie août 2012

marivieilleInvitation est lancée un ou deux mois avant avec l’idée de se retrouver sur 5/6 jours autour de questions qui tarraudent, d’institutions qui rebutent, de situations rencontrées, d’alternatives à imaginer, construire…
Tout cela plus ou moins en résonance avec ce qui est appelé le mouvement antipsychiatrique (1), dans la lignée duquel certains s’inscrivent parfois, du moins en partie…
À La Borie, rien n’était programmé : ces journées ont été ce que les personnes sur place en ont fait.
« Ce que j’aime dans les rencontres qu’il y a eu au Mas ou à La Borie, c’est qu’en fait on se pose beaucoup de questions, on a tout à déconstruire, et il n’y a pas beaucoup d’affirmations (…) on se demande comment on peut faire, c’est le début d’un mouvement, de la renaissance d’un mouvement et ça, c’est super intéressant ! »
« À l’écoute de nos désirs et à l’écoute du désir des autres, sans stigmatisation, sans jugement, d’une manière un peu inconditionnelle. Et du coup, ça libère les imaginaires… » « Moi, je me rouvre petit à petit grâce à ce genre de rencontres et après, toute l’année, avec les permanences (2). Pour moi, c’est hyper important, ça m’a presque sauvé la vie psychique, de rencontrer les gens qui militent sur l’antipsy. » (3)
La beauté du lieu, le temps, la qualité des relations ont créé une alchimie particulière, toute-s sont reparti-e-s gonflées à bloc, avec une patate d’en- fer ! Prêt-e-s à bouger dans leur région…

Parmi les ateliers et discussion proposés :
– Question de la cohérence politique. Lutte antipsy, dynamique de recherche autour du soin : quelle réalité à défendre ? Contre quoi / pour quoi se battre ? Comment alternatives et radicalité peuvent elles se compléter et non s’opposer ? Présentation d’ »Icarus project ».
– Dépendances aux psychotropes (médocs / non médocs), expériences de sevrage – si tant est qu’il faille se sevrer, a-t-il été précisé. Discussion en vue de la réalisation d’une brochure sur le sevrage neuroleptiques.
– Discussion sur « Délires et bouffées délirantes ».
– Discussion sur l’enfance / question de l’infantilisation des soigné-e-s.
– Ateliers corporels : yoga, res- piration, expression corporelle, théâtre de l’Opprimé.

Un temps d’émancipation individuelle et collective

A La Borie : plus qu’une fédération des consciences, ce fut une fédération des Imaginaires ; l’élan vital d’une construction des identités ; une Révolution – pour moi – , et j’y ai trouvé une famille Vraie. Chacun – avec ses épreuves de feu de la psychiatrie – a pu, avec une sensibilité touchante, et un éveil tendu vers l’Autre, témoigner de son désir de transformer ses propres expériences en une vacuité de ses vécus ; afin de visualiser la rencontre des regards vers des stades ultérieurs de recomposition politique. Face et contre des réalités effroyables que nous a infligées la psychiatrie et qu’elle nous réserve – Assassine – dans le silence psychotrope de ses hôpitaux-prisons.

Car, purement et simplement, nous visons à sa destruction. Elle-même a voulu nous détruire (servons-nous de sa destruction comme lame de fond), mais cette Grande Faucheuse ne peut venir à bout si facilement d’individus déterminés à ne pas se faire dépecer vivants par le cauchemar dans lequel elle nous entraîne… et nous draine jusque dans ses phantasmes en trompant nos cailloux blancs… et dans lequel nous rêvons les yeux ouverts pour contrer ses projets cannibaliques !

Ainsi, près des méandres d’une rivière où nous nous baignions les corps nus, nous touchions de près la lumière. Nous dormions dans des tentes, d’autres dans un squat, quelques-uns dans un tipi (les rêves, la nuit, peut-être incarnaient dans les corps endormis les âmes des Indiens morts ou sur leur sentier de guerre). Et il y avait, aussi, une yourte où nous nous réunissions le jour comme la nuit pour y échanger nos messages, pour y lire la documentation sur les tables de presse, pour y discuter de l’organisation des ateliers, pour nous y dé- tendre, pour y construire des liens…

D’ailleurs, l’atelier « Cohérence politique » était une touche caméléone qui apportait à notre arc-en-ciel de nouvelles manières de voir et nommer les couleurs. C’était une super-vision des processus créatifs dés- orientés – peut-être ? – vers une co-errance (en recherche de nouvelles pistes…) puisant sa force dans les parcours intermédiaires de chacun (le tirant vers ses propres nuances), un projecteur pour construire un feu, et le braquer sur le projet Icarus… premiers balbutiements (pour sortir de son labyrinthe-en-langue-étrangère), dont la traduction vient, s’acheminera…
Autour, les reliefs couverts de végétation prédisposaient à un socle commun ; le désir conscient de nous déshabiller de nos vêtements de paroles des « Nations civilisées » pour nous dépouiller du superflu et ne plus voir nos regards dans les miroirs : ceux de la société de consommation, et pour lui interdire l’accès à nos incons- cients, pour lui barrer délibérément la route, et pour que nos regards émargent les uns dans les autres. Chacun et chacune s’exprimant librement ; personne ne jugeant l’Autre. Une confiance commune était à l’oeuvre. Une « Œuvre au noir ». Elle rayonnait sa force, et la nuit, au- tour du feu en flammes, le ciel constellé d’étoiles, les silences solitaires et les conversations multiples donnaient au contexte de notre résistance à la psychiatrie l’élan vital d’une lutte contre l’obsession qui nous envisage de son regard de mort.

Nous. Nous portions la vie. Nous transe-portions nos eaux. Parfois, elles coulaient sur nos joues – comme volonté et puissance (sensible) ou bien se retenaient aux chutes de nos pensées. Il y avait aussi l’atelier théâtral axé plus sur les corps (leur langage) que sur les paroles (nous éloquions leurs silences) ; axé sur notre animalité (fauve et /ou herbivore) et notre sens de la spontanéité, de notre imprévisible questionnement intérieur trouvant des réponses dans la danse des sentiments et des émo- tions… dans nos regards se tournant autour, comme des bêtes sauvages… dans le miroir tendu vers l’Autre et son Ailleurs ; pour l’aider à se découvrir, dans ce décalage naturel et vital opérant ses fractures-du-réconciliable en contre-point des postures dé-stéréo-typant le familier-vécu et l’invisibilisant clairement, lorsque nous sommes mis-en-situation. Et un corps retrouvant le Sauvage qui-est-en-lui, ses instincts primitifs, fera tout pour éviter les divertissements ou sa diversion ; pour éviter, de retour dans Babylone (mot de NN.), sa concentration dans les réserves et les captivités des espaces organisés. À cela, s’est ajoutée une expérience rare, et partagée par tous et chacun, lors d’une construction organique d’une machine-humaine (un Inconscient machinique déstructurant nos automatismes) où chacun avait une fonction isolée dans les engrenages – rouages pensants –, dans les agencements collectifs ; fonction isolée mais aussi reliée dans ces rouages libérant la créativité de l’engrenage du corps-rendu-fou en communiquant sa conscience collective, trouvant sa rythmique non-normative dans un assemblage de forces en gestes et en sons ; en images intériorisées du film en développement incorporant le regard extérieur sur sa propre scène de particules élémentaires ou moi peauétisant, s’auto-gestionnant… ce fut un exercice du théâtre de l’Opprimé, impulsé par D. et I…

L’atelier « Délire et bouffées délirantes »; F. m’en a touché quelques mots qui avaient l’intelligence d’y voir du positif,une revendication du délire comme forme organisée–ou vécu pleinement dans un plaisir non-intellectualisé, une expression de l’être touché par la grâce… Mais encore des ateliers d’écriture (avec N.); une écriture à plusieurs voix ; des mots choisis par chacun au hasard de rencontres avec d’autres. Avec des temps de silence où jaillissaient des thèmes – en correspondances et conjonctions – , une recherche qui débouchera sur une édition de nos écrits…

Ces réunions librement choisies, et nos rencontres (alors qu’une mélodie s’élevait au-dessus de nos êtres) se sont déroulées sur 5/6 jours.Elles furent redistribuées –en tributs et en contenus – lors de nos repas et dans nos pas parés d’étoffes… et ailleurs au coeur de l’Autre.Des secrets se créaient. Défaisaient les robes de clarté. D’autres ateliers comme : le sevrage des traitements chimiques (avec R.), les lectures sous la yourte: avec L. et ses slams, A. –féminin A.– conteur clair obscur, P. et ses invocations chamaniques, S. le révolté, A. touchante et touchée, et moi-même électrisé.Les échanges sur la thématique de l’Enfance (ce Sanctuaire en danger) et bien d’autres sujets (qui témoignent de parcours individuels, de corps de textes, de biographies, de nos analyses et de nos identités luttant sans relâche contre l’Empire de la Raison médicalisante)… mots jaculés… comme sous les noisetiers, au bord de la rivière ou dans un champ d’étoiles et de jachères ; de friches à déchiffrer…

Ce fut un temps d’émancipation individuelle et collective, des lieux propices pour affûter nos armes critiques et nos larmes aiguisées enfouissant nos plaies en eaux vives, un champ d’énergies et de désirs, une refonte des Imaginaires pour contrer un Réel connu et dénoncé par tous, pour le démasquer, peindre nos visages de couleurs guerrières; quand les enfants –en liberté– sauvages et beaux, vivaient leurs propres jeux… expérimentaient l’univers tout autour, vaste et profond… d’interdits à transgresser…

Oui,une refonte des Imaginaires sous les frondaisons des arbres et sous la voûte de nos ciels étoilant l’Avenir : nous, météorites aveugles dessinant nos perspectives à dessein ! Pour contrer en nous ce Réel-éprouvé, nos épreuves, et nos preuves…
Quand sur le départ, après avoir plié le camp… les étreintes chaleureuses et amicales et Amoureuses… les embrassades et les mots-derniers échangés, comme changés dans l’instantané; déconstruire la réalité venant, où nous nous retournons vers l’extérieur, vers ses rapports de domination, ses langages totalitaires…

Nous nous renforcions par l’étreinte, dans les tissus de nos mots: enveloppes de silences relâchant sans la dessaisir la force contractée dans un désir de Révolution… La post-psychiatrie, nous la faisons! Défaire –en nous– ce que d’autres veulent faire de (et dans) nos corps, et de nos pensées ! Nos pensées qui osent le magnifique. Sur les ailes du Chant, un Vol de papillons nous attire loin des filets : une autre rencontre est prévue à Marivieille, du 10 au 16 octobre !

Nos rêves sont en colère !

V.

Marivieille, octobre 2012

Un lieu, en petite montagne, dans le Diois, très beau mais avec le soleil estival en moins. Le même principe d’im- provisation totale et la présence d’une quinzaine de personnes qui avaient été à La Borie deux mois avant.
À noter que ces six journées se sont déroulées dans une ambiance de bienveillance collective, de solidarité, avec un grand respect, une grande attention portée les un-e-s aux autres, faisant la « démonstration », s’il en était besoin, qu’en un lieu et un temps donnés des personnes peuvent commencer à changer leurs relations…

Parmi les ateliers et discussions mis en place, des points communs avec La Borie bien sûr et des propositions nouvelles, telle la discussion « Normalité, diagnostics, étiquettes » : interroger la normalité dans toutes ses dimensions : médicale, sociale, politique. Une des fonctions sociales de la normalité : faire en sorte que les personnes normées soient insérées dans le monde du travail et donc soient productives… Le DSM, outil d’enfermement massif dans une idéologie de la normalité, n’a pas manqué d’être évoqué. Une question parmi d’autres : comment avoir entre nous des relations le plus possible débarrassées de ces références au normal ?

Autre moment fort, la discussion sur « Lieu de vie, alternative concrète de survie ». Le groupe a passé en revue toutes les possibilités de faire exister un lieu de vie et/ou d’accueil et a tenté d’apporter des réponses aux multiples questions que cela pose. La question « Un lieu ? Et si oui, lequel ? » dépend avant tout de l’intentionnalité. Premier cas de figure : pas d’intentionnalité déclarée, donc pas de lieu fixe spécifique, les choses se passent alors beaucoup plus dans le quotidien, avec un groupe de personnes aidant à un moment donné une personne « allant mal ». À l’opposé, il y a l’option du lieu d’accueil qui n’existe que pour remplir cette fonction. Mais alors n’est-ce pas recréer un lieu institutionnel ? Avec les options intermédiaires : un lieu fixe, mais qui à côté est aussi une habitation ; un lieu temporaire mis à la disposition d’un groupe de personnes accompagnantes. Une question très liée et qui n’est pas la moindre : celle qui porte sur la qualité des personnes qui accompagnent… (Entre autres, quelle est leur position ? Quelle est leur expérience ?)
Parmi les autres discussions et ateliers proposés : présentation de la technique de la co-écoute (avec mise en pra- tique), présentation de W. Reich en deux temps : éléments biographiques et théoriques, expérimentation), ateliers d’expression et d’exploration corporelle (pour commencer la journée).

Dommage tout de même que la discussion « La lutte antipsy, cohérence politique entre hier et aujourd’hui », n’ayant trouvé personne pour la porter, n’ait finalement pas pu se dérouler. Il semblerait que ce thème provoque un double mouvement collectif d’attraction-répulsion. Mais qu’aurions-nous à gagner à opposer lutte politique contre la psychiatrie et mise en place d’éléments concrets de soutien à des personnes « allant plus ou moins mal », sinon de marcher sur une jambe ?

Quoi qu’il en soit, continuons à faire vivre de telles rencontres, qu’elles soient inorganisées ou plus ou moins pré- parées. Elles tiennent une place importante dans toutes les actions et initiatives de résistance à la psychiatrie, en contribuant notamment à créer une continuité.

J.

Notes:
(1) Ce terme est devenu usuel pour signifier « contre la psychiatrie » mais le fait qu’il fasse référence à des mouvements historiques rend son usage problématique. (retour au texte)
(2) Une permanence « Résister à la psychiatrie », à l’initiative du collectif Sans Remède se tenait jusqu’à récemment au Rémouleur, 106 rue Victor Hugo 93170 Bagnolet. Pour plus d’infos sur les activités du Rémouleur, c’est ici. (retour au texte)
(3) Quelques propos tenus dans le cadre de l’émission L’entonnoir, animée par Denis, avec Nathalie et Malik, sur Radio-Libertaire, 89.4, le mercredi de 9h30 à 10h30. (retour au texte)

Paroles de retenus…

arton996Paroles de retenus depuis la prison pour étrangers de Vincennes, est une brochure publiée en 2012 par un groupe de personnes qui ont décidé d’appeler les cabines publiques du Centre de rétention administratif (CRA) suite à une manifestation. Ils expliquent leur démarche: « Il nous semblait important d’avoir le ressenti des retenus par rapport à la manif’, savoir ce qui c’était passé à l’intérieur à ce moment-là. Nous avons par la suite entretenu un contact régulier avec des retenus pendant plusieurs mois. (…)
Être régulièrement en contact avec les retenus permet tout d’abord de faire sortir leur parole de ces lieux d’enfermement, sans la médiation des associations qui collaborent à l’intérieur ou de celle des flics.(…)Relayer la parole des retenus est un moyen d’estomper le flou entretenu autour de ces lieux et d’être au courant des luttes à l’intérieur, nous laissant la possibilité de les soutenir. C’est donc une source de motivation réciproque, qui brise le mur entre l’intérieur et l’extérieur et permet de se sentir moins isolés, dedans comme dehors. »
La démarche des auteurs de la brochure nous a particulièrement touché-e-s car nous estimons crucial de publier des témoignages de personnes directement soumises à un pouvoir sans que ceux-ci ne soient médiés ou filtrés par ceux qui l’exercent sur elles.
Mais surtout à la lecture de ces Paroles de retenus, nous avons été interpellés par le fait que près d’un témoignage sur deux fait mention d’un rapport avec le corps médical. « Sur 30 détenus y en a 25 qui sont cachetonnés. En fait même si on essaie de discuter avec les nouveaux arrivants pour qu’ils refusent de prendre certains médicaments, les médecins incitent la plupart des gens à en prendre. Ils leur donnent du Valium, du Semesta et des substituts de drogues. Certains veulent arrêter les médicaments, les médecins les laissent tranquilles un jour, puis leur redonnent un rendez-vous le lendemain pour leur refaire prendre des médicaments. Y’a rien à faire à part dialoguer entre nous. » On voit que, dès l’arrivée au CRA, les soignants prennent en charge les retenus.
« J’ai vu le médecin, il m’a donné des médicaments, je suis pas malade, mais il m’a donné des trucs pour être tranquille. »
« L’infirmière… bah franchement les infirmières elles donnent des cachetons, les mecs ils sont comme desf ous.Tout le monde réclame des cachetons, ils prennent des cachetons pour dormir, pour ça, pour ça, pour
ça…Ils sont fous ils sont accrocs à des… On dirait on est à la Colombie ou j’sais pas. Tous les jours les mecs ils avalent n’importe quoi, des cachetons rouges, des cachetons bleus, des cachetons jaunes… J’sais pas. »
« Le Valium tu vois, y’a des gens ils sont drogués avec le Valium, ils deviennent des toxicos… »
On constate, sans trop de surprise, que les médecins ont pour rôle d’écraser toute révolte potentielle en assommant les retenus, ce qui a pour conséquence d’en rendre certains dépendants aux somnifères, aux calmants, aux antidépresseurs… Alors que ceux dont l’état de santé nécessite un traitement, ne l’obtiennent pas automatiquement.
« Moi par exemple j’ai une grippe, je tousse très fort. J’ai demandé des médicaments, ils m’en ont pas donné, ils disent qu’y’en a pas, qu’il faut se les faire amener de dehors.Par contre si tu veux des drogues et des somnifères,là y’a pas de problème ils te les donnent très facilement, tout comme les calmants. En fait y’a pas de Doliprane, Aspirine, Fervex, tout ça pour soigner un rhume, mais y’a des trucs pour te calmer, pour que tu t’énerves pas, quand tu prends ça t’es sur une autre planète. »
« J’ai vu le médecin car moi j’ai une maladie, j’ai une hépatite B. Normalement il faut que je me soigne dehors, parce que j’ai mon docteur dehors, mais non ils veulent pas me libérer, c’est comme ça. En plus j’ai un régime alimentaire, parce que cette maladie elle attaque le foie, il me faut un régime alimentaire mais ils en ont rien à foutre de moi, ils me laissent ici crever, voilà. J’ai les preuves, j’ai les ordonnances, les prises de sang, j’ai toutes les preuves. Ils me donnent pas les médicaments, ils m’ont dit « on n’a pas ton traitement ». Alors je lui ai dit « tu peux me libérer pour que je me soigne, pourquoi je reste ici ? » Il m’a rien répondu. Ici y’a que des cachets, que des calmants, c’est tout. Si t’as besoin de calmants, de drogues, des anti-stress et tout, d’accord, si t’as besoin de ça, sinon à part ça y’a rien. » Pourtant les médecins ont le pouvoir de faire sortir les retenus sur simple avis médical:
« Moi deux fois j’ai été libéré par le médecin pour cause médicale, j’ai une broche au pied. Ça arrive souvent qu’il libère des gens sur avis médical. »
Mais ce que l’on constate c’est qu’en toute conscience, le plus souvent, les médecins ramènent les détenus dans leur prison : « Y’a trois mecs qui ont fait des tentatives de suicide en deux jours, ils les ont amenés à l’hôpital et ils les ont ramenés ici après une journée à l’hôpital. »
Alors que, comme le dit très bien un retenu, quand les conditions de vie sont aussi épouvantables que dans un CRA, la médecine n’y peut rien: « Moi, je vais pas voir le médecin, moi j’ai pas besoin de cachets, moi j’ai besoin de liberté, moi j’ai besoin de voir ma fille dehors. »
Que ne se montre-t-elle sous son vrai visage, collaboratrice active de la rétention d’individus qui sont enfermés pour la simple raison qu’ils ne possèdent pas de papiers d’identité…

L’intégralité de cette brochure, qui ne parle pas que du pouvoir médical, est lisible et téléchargeable sur ici.

Contre les implants auditifs…

arton1027Contre les implants auditifs et la loi sur le dépistage ultra précoce de la surdité. Cette brochure nous aide à comprendre la problématique de la communauté sourde, son histoire, sa bataille permanente pour faire admettre sa différence linguistique et les nombreuses tentatives des pouvoirs publiques et médicaux de la réduire au seul statut de minorité d’ »handicapés ».

Cette brochure a été écrite par une interprète bilingue Français-Langue des Signes Française (LSF). Nous- mêmes, sommes entendants et non-signants, donc nous ne prétendons pas comprendre l’intégralité des enjeux des revendications de la communauté sourde française, mais un certain nombre de leurs critiques liées au pouvoir médical nous paraissent importantes à relayer. Et notamment les écrits du groupe OSS2007, « Opération de Sauvegarde des Sourds et de leur langue la LSF », qui entre autres, a écrit une lettre aux députés, au président de la République de l’époque (Sarkozy) et pour cinq de ses membres, se sont mis en grève de la faim, pour faire entendre leur voix contre l’implant cochléaire et le dépistage ultra précoce de la surdité (1). Profitons en pour redire que les Sourds ne sont pas muets mais que lorsqu’ils écrivent le français, ils s’expriment dans une langue étrangère.

Et voilà ce qu’ils disent dans leur « Lettre aux députés » (2) pour leur demander de s’opposer au projet de loi les concernant:
« Vous, presque tous, nous regardez comme des malades ! Parce que nous sommes malades, nous ne pouvons pas nous penser de manière saine. Forcément, puisque nous sommes malades, notre pensée est malade. Heureusement, devez-vous penser, que vous, qui êtes sains de corps et d’esprit puisque vous n’êtes pas handicapés, êtes là pour bien penser sur nous et agir sur et pour nous dans notre meilleur intérêt! Ce qui nous rend malades en fait,ce n’est pas notre déficit auditif mais VOTRE REGARD! Un regard qui pense sur nous, mais qui ne se confronte pas à nous, à notre réalité. (…)
Ceux qui, parmi nous, ont hélas grandi dans l’acharnement thérapeutique et éducatif centré sur la vocalisation et dans la privation de la langue visuelle sont loin des résultats attendus comparativement aux moyens investis.(…) Le résultat est qu’ils ne sont pas pour autant devenus entendants et en plus ils ont perdu la possibilité d’être bien-Sourds. Une double perte en somme… (…) Nous n’acceptons pas votre mépris sur notre langue ! (…) Le devenir des « têtes blondes » sourdes est au centre de nos préoccupations. Des vôtres sûrement. Elles, ces têtes qui rêvent, qui souffrent, qui aspirent au meilleur de la vie, ce n’est pas d’un bistouri, ni du lourd casque de la cabine de rééducation, qu’elles auraient besoin. (…) »

La lecture de la brochure nous a donné envie de chercher de plus amples informations sur la manière dont les Sourds jugent le sort qui leur est fait. Le groupe OSS2007 de Rennes publie sur internet un texte de soutien aux grévistes de la faim dont voici des extraits:
« Ce n’est pas de ne pas entendre que nous souffrons.
Notre souffrance est de ne pas être entendus.
Vous voulez nous faire entendre, nous faire parler.
Vous vous acharnez sur nos oreilles et nos cordes vocales.
Que n’inventez-vous pour chasser notre surdité ?
Depuis le premier cornet acoustique jusqu’aux manipulations génétiques, en passant par l’implant cochléaire, votre génie n’a d’égal que votre haine de notre surdité. (…)
NOUS EXISTONS !
Notre vie serait bien plus simple et plus heureuse si vous nous laissiez suivre le cours de la nature… (…) Car le monde nous apparaît hostile puisque nous ne sommes pas désirés. L’intégration nous prive de la joie bien humaine d’être ensemble, de nous retrouver entre semblables et d’être portés par le tissu vivifiant de la Communauté Sourde internationale qui compte 7 millions de membres. (…)
Pourquoi nous refusez-vous le droit d’exister non pas avec notre handicap qui en fait est une vue de votre esprit, mais avec notre différence linguistique et culturelle porteuse de mille possibles? (…) Nous savons ce qui est bon pour nous et vous n’avez pas à vous targuer de savoir ce qui est bon pour nous !
Nous n’acceptons plus de souffrir de votre bêtise, de votre aveuglement, de votre entêtement, de votre refus de nous entendre ! (…) Nous refusons d’être refusés ! »
Et quand le groupe breton appelle à la manifestation c’est dans des termes on ne peut plus clairs.
Extraits :
« NON les sourds ne veulent pas être soignés contre leur gré
OUI les sourds sont en bonne santé
OUI les médecins ORL sont des spécialistes de l’oreille
NON les médecins ORL ne sont pas des spécialistes de la vie des sourds
NON l’implant cochléaire n’est pas un miracle
NON les sourds implanté n’entendent pas normalement
OUI de nombreux sourds implantés ont besoin de la LSF
NON les parents de sourds ne sont pas bien informés
NON les professionnels de la surdité ne leur donnent pas une information totale et non orientée
OUI les sourds ont l’expérience de la surdité
OUI les sourds peuvent informer et rassurer les parents (…)
NON les sourds ne veulent pas que les entendants continuent à prendre leur place pour tout décider »

Sans en être très étonné-e-s, nous avons, par cette brochure,pris la mesure de la force destructrice d’un regard normalisant sur une communauté quand il est étayé par des justifications médicales: « bien- vivre », « épanouissement » des individus selon les normes dominantes. En revanche, nous avons été très agréablement surpris par la radicalité et la force de la critique des Sourds d’OSS2007, et leur proximité « camarade » dans l’analyse qu’ils portent sur le pouvoir médical. Nous affirmons avec eux qu’il n’y a pas lieu de réparer des individus qui ne se vivent pas comme déficients. Les Sourds ne sont pas cassés, quand bien même leur différence linguistique les posent comme de pures altérités pour nous les entendants non-signants. Restons attentifs avec l’auteur de la brochure à ce que nos regards n’imposent pas qu’une « personne (doive) être réparée pour accéder au statut supposé enviable d’ « entendant »« , ou à un quelconque autre statut que nous jugerions indispensable : être travailleur, vivre en couple, faire des enfants… Si « Pour vivre dans ce monde, il faut se conformer à la norme quitte à se transformer en homme bionique » nous ré-affirmons que dans un tel monde, nous ne nous sentirons jamais « épanouis« .

La brochure est téléchargeable ici.

Notes :
(1) Tiré de la brochure « L’opération consiste à ouvrir la boite crânienne, y installer un aimant sur lequel se pose un récepteur extérieur. L’intervention porte aussi sur l’oreille interne (on remplace des éléments déficients de la cochlée). Siemens, entre autres, fabrique ces appareils. Ces interventions se sont massivement répandues depuis. L’enfant et l’adulte sont condamnés à repasser régulièrement sur le billard pour changer les appareillages. » Et voilà comment Siemens, le fabriquant des appareils conçoit le dépistage: il « doit être réalisé quelques jours après la naissance, avant que l’enfant ne sorte de l’hôpital. Le test ne prend que quelques minutes et peut être réalisé pendant le sommeil du bébé ». C’est net, aucun enfant ne pourra plus y échapper et plus aucun parent ne pourra rencontrer son enfant sans être préalablement informé de toutes ses supposées déficiences. (retour au texte)
(2) Cette lettre est reproduite dans son intégralité dans la brochure. (retour au texte)

Un extrait de la conjuration des imbéciles de John Kennedy Toole

conjuration« -Ignatius, tu crois pas qu’tu s’rais p’tête plus heureux si t’allais prende un peu d’repos à l’hôpital de la Charité ?

-Voudrais-tu parler du service psychiatrique, par hasard ? demanda Ignatius pris de rage. Me croirais-tu fou ? Supposerais-tu que le premier imbécile de psychiatre venu serait capable ne serait-ce que d’essayer de commencer à entrevoir les mécanismes de ma psyché ?

-Tu pourrais prende un peu d’repos, chéri. Et tu pourrais écrire des choses dans tes petits cahiers.
-Ils essaieraient aussitôt de faire de moi un crétin, amateur de télévision, de voitures neuves et d’aliments surgelés ! Tu ne comprends donc pas ? La psychiatrie c’est pire que le communisme. Je ne veux pas de lavage de cerveau ! Je ne veux pas devenir un robot, un zombie !

-Mais Ignatius, tout d’même, y viennent en aide à des tas d’personnes qu’ont des ennuis.

-Crois-tu que j’ai un ennui ? beugla Ignatius. Les seuls ennuis de ces malheureux c’est de n’avoir point le goût des voitures neuves et de la laque en atomiseur. C’est pour cela qu’on les enferme ! Ils inspirent de la terreur aux autres membres de la société. Tous les asiles de ce pays, jusqu’au dernier, sont pleins de gens qui ne supportent pas la lanoline, la cellophane, le plastique, la télévision et les circonscriptions, de pauvres gens dont c’est le seul crime. »

John Kennedy Toole, La conjuration des imbéciles